Rapport
Enquête sur le climat du Département d’études anglaises de l'Université Concordia : Une voie à suivre pour l’avenir
Rapport établi par :
Me Pierrette Rayle, juge à la retraite de la Cour d’appel du Québec
Alain Reid (MPs., CHRP) associé principal, psychologue organisationnel
François Rabbat (Ph. D.), psychologue organisationnel
Introduction
En janvier 2018, le recteur et vice-chancelier Alan Shepard a annoncé que l’Université Concordia prendrait plusieurs mesures pour donner suite à un certain nombre d’allégations d’inconduite sexuelle à l’Université, notamment au sein du Département d’études anglaises.
D’abord, un groupe de travail sur l’inconduite sexuelle et la violence à caractère sexuel serait formé. Ensuite, des allégations précises feraient l’objet d’une enquête approfondie, menée par des tiers indépendants. Enfin, une enquête sur le climat de travail et d’apprentissage au Département d’études anglaises serait réalisée par la firme-conseil SPB, de concert avec Me Pierrette Rayle, juge à la retraite de la Cour d’appel du Québec. Le présent rapport découle de cette troisième initiative, l’enquête sur le climat.
Par souci de commodité, nous (Me Rayle et SPB) avons décidé de présenter conjointement les résultats de l’enquête sur le climat ainsi que nos recommandations, sans les attribuer explicitement à l’une ou à l’autre des deux parties.
Le mandat de l’enquête sur le climat était de solliciter et d’écouter les commentaires des membres du Département d’études anglaises (étudiant∙es, membres du corps professoral, membres du personnel, diplômé∙es ainsi que tout∙e autre membre du Département) afin de cerner et de bien comprendre tous les problèmes et les préoccupations touchant la culture générale et le climat au sein du Département, y compris les problèmes liés à tout type d’inconduite sexuelle. L’objectif, à la suite de l’évaluation du climat, consistait à formuler des recommandations appropriées visant à promouvoir un milieu d’apprentissage, d’enseignement, de travail et de recherche sécuritaire, et empreint de respect pour toutes et tous. Il va sans dire qu’offrir un tel milieu est un des devoirs les plus fondamentaux de l’Université envers ses étudiant∙es, son corps professoral et son personnel.
Dans le cadre de ce mandat, nous avons également concentré nos efforts sur les relations pouvant être qualifiées de romantiques ou de sexuelles consensuelles et marquées par une inégalité de pouvoir (c.-à-d. où l’une des deux personnes possède une forme de contrôle ou d’influence sur l’autre, ou exerce à son égard une fonction de supervision) donnant lieu à un conflit d’intérêts, réel ou apparent. Il ne s’agissait pas de scruter tous les types de relations pouvant se développer sur le campus. Ainsi, nous n’avons pas tenu compte des relations d’égal à égal entre membres du corps professoral de différents départements, entre membres du personnel administratif ou entre étudiant∙es.
Pour mener à bien notre mandat, nous avons suivi une démarche en trois volets : i) des entretiens individuels avec divers membres de la communauté de l’Université; ii) un sondage en ligne anonyme et personnalisé contenant des questions fermées et ouvertes, lequel a été envoyé aux étudiant∙es, aux membres du corps professoral, aux membres du personnel ainsi qu’aux diplômé∙es du Département d’études anglaises; et iii) des conversations confidentielles par téléphone ou vidéoconférence avec des étudiant∙es ainsi qu’avec des diplômé∙es souhaitant communiquer de l’information complémentaire.
L’enquête sur le climat s’est déroulée du 23 avril au 14 septembre 2018, et 109 personnes ont choisi d’y participer sur un total possible de 3228 personnes. Le groupe de 109 personnes répondantes était composé de 32 étudiant∙es (sur un total de 985 étudiant∙es), de 17 membres du corps professoral (sur un total de 72 membres du corps professoral), de 3 membres du personnel (sur un total de 9 membres du personnel) ainsi que de 57 diplômé∙es du Département d’études anglaises (sur un total de 2 162 diplômé∙es à qui un courriel avait été envoyé).
Les questions et les résultats du sondage sont présentés à l’annexe 1. Les sondages remplis, de même que l’information qui y est fournie ou qui a été communiquée séparément par les personnes répondantes, sont confidentiels. Seules des données anonymisées et agrégées ont été transmises à l’Université.
Mise en garde
Il est à noter que les résultats du sondage ne représentent que les points de vue et les perceptions d’un petit nombre de personnes, soit celles ayant participé à l’enquête sur le climat. Il est donc difficile pour les auteur∙es du présent rapport d’étendre la portée de leurs observations aux personnes qui n’y ont pas pris part. Néanmoins, nous avons pu évaluer le climat au sein du Département d’études anglaises et formuler des recommandations fondées sur les données recueillies dans le cadre de cette enquête.
Si les points de vue et les perceptions d’un petit nombre de personnes participantes nous ont permis de tirer les conclusions ci-après, nous devons toutefois souligner qu’un nombre important de personnes répondantes ont parlé favorablement de leur expérience au Département d’études anglaises et loué des membres du corps professoral qui, à leurs dires, ont eu un impact extrêmement positif sur leur expérience à l’Université. D’après les résultats, seul un petit nombre de membres du corps professoral ont eu une conduite inappropriée et inacceptable. Le présent rapport ne doit donc nullement diminuer ni les expériences positives dont les personnes répondantes ont témoigné, ni les efforts et le travail louable de la plupart des membres du corps professoral du Département d’études anglaises, lesquel∙les s’acquittent de leurs fonctions pédagogiques avec engagement et professionnalisme.
Autre fait à noter, selon les résultats recueillis pour les personnes répondantes actuellement inscrites à titre d’étudiant∙e, les expériences négatives mentionnées dans le sondage ont diminué, dans la plupart des cas de façon considérable, par rapport aux expériences dont ont témoigné les diplômé∙es. En fait, bon nombre des étudiant∙es actuel∙les qui ont répondu au sondage ont confirmé qu’ils ou elles n’avaient vécu aucune des expériences négatives décrites dans le sondage.
Résultats
Selon les résultats du sondage, les personnes répondantes jugent que le climat est malsain au Département d’études anglaises et que la culture et les pratiques départementales ne favorisent pas de saines relations.
D’après l’information recueillie, la perception qu’ont les personnes participantes du climat au Département d’études anglaises tient en partie aux quatre facteurs suivants :
- Des actes réels ou perçus de violence sexuelle commis par des membres du corps professoral;
- Des cas réels ou apparents de favoritisme et de conflit d’intérêts;
- Une méfiance à l’égard de la façon dont l’établissement traite les plaintes;
- Des perceptions de discrimination et d’hostilité.
Notre mandat ne consistait pas à enquêter sur des affaires ou des allégations précises ni à fournir des preuves au sujet de personnes précises, mais plutôt à évaluer le climat au sein du Département d’études anglaises dans son ensemble. Les perceptions partagées d’un climat malsain, qu’elles soient fondées ou non, peuvent nuire au bon fonctionnement d’une organisation.
Pour les besoins de la présente enquête sur le climat, nous avons utilisé, comme le fait l’Université dans ses politiques, une définition large de la violence à caractère sexuel. Elle comprend tout type d’inconduite de nature sexuelle, allant des avances non désirées jusqu’à l’agression sexuelle.
Comme l’indique le tableau présenté à l’annexe 1, il a été rapporté par les étudiant∙es et les diplômé∙es (le nombre d’incidents signalés étant plus élevé chez les diplômé∙es) que certain∙es membres du corps professoral ont commis au fil du temps divers actes de violence sexuelle. À notre avis, ces cas déclarés de violence sexuelle sont au coeur du climat malsain qui règne au Département d’études anglaises.
Selon notre analyse, les actes de violence sexuelle rapportés se sont produits plus fréquemment dans les situations décrites ci-dessous :
- Certain∙es membres du corps professoral ont tenu des cours dans des bars, ont organisé des fêtes à leur résidence, ont invité des étudiant∙es à prendre un verre en leur compagnie, ont consommé de l’alcool ou des drogues avec des étudiant∙es ou ont incité des étudiant∙es à consommer de l’alcool ou des drogues. Des étudiant∙es ont déclaré que ces situations ont parfois mené à des inconduites sexuelles, à une fraternisation inappropriée ou ont brouillé les frontières entre relations professionnelles et personnelles. De nombreux problèmes inacceptables peuvent survenir lors de telles activités. Nous avons du mal à trouver la moindre valeur pédagogique à ce type d’activités, et elles devraient selon nous être interdites par l’Université.
- Il va sans dire que nous ne suggérons pas d’interdire des activités sociales légitimes, réunissant des membres du corps professoral et de l’effectif étudiant (par exemple, des réceptions soulignant un départ à la retraite ou des activités pédagogiques se tenant hors campus). Par contre, nous avons remarqué qu’il n’existe pas de directives claires et explicites établissant les conditions à remplir pour qu’un cours puisse être donné hors des installations de l’Université.
- D’autres activités, événements ou projets non officiellement liés à l’Université, par exemple des programmes d’études à l’étranger et des publications littéraires, ont également été mentionnés comme des contextes pouvant mener à des inconduites sexuelles et à la transgression des limites des relations professionnelles. Si des activités de ce type sont prévues à l’avenir, les membres du corps professoral devraient être informé∙es des attentes de l’Université à l’égard de leur conduite dans ce contexte.
Outre les facteurs situationnels mentionnés ci-dessus, il semble exister un système de rumeurs solidement ancré au Département d’études anglaises, où les incidents passés et récents font l’objet de discussions entre étudiant∙es et sont communiqués aux nouvelles générations d’étudiant∙es. Ce système met en lumière le manque de confiance de certain∙es étudiant∙es à l’égard du traitement de ces enjeux par l’Université, tel que nous le décrivons plus bas.
L’enquête sur le climat a également révélé que les membres du corps professoral et du personnel sont parfois informé∙es de l’inconduite de leurs collègues, mais qu’ils et elles ne savent pas très bien comment y réagir ou hésitent à le faire. Des attentes claires, de la formation et des directives émanant de la haute direction de l’Université devraient être mises en place afin d’encourager la proactivité à cet égard. Pour qu’un changement de culture se produise, les membres du corps professoral et du personnel du Département d’études anglaises ou toute autre personne qui serait témoin d’une inconduite, quelle qu’elle soit, doivent prendre l’initiative de la signaler. Comme nous l’affirmons plus haut, il est du devoir fondamental de l’Université d’offrir un milieu sûr et sécuritaire.
Dans le Code des droits et des obligations, il est prévu à l’article 2 que les membres de l’Université « ne doivent tolérer aucun comportement qui nuise à l’Université ou à ses membres ». Par ailleurs, au paragraphe 5, il est prévu ceci : « Tous les membres doivent veiller à respecter le présent Code. Il incombe tout particulièrement aux supérieurs hiérarchiques informés d’une présumée infraction au Code de prendre les mesures qui s’imposent au moment opportun et de manière efficace. » Il est inacceptable que des membres du corps professoral et du personnel, y compris ceux et celles qui occupent des postes de direction, fassent de l’aveuglement volontaire ou attendent qu’un∙e étudiant∙e dépose une plainte. Tout membre de la communauté a un rôle à jouer dans la promotion d’un milieu sûr et sécuritaire.
Le climat au Département d’études anglaises s’explique également par une perception de favoritisme à l’endroit de certain∙es étudiant∙es venant de certain∙es membres du corps professoral, ainsi que d’abus de pouvoir par ces derniers ou dernières.
De nombreux membres du corps professoral du Département d’études anglaises connaissent un grand succès professionnel. Grâce à la reconnaissance dont elles jouissent, ces personnes ont des contacts importants dans le milieu littéraire. Certain∙es membres du corps professoral occupent en outre des postes d’influence au sein d’autres entreprises littéraires. Pour les étudiant∙es, le fait d’acquérir une expérience pratique (par exemple par la publication de leurs oeuvres, par leur nomination ou sélection à divers concours littéraires, ou encore par l’obtention d’assistanats ou de stages d’enseignement ou de recherche) peut jouer un rôle essentiel dans la poursuite de leur carrière universitaire ou d’écrivain∙e. Il peut s’agir là d’occasions importantes pour les étudiant∙es, dont le cheminement peut ainsi être affecté, positivement ou négativement, par les membres du corps professoral. Ces derniers et dernières se doivent donc d’être libres de tout conflit d’intérêts, réel ou apparent, lorsqu’ils ou elles jouent quelque rôle que ce soit dans l’attribution de telles occasions aux étudiant∙es. Aux yeux de certain∙es étudiant∙es, l’accès à ce type d’occasions semble être contrôlé par certain∙es membres du corps professoral qui agissent comme les « portiers » d’un monde hors d’atteinte pour les jeunes écrivain∙es. Certaines diplômé∙es ont déclaré s’être vu offrir l’accès à des tiers influents en échange de faveurs sexuelles. Bien que de tels comportements inappropriés n’aient été déclarés par aucun∙e étudiant∙e actuel∙les, cette situation peut les porter à croire qu’ils et elles doivent se lier d’amitié avec leurs professeur∙es pour avoir de meilleures chances d’accéder à ce type d’occasions.
De nombreux répondant∙es de l’effectif étudiant ont également mentionné que certain∙es membres du corps professoral avaient un comportement de séduction avec les étudiant∙es. Or, ces étudiant∙es, craignant des conséquences potentielles sur leurs notes ou leur carrière, peuvent ressentir l’obligation de répondre positivement à des avances non désirées. Cette crainte de conséquences potentielles est exacerbée pour un∙e étudiant∙e qui entretient une relation romantique ou sexuelle avec un∙e membre du corps professoral. Certain∙es étudiant∙es ont perçu dans certains cas du favoritisme à l’endroit d’autres étudiant∙es. En présence d’une relation entre un∙e membre du corps professoral et un∙e étudiant∙e, cette perception de favoritisme est renforcée. Cela ne signifie pas qu’un∙e étudiant∙e qui est proche d’un∙e membre du corps professoral et qui aurait reçu un avantage ne l’a pas mérité. Toutefois, l’absence de directives et de critère précis suffit à favoriser la perception que les étudiant∙es qui sont les plus proches de certain∙es membres du corps professoral bénéficient de certains avantages.
Une relation romantique ou sexuelle entre un∙e étudiant∙e et une personne en autorité constitue un manquement aux devoirs et aux responsabilités de ladite personne en autorité. Elle place celle-ci en situation de conflit d’intérêts, réel ou apparent. En outre, elle permet d’envisager la possibilité que l’étudiant∙e bénéficie d’un avantage grâce à la relation qu’il entretient. L’Université a récemment adopté des Directives concernant les relations romantiques ou sexuelles consensuelles, en conformité avec le document Code d’éthique et politique de divulgation protégée applicables aux employés de l’Université Concordia. Elle entendait ainsi définir plus clairement ce qui constitue un conflit d’intérêts réel ou apparent en ce qui a trait aux relations romantiques ou sexuelles entre professeur∙es et étudiant∙es, ainsi que mettre en place un processus de divulgation clair. Ces règles importantes doivent être communiquées régulièrement et appliquées rigoureusement.
Nous pensons que toute relation romantique ou sexuelle entre un∙e membre du corps professoral et un∙e membre de l’effectif étudiant, qu’elle soit ou non jugée consensuelle, entrave la réalisation par l’Université de sa mission, qui consiste, entre autres, à offrir un milieu d’apprentissage et de travail sûr et sécuritaire. L’Université étant le principal responsable de la mise en oeuvre de sa mission, elle doit s’assurer que toute relation romantique ou sexuelle de ce type soit divulguée immédiatement. Ce devoir de divulgation incombe naturellement à la personne en autorité. Bien que les conditions déclenchant une obligation de divulgation devraient se passer d’explications, l’enquête sur le climat nous pousse à conclure que, malheureusement, de telles explications sont nécessaires. Deux (2), et seulement deux (2) faits objectifs et facilement reconnaissables devraient déclencher une double obligation de divulgation immédiate, c’est-à-dire celle qui incombe à un∙e membre du corps professoral de divulguer sa relation avec un∙e étudiant∙e, et celle qui incombe à l’Université d’adopter sur-le-champ les mesures nécessaires et appropriées pour résoudre le conflit d’intérêts réel ou apparent (y compris le retrait possible dudit ou de ladite membre du corps professoral de son rôle de supervision) : 1) une relation romantique ou sexuelle est survenue; et 2) la ou le membre du corps professoral détient un pouvoir ou une autorité sur l’étudiant∙e.
Tout∙e professeur∙e qui entretient une relation romantique ou sexuelle avec un∙e étudiant∙e doit impérativement suspendre toutes ses activités d’évaluation de l’étudiant∙e concerné∙e et divulguer immédiatement la relation au moyen d’un formulaire prévu à cet effet. Ainsi, toutes les mesures d’accommodement raisonnables et nécessaires pour résoudre le conflit d’intérêts réel ou apparent pourront être mises en oeuvre sans délai. L’Université ayant l’obligation de préserver la relation pédagogique, elle doit s’assurer que l’étudiant∙e qui entretient la relation romantique ou sexuelle reçoive une évaluation objective et impartiale, et que toutes les parties concernées soient protégées. À notre avis, la suspension de toutes les activités d’évaluation doit être amorcée dès la survenance d’un conflit d’intérêts, et la divulgation de la relation, faite au plus tard deux (2) jours ouvrables après la survenance du conflit d’intérêts. Par exemple, si un∙e membre du corps professoral découvre le premier jour d’un cours qu’un∙e étudiant∙e avec qui il ou elle a antérieurement eu une relation romantique ou sexuelle consensuelle est dans sa classe, la suspension de toutes les activités d’évaluation de cet∙te étudiant∙e doit s’amorcer sur-le-champ, et la divulgation du conflit d’intérêts doit être faite dans les deux (2) jours ouvrables suivant cette découverte. Bien entendu, les conflits d’intérêts peuvent survenir de nombreuses autres façons, mais, comme nous l’avons indiqué plus haut, ceux-ci doivent être divulgués immédiatement.
Il va sans dire que la divulgation par un∙e membre du corps professoral de ce qu’il ou elle considère comme une relation romantique ou sexuelle consensuelle n’empêche nullement l’étudiant∙e faisant l’objet de cette divulgation d’avoir une autre perception de la relation et de se prévaloir de l’ensemble des recours à sa disposition.
Cela dit, lorsque le législateur a adopté le projet de loi 151 (Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur), il a décidé de ne pas interdire les relations romantiques ou sexuelles consensuelles entre professeur∙es et étudiant∙es. Or, selon nous, même quand le conflit d’intérêts généré par une relation romantique ou sexuelle entre un∙e professeur∙e et un∙e étudiant∙e peut être géré adéquatement, ce type de relation n’a pas sa place à l’Université. Le risque d’abus ou de malentendu gravement préjudiciable est beaucoup trop important. Bien que nous souhaitions voir le législateur aller plus loin et interdire expressément ces relations, l’Université doit se conformer au cadre législatif en vigueur.
De nombreuses et nombreux étudiant∙es qui ont participé au sondage ont rapporté que des membres du corps professoral avaient eu des comportements inappropriés lorsqu’ils ou elles enseignaient en classe. Aux yeux de ces étudiant∙es, ces comportements étaient insensibles ou discriminatoires (avoir l’impression de ne pas être entendu∙e, se faire crier dessus, être l’objet de moqueries au sujet de ses travaux, entendre des propos choquants ou racistes, minimiser les enjeux liés à l’identité sexuelle ou de genre). Il semble exister un continuum d’inconduites au degré d’intensité croissant, allant de commentaires irrespectueux jusqu’à la violence sexuelle. Les comportements insensibles décrits plus haut semblent être perçus par certain∙es étudiant∙es comme faisant partie de ce continuum et constituant la facette la plus visible de l’indifférence de certain∙es membres du corps professoral quant au bien-être des étudiant∙es. Il appert également que certain∙es membres du corps professoral ont de la difficulté à gérer adéquatement les discussions en classe sur divers thèmes sensibles. Néanmoins, bon nombre de personnes répondantes ont déclaré avoir eu des professeur∙es dévoué∙es, respectueux et respectueuses, et d’un grand professionnalisme.
À notre avis, certains de ces problèmes s’expliquent en partie par les différences générationnelles chez les étudiant∙es ainsi que par l’évolution des normes d’acceptabilité sociale. Ces défis ne sont pas spécifiques à l’Université Concordia et semblent correspondre à des situations observées dans d’autres campus nord-américains. Les membres du corps professoral doivent être sensibilisés à ces enjeux.
Les comportements irrespectueux sont contraires à l’objectif de l’Université de susciter la réflexion et des débats et de remettre en question des idées, tout en favorisant les apprentissages grâce à un milieu sain pour les étudiant∙es. Nous réitérons qu’il incombe à l’Université d’offrir un milieu de travail et d’apprentissage sain et sécuritaire, et de fixer des normes définissant ce qui est approprié dans toutes les formes de communication.
Selon les données recueillies durant l’enquête sur le climat, de nombreuses et nombreux étudiant∙es qui ont répondu au sondage ressentent de la méfiance envers l’Université en raison des comportements inappropriés décrits aux sections précédentes et de la façon dont elle a traité les plaintes liées aux diverses formes d’inconduite.
Pour bon nombre de personnes participantes, cette méfiance découle d’une perception d’inaction de l’Université et du fait que celle-ci ne semble avoir pris de mesures concrètes au sujet de certaines inconduites qu’après que certaines allégations ont été rendues publiques. Une perception également partagée par d’autres personnes est celle selon laquelle l’Université était au courant depuis longtemps de ces inconduites alléguées ou qu’elle aurait dû l’être.
Il semble en outre y avoir une méfiance à l’endroit des ressources offertes par l’Université. Comme on le voit dans l’Annexe 1, le degré de confiance à l’égard des ressources et des processus de signalement de l’établissement est relativement faible, tout comme le degré de compréhension de ces ressources et processus. Des membres de l’effectif étudiant ont déclaré avoir reçu des renseignements contradictoires à propos des processus, des délais à respecter, des étapes à suivre pour déposer une plainte, du traitement des plaintes et des enquêtes qui s’y rapportent, ou avoir eu de la difficulté à obtenir de l’information exacte sur ces sujets. Tous ces renseignements devraient être accessibles aux membres de l’effectif étudiant dès les premières étapes d’un signalement. En effet, certain∙es membres de l’effectif étudiant ont décrit, selon leur compréhension, les critères relatifs au dépôt d’une plainte, et ces critères ne semblaient pas coïncider avec les dispositions des politiques et des procédures de l’Université. Certain∙es membres du corps professoral ont également rapporté que les étudiant∙es ne possédaient pas une grande connaissance des détails relatifs aux options de signalement. Certain∙es étudiant∙es ont déclaré avoir reçu à ce sujet des messages contradictoires ou des renseignements inexacts de l’établissement ou des membres du corps professoral.
De plus, des membres de l’effectif étudiant ont déclaré craindre des représailles des membres du corps professoral contre ceux ou celles qui déposaient une plainte. Ces craintes sont exacerbées par l’inégalité de pouvoir entre étudiant∙es et membres du corps professoral ainsi que par l’impact que ces derniers et dernières peuvent avoir sur la carrière universitaire ou artistique d’un∙e étudiant∙e, comme il en a été question à la section précédente.
À notre avis, la méfiance est également attribuable au fait que les étudiant∙es ne sont pas informé∙es des résultats découlant des plaintes qu’ils formulent. Nous comprenons la frustration ressentie par les membres de l’effectif étudiant et les plaignantes et plaignants lorsqu’ils ne reçoivent pas toute l’information voulue après la clôture du traitement d’une plainte ou d’une enquête. Nous nous imaginons bien pourquoi une personne plaignante pourrait souhaiter obtenir cette information après avoir subi un méfait. Par ailleurs, nous regrettons encore une fois que le législateur, au moment d’adopter le projet de loi 151 (la Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur), ne soit pas allé plus loin en libérant les universités de leurs obligations en matière de protection de la vie privée et de confidentialité relatives aux affaires liées à l’emploi dans les cas de violence sexuelle alléguée.
Il faut également souligner que les différentes sources de méfiance décrites dans la présente section pourraient expliquer pourquoi les membres de l’effectif étudiant se tournent vers les médias sociaux pour exprimer leurs préoccupations au lieu de passer par les voies officielles.
Les préoccupations relatives au manque d’information semblent concorder avec celles relevées par le Groupe de travail. Selon nous, les recommandations formulées par le Groupe de travail concernant l’éducation, la formation et les communications sont cruciales. Les membres de l’effectif étudiant doivent être informé∙es des ressources à leur disposition, et les membres du corps professoral et du personnel doivent être mis∙es au courant des options de signalement pour fournir un soutien et un aiguillage appropriés aux étudiant∙es. Il incombe à l’Université d’informer sa communauté et de faire la promotion de sa mission, de ses politiques et de ses ressources afin de préserver ses valeurs fondamentales. Dans le cadre de la réalisation de notre mandat, nous avons noté que l’Université fait la promotion des règles et des responsabilités prévues au Code de conduite pédagogique par divers moyens, et qu’une page de son site Web est consacrée exclusivement à ce sujet. Nous croyons que des campagnes de sensibilisation et des outils semblables devraient être utilisés pour mieux expliquer les diverses options de signalement dont disposent les membres de l’effectif étudiant.
Au fil des ans, l’Université a adopté certaines règles et politiques qui reflètent sa mission et favorisent la courtoisie, l’équité, le respect, la non-discrimination et la reconnaissance de la diversité. Le Code des droits et des obligations, le Code d’éthique et politique de divulgation protégée applicable aux employés de l’Université Concordia et ses Directives concernant les relations romantiques ou sexuelles consensuelles, la Politique sur le harcèlement sexuel, psychologique ou autre et la Politique sur la violence à caractère sexuel constituent des exemples de telles politiques.
L’Université offre en outre de nombreuses ressources à ses étudiant∙es ainsi qu’aux membres du personnel qui ont été l’objet d’une inconduite, quelle qu’elle soit. Ces ressources comprennent par exemple le Bureau des droits et des obligations, le Centre d’aide aux survivantes et survivants d’agression sexuelle et le Service de mieux-être et de soutien de l’Université.
Nous reconnaissons que ces initiatives concrètes sont des solutions pertinentes aux problèmes décrits dans le présent rapport. Afin d’améliorer le climat au sein du Département d’études anglaises, nous recommandons que l’Université fasse fond sur les mesures déjà en place et mette en oeuvre les recommandations formulées par le Groupe de travail ainsi que les recommandations ci-dessous.
1. L’Université devrait promouvoir activement ses valeurs de courtoisie, d’équité, de respect, de non-discrimination et de reconnaissance de la diversité. L’Université devrait s’assurer de faire connaître ces valeurs à tous et à toutes les membres du corps professoral, du personnel et de l’effectif étudiant ainsi qu’aux nouveaux et nouvelles employé∙es et à tout∙e membre de la communauté. Elle devrait affirmer son engagement à ne tolérer aucune forme d’inconduite et poursuivre la mise en oeuvre de toutes les mesures appropriées. Il devrait y avoir un seul message clair sur ce qui est attendu de tous et toutes, et sur le fait que les inconduites ne seront pas tolérées.
2. La formation théorique et préventive des membres du corps professoral et du personnel devrait, si ce n’est pas déjà le cas, comprendre les éléments suivants :
- les valeurs fondamentales de l’Université, énoncées dans ses politiques;
- la définition d’une relation romantique ou sexuelle (et préciser qu’elle peut se résumer à un seul rendez-vous ou à une seule rencontre sexuelle);
- des indications sur la notion de consentement, sur ce qu’exige le consentement et sur les facteurs pouvant avoir une incidence sur celui-ci;
- une présentation des tenants et aboutissants ainsi que des responsabilités quant aux relations où il y a déséquilibre de pouvoir;
- des consignes relatives au signalement de tout conflit d’intérêts et au retrait des fonctions de supervision du ou de la professeur∙e (précisant qu’un signalement doit être fait sur-le-champ);
- une description des conséquences d’une absence ou d’un retard de signalement ainsi que des sanctions qui en résultent;
- une sensibilisation aux enjeux culturels en émergence.
3. Les membres du corps professoral et du personnel devraient recevoir une formation supplémentaire sur les diverses options de signalement officielles et informelles offertes aux étudiant∙es qui ont fait l’objet d’une quelconque forme d’inconduite. Les membres du corps professoral et du personnel devraient également être formé∙es sur la manière adéquate de répondre à un∙e étudiant∙e qui formule une plainte et de lui fournir du soutien.
Tout membre du corps professoral ou du personnel nouvellement affecté∙e à un poste d’autorité au sein du Département d’études anglaises devrait recevoir une formation supplémentaire et approfondie à ce sujet.
4. Non seulement les étudiant∙es devraient être visé∙es par des campagnes d’information supplémentaires sur les diverses options de signalement officielles et informelles, mais l’Université devrait également s’assurer que les renseignements sur les processus applicables à ces options soient facilement accessibles aux étudiant∙es, et clairement expliqués dès la formulation de toute plainte.
5. L’Université devrait désigner une personne-ressource chargée d’assurer la liaison avec les personnes plaignantes concernées par des enquêtes en cours afin qu’elle leur transmette de l’information et réponde à leurs questions au sujet des processus.
6. Les personnes nouvellement embauchées devraient lire, accepter et signer toutes les politiques les touchant, y compris celles traitant des relations romantiques ou sexuelles entre professeur∙es et étudiant∙es. L’Université devrait également s’assurer que ces politiques et les valeurs qui les sous-tendent soient bien comprises par toute personne nouvellement embauchée. Un accent particulier devrait être mis sur les valeurs fondamentales de l’Université, les Directives concernant les relations romantiques ou sexuelles consensuelles, les conflits d’intérêts, les obligations qui s’y rapportent et les conséquences qui en découlent, l’obligation de l’Université d’offrir à sa communauté un milieu sûr et sécuritaire ainsi que les graves répercussions de tout manquement à cet égard.
7. Afin de réduire toute apparence de favoritisme, le Département d’études anglaises devrait élaborer et mettre en oeuvre un processus de sélection pour les occasions de publication, les prix littéraires, les possibilités d’emploi et les stages. Parmi les mesures à envisager, mentionnons l’établissement de jurys mixtes et la sélection anonyme des oeuvres récompensées. L’Université devrait reconnaître l’importance d’offrir à tous les membres de l’effectif étudiant des occasions égales ainsi qu’un processus de sélection clairement défini.
8. L’Université devrait interdire la tenue de cours dans les bars.
9. L’Université devrait établir des directives explicites concernant les activités sociales réunissant des membres de l’effectif étudiant et du corps professoral (y compris un énoncé en vertu duquel les membres du corps professoral doivent s’abstenir en tout temps d’encourager les étudiant∙es à consommer de l’alcool ou des drogues).
10. L’Université devrait établir des directives définissant explicitement les conditions dans lesquelles les cours peuvent être donnés hors des installations de l’Université.
11. Dans deux (2) ans, le comité permanent sur l’inconduite sexuelle et la violence à caractère sexuel devrait mener un nouvel examen du climat au Département d’études anglaises et, en fonction des résultats obtenus, prendre toute mesure appropriée pour en poursuivre l’amélioration.
12. L’Université devrait organiser un atelier avec les membres du corps professoral et du personnel du Département d’études anglaises afin de discuter des présentes recommandations et de fournir une formation sur les problèmes à l’origine de l’enquête sur le climat.
13. Le comité permanent sur l’inconduite sexuelle et la violence à caractère sexuel devrait être chargé de passer en revue et de mettre en oeuvre les présentes recommandations.
En notre nom et au nom de l’Université, nous tenons à remercier toutes les personnes qui ont participé à l’enquête sur le climat ou qui nous ont fourni une quelconque assistance. Nous désirons tout particulièrement exprimer notre gratitude aux personnes répondantes qui ont fait preuve d’une force et d’un courage sans pareils en communiquant leurs expériences personnelles et les difficultés vécues.
Annexes

