Dans ses fonctions de directrice générale d’un organisme de formation en milieu de travail, Blue Level, Karine Bah Tahé, B. Comm. 2011, élabore des stratégies pour accroître la diversité, éliminer la discrimination et mettre fin aux pratiques non inclusives.
Elle souligne que durant la pandémie, seulement 3 % des travailleuses et travailleurs américains s’identifiant comme Noirs ont manifesté l’intérêt de retourner au bureau à temps plein. Cette proportion grimpait à 21 % du côté de leurs collègues blancs.
« Cet écart pourrait suggérer que le télétravail est plus attrayant parce qu’il élimine les microagressions et atténue le sentiment d’exclusion. » Ses propres expériences du racisme et de la « mysogynoire » – une discrimination à la fois sexiste et raciale – l’ont poussée à fonder Blue Level en 2018 après une carrière dans le milieu des affaires et en journalisme.
En plus d’offrir de la formation générale sur la lutte contre la discrimination, son organisme crée des plateformes d’apprentissage accessibles et ultraspécifiques, parfois pour des entreprises qui comptent des centaines de milliers d’employés. Blue Level s’intéresse aussi aux mesures qui peuvent être prises pour s’attaquer aux préjugés insidieux que l’on trouve dans divers milieux de travail, que ce soient des hôpitaux ou des cabinets comptables.
« La discrimination peut avoir de graves conséquences sur la qualité des soins prodigués aux patients. Elle peut aussi freiner l’avancement professionnel des travailleurs en les privant de promotions et d’occasions de mentorat. »
De retour au bureau?
La signification d’un retour à la normale post-pandémie n’est pas encore très claire pour les employeurs et les employés.
Pour beaucoup de personnes en télétravail qui ont apprécié leur autonomie, passer une quarantaine d’heures par semaine dans un bureau est maintenant impensable. Bien des organisations proposent un modèle hybride en guise de compromis.
De leur côté, les services des RH font des pieds et des mains pour dénicher des talents locaux, mais le faible taux de chômage les oblige à élargir leurs recherches. Or, les personnes embauchées pour travailler à distance peuvent avoir de la difficulté à prendre leur place.
« Les gens en télétravail craignent parfois, à tort ou à raison, d’être ignorés pour les promotions, relève Tracy Hecht. On oublie parfois les personnes qu’on ne voit plus. » Elle souligne qu’on se pose aussi la question de bonifier la rémunération des employés sur place. Les travailleuses et travailleurs à la chaîne n’ont pas le luxe du nomadisme numérique, après tout.
« Comment faire pour que ce soit équitable pour tout le monde? » se demande la Pre Hecht. « Je pense que les entreprises auront beaucoup de défis à relever avant de trouver un équilibre. »
À son avis, il est difficile de prévoir où les organisations se situeront dans l’équilibre entre le travail sur place et le télétravail. Elon Musk a demandé au personnel de Tesla et de Twitter de revenir au bureau ou de démissionner. S’agit-il d’un cas marginal ou d’un présage?
« Si le balancier va dans l’autre sens et qu’une récession fait remonter le taux de chômage, les employeurs pourraient imposer le retour au bureau », avance-t-elle, ajoutant que les organisations doivent faire preuve d’agilité.
« Il est prouvé que les horaires flexibles aident les gens à atteindre un équilibre entre leur vie professionnelle et personnelle. Nous savons que la liberté d’horaire entraîne un effet net positif. »
Reste à savoir si le télétravail est vraiment gage de succès à long terme. Certaines recherches donnent à penser que les personnes productives feront bonne figure, peu importe l’endroit où elles travaillent. L’inverse est aussi vrai. Il y a quelque chose de paradoxal dans le fait que le télétravail, dans bien des cas, s’est traduit par une amélioration de la collaboration.
« Le travail est devenu beaucoup plus relationnel, et les échanges entre employés se sont intensifiés », convient Gary Johns, professeur émérite distingué et titulaire de la chaire de recherche en management à l’École de gestion John-Molson.
« Les efforts créatifs sont souvent collectifs, que ce soit pour profiter des idées générées en équipe ou simplement répondre à la portée du projet. On met moins l’accent sur le rendement individuel pour se concentrer davantage sur le travail de groupe. »
Écoute et compassion
Des changements sans précédent, qu’ils soient attribuables à la pandémie ou aux rapides progrès technologiques, ont déstabilisé les employées et employés de tous les échelons. Le phénomène du télétravail aura bouleversé les habitudes des cadres intermédiaires et supérieurs, qui ne peuvent plus passer de cubicule en cubicule pour prendre des nouvelles. Comment savoir si le moral des troupes est bon et évaluer la productivité quand tout le monde travaille de la maison?