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Pearl Eliadis

Pearl Eliadis

Avocate spécialiste des droits de la personne (Québec); professeure agrégée (professionnelle), École de politiques publiques Max Bell et Faculté de droit de l’Université McGill

janvier 2024

Vous êtes à la fois professeure et avocate spécialiste des droits de la personne. Pouvez-vous décrire votre approche de la recherche dans les deux cas?

Je suis avocate depuis plus longtemps que je ne suis professeure. J’essaie donc de transposer les aspects pratiques de mon travail et de mon expérience dans le contexte universitaire où j’évolue, ainsi que de tenir compte des avantages que ce cadre offre pour développer une compréhension plus pratique sur la façon dont les droits de la personne ont un impact sur les gens de manière concrète. Ma profession en droit à Montréal consiste principalement d’un travail de conseil et de consultation. Chaque fois que je le peux, j’engage des étudiantes et des étudiants chercheurs.euses pour soutenir mon travail et leur donner l’occasion d’acquérir une expérience signifiante avec la clientèle.

Parlez-nous de votre travail lié aux droits et aux intérêts de la communauté d’expression anglaise du Québec.

Je parle souvent sur la scène publique des politiques gouvernementales qui ont un impact négatif sur les communautés anglophones et allophones – notamment de la fameuse « Charte des valeurs », de la loi 21 (sur la laïcité), de la loi 96 (qui impose d’importantes restrictions à l’utilisation de l’anglais au Québec) et, plus récemment, des efforts du gouvernement pour marginaliser les universités de langue anglaise de Montréal par des changements au régime des droits de scolarité.

Ces politiques touchent de nombreuses personnes ayant un statut d’immigration précaire et dont la première langue officielle au Canada est l’anglais. Prenons par exemple le cas de cet anglophone éthiopien, pourvu d’un visa d’étudiant, venu au Québec avec sa conjointe. Leur enfant, né ici, n’avait pas accès à l’assurance maladie, car bien qu’il soit citoyen canadien, ses parents, eux, ne l’étaient pas. En raison d’accords particuliers avec la France et la Belgique, qui ont été exemptées, cette politique a eu un impact disproportionné sur les résidents du Québec originaires de l’hémisphère Sud et les personnes dont la première langue est l’anglais. Une coalition d’avocats et de représentants de la société civile a demandé un changement afin de permettre aux enfants de citoyens canadiens nés au Québec d’avoir accès à l’assurance maladie. Le gouvernement du Québec a finalement consenti au changement proposé, mais l’ensemble du processus aura pris une dizaine d’années. Cette situation n’est qu’un exemple de l’effet d’exclusion qu’engendrent de telles politiques sur les personnes qui ne sont pas nées au Québec et qui ne font pas partie du groupe d’immigrants « de prédilection ».

Je participe également au volet sur le genre du Quebec Homelessness Prevention Policy Collaborative (Q-HPPC), un partenariat entre l’Université McGill et la Mission Old Brewery. J’y collabore avec les services familiaux du Bouclier d’Athéna, un organisme multilingue qui soutient les femmes fuyant la violence conjugale. La plupart d’entre elles parlent l’anglais comme principale langue européenne. Leurs enfants intègrent souvent le système scolaire francophone, mais les mères ont de la difficulté à accéder à des services ou à un logement en raison des barrières de communication. Jour après jour, nous constatons la marginalisation et les obstacles auxquels se butent ces femmes, que ce soit en raison de leur état précaire à titre de personnes immigrantes ou de leur statut linguistique.

Parlons de vos travaux de recherche. Ceux-ci s’adressent-ils à un public particulier?

Il y a la communauté universitaire – qui bénéficie d’un aperçu des avancées pratiques – et le grand public – que je cherche à toucher en transmettant de manière accessible les conversations issues de la documentation scientifique. Je présente également mes travaux à l’étranger, souvent en établissant un lien entre les normes internationales en matière de droits de la personne et ce qui se passe au Québec.

Compte tenu des récents développements en matière de politique linguistique au Québec, quelles sont les principales considérations juridiques et implications potentielles dont doit tenir compte la communauté anglophone?

L’accès à la justice est un problème majeur au Québec, et de plus en plus pour la communauté anglophone, en partie à cause de la loi 96, que j’ai mentionnée plus tôt. La marginalisation croissante des anglophones au Québec témoigne d’un véritable changement dans l’architecture constitutionnelle de ce pays, imposé unilatéralement par le Québec. À mon avis, cela va à l’encontre de la Constitution, mais il faudra beaucoup de temps avant qu’un tribunal soit assez courageux pour l’admettre.

Le problème juridique que pose la politique québécoise réside dans l’importance du rôle qu’on accorde à l’interculturalisme en tant que véhicule social par lequel les droits linguistiques sont restreints. Je crois qu’il est important que le Québec reste distinct et que le français continue à être protègé. Toutefois, en liant directement l’interculturalisme aux questions d’identité, on incite les gens à se sentir menacés, reléguant ainsi une minorité historique du Québec au statut d’« autre ».

L’invocation de la clause dérogatoire dans des cas tels que la loi 96 et la loi 21 constitue également une préoccupation majeure. Cette clause confère au parlement et aux assemblées législatives du Canada le pouvoir d’outrepasser certaines parties de la Charte des droits et libertés. Un tel évitement au regard des droits fondamentaux n’est autorisé ni par le droit international ni par aucun de nos traités internationaux, ce qui place le Canada en violation directe de ses obligations internationales en matière de droits de la personne. 

La loi 96 a des répercussions considérables sur une foule d’interactions, tant avec le gouvernement et le secteur privé qu’avec de nombreux organismes sans but lucratif. Non seulement la loi restreint l’accès à la langue anglaise, mais, en raison du fait qu’elle invoque la clause dérogatoire, elle viole le droit à un procès équitable, ainsi que plusieurs autres droits fondamentaux, dont celui de ne pas faire l’objet de perquisitions et de saisies abusives. Sa portée est très vaste et ouvre malheureusement la voie à une stratégie populaire – celle de rendre acceptable l’abrogation des droits fondamentaux au Québec et, du coup, de normaliser la violation fondamentale des droits des anglophones qui y habitent.

En quoi vos activités juridiques et vos travaux de recherche vous permettent-ils de trouver des solutions à ces problèmes?

Je continue d’insister sur les dangers du nationalisme et de la déconnexion des politiques culturelles et des droits de la personne. Je collabore avec les médias pour sensibiliser l’opinion publique à ces enjeux. J’ai également contribué à des publications savantes et rédigé une monographie sur les systèmes de droits.[1]

D’après votre expérience, quels sont les meilleurs moyens d’éduquer les membres du public sur leurs droits et sur les compromis qu’ils pourraient être appelés à faire dans l’exercice de ces droits?

Tout réside dans la manière de communiquer, d’affiner ses messages clés, de posséder à la fois la capacité et l’expertise nécessaires pour diffuser ceux-ci efficacement, puis de gérer les interactions avec les médias sociaux.
Évidemment, le fait de se prononcer sur des questions controversées crée souvent une situation où l’on devient une cible, et cette perspective est devenue beaucoup plus intimidante dans l’environnement actuel. J’espère toutefois que le nouveau projet de loi sur les préjudices en ligne présenté dernièrement commencera à s’attaquer à certaines de ces menaces graves qui pèsent sur les défenseurs des droits de la personne, en particulier les femmes, qui ont tendance à être ciblées de manière disproportionnée en ligne.

Avez-vous d’autres ressources à recommander aux personnes qui souhaitent en savoir plus sur leurs droits?

Au Québec, plusieurs organisations font un excellent travail, notamment : Educaloi, sur l’accès général à l’information juridique; Equitas, sur l’éducation aux droits de la personne; et Médecins du monde, sur les soins de santé publique. Il existe aussi d’autres organismes fiables, comme les Centres de justice de proximité, qui disposent de locaux près des cours de justice des différentes régions administratives du Québec et offrent des services gratuits et confidentiels d’information juridique; et le Centre de recherche-action sur les relations raciales, dont les activités se concentrent principalement à l’intersection de la race et de la langue.

[1] Voir https://eliadis-francais.rights-law.net/ ainsi que le site d’ORCID.

 

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