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Les amis, une influence qui dure

En conversation —  William BUKOWSKI et Cindy FINN

Écoutez le balado

William Bukowski and Cindy Finn

Chercheur et professeur de psychologie à Concordia, William Bukowski a consacré plus de 30 années à résoudre un joyeuxcasse-tête : l’organisation groupale chez les enfants.

Comment les écoliers jouent-ils et apprennent-ils? Comment les jeunes créent-ils des alliances au camp de vacances ou à la patinoire? Comment de petits voisins se réunissent-ils en bande?

Enfin, comment expliquer que les enfants s’excluent ou se marginalisent parfois les uns les autres?

Abordant ces questions et d’autres encore, les travaux novateurs deM. Bukowski exposent les fondements mêmes de l’être humain en tant qu’animal social.

Écoutez le balado

 

Holà! Les fiers-à-bras…

« L’attention portée aux comportements négatifs en classe, dont l’agression et l’exclusion, est excessive. […] Cette sorte d’hystérie populaire autour de la victimisation nous fait oublier les charmes de l’amitié », regrette M. Bukowski.

Ses travaux tempèrent cet excès : plutôt que de cibler les aspects néfastes de l’isolement, ils s’intéressent également aux avantages permanents que procure un réseau social florissant.

Les recherches de M. Bukowski auprès d’écoliers colombiens et argentins ont dégagé des perspectives passionnantes. Ainsi, notre société de consommation favoriserait les alliances entre privilégiés. Ce constat semble-t-il contredire la théorie de Clifford Geertz, grand anthropologue des sociétés? Qu’importe! Marx aurait compris qu’ici, la classe se joue de l’appartenance ethnique.

Par ici, les amis!

Dans sa carrière, le professeur Bukowski – qui dirige aussi le Centre de recherche en développement humain de Concordia – a obtenu des fonds substantiels des principaux organismes subventionnaires, notamment le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture.

Il est parvenu à cette importante conclusion : les enfants entourés d’amis réussissent mieux à l’école et connaissent par la suite une existence plus accomplie que leurs camarades qui ne communiquent pas avec leurs pairs.

Les amis aident à se sentir bien dans sa peau, à l’aise en société. De plus, nouer des amitiés et les cultiver enseignent à vivre en harmonie, à résoudre les problèmes et à communiquer à l’intérieur d’un groupe. Autant de leçons inestimables, qui s’avéreront profitables la vie durant.

Selon M. Bukowski, le contraire est également vrai. La difficulté à lier amitié ou l’exclusion sociale – peu importe le motif – se caractérisent par leur corrélation avec un piètre rendement scolaire et professionnel, d’éventuels troubles mentaux et d’autres séquelles.

En conversation — Au-delà des manchettes

Au cours d’une conversation variée à Concordia, William Bukowski et Cindy Finn, psychologue et administratrice de commission scolaire, ont exploré les relations interpairs chez l’enfant. Ils ont aussi abordé le sujet suivant : la réussite – ou l’échec – dans ces rapports d’amitié essentiels établit des modèles qui s’appliqueront en permanence à l’école, au travail et dans la vie en général.

Cet entretien a permis à M. Bukowski de se pencher sur ses recherches des dernières décennies en compagnie d’une collègue aussi passionnée qu’informée.

Au fait, les travaux avant-gardistes du professeur Bukowski se traduisent-ils par de meilleures pratiques en classe?

Cindy Finn répond sans hésiter : « Avoir des partenaires universitaires constitue un réel avantage; nous l’apprécions vraiment à la commission scolaire. […] Nous sommes de grands consommateurs de recherche. […] L’un des attraits de la relation qui unit la commission scolaire et Concordia, c’est que toute collaboration fournit l’occasion au chercheur de revenir sur place vulgariser ses conclusions et de nous proposer des stratégies pratiques à adopter dans nos classes. »

Populaire? Oui, mais…

Selon M. Bukowski, la popularité ne suscite pas l’estime, et inversement : « Les deux phénomènes sont liés, mais même avec beaucoup d’imagination, on ne saurait dire qu’ils sont identiques. »

Bénéfique, l’amitié!

W. B. : Des études montrent que l’enfant qui éprouve de la difficulté à interagir avec ses pairs risque fort de subir des répercussions négatives à l’âge adulte : se retrouver derrière les barreaux, recevoir un diagnostic de troubles psychiatriques, être licencié de l’armée, faire face au chômage... Effectivement, la criminalité d’un individu est étroitement associée au rôle qu’il a joué durant son enfance.

L’argument contraire est toutefois recevable, selon M. Bukowski. Une pluralité d’amitiés « vaccinerait » contre les conséquences néfastes des différents types d’agression, notamment l’intimidation et l’exclusion. Autrement dit, l’écolier entouré d’amis risque moins de devenir le souffre-douleur du fier-à-bras de la classe.

W. B. : L’amitié protège l’enfant qui a vécu des expériences négatives ou qui, à la suite de telles expériences dans son jeune âge, est vulnérable. […] L’amitié exerce un effet tampon sur les conséquences néfastes des facteurs de risque immédiats et de ceux qui nuiraient éventuellement au développement de l’enfant.

Comment le mécanisme de protection fonctionne-t-il? M. Bukowski reconnaît que la science n’a pas encore résolu cette question… mais il entend bien y répondre grâce à ses recherches!

À propos de l’agressivité

C. F. : Le professeur Bukowski a traité de la différence entre les facteurs sympathie et pouvoir. C’est un mystère que les enseignants peinent à élucider. En effet, l’enfant agressif ou tyrannique dispose quelquefois d’un grand pouvoir.

W. B. : La corrélation entre la popularité et l’agressivité est bien plus forte qu’on pourrait le croire. […] Parfois, l’enfant est agressif et il parvient à persécuter les autres. Comme le disait Mme Finn, il finit souvent par être mal aimé, sinon rejeté. Cependant, un autre enfant peut lui aussi faire preuve d’agressivité et néanmoins acquérir un certain statut dans le groupe. Même, il sera souvent très apprécié. Par conséquent, l’enfant qui sait bien doser son agressivité acquiert lui-même un certain pouvoir. Cette situation crée une dynamique vraiment difficile pour l’enseignant.

Les relations interpairs des privilégiés

L’amitié pourrait sembler plus importante pour l’enfant défavorisé. […] Est-ce bien le cas?

Les hypothèses d’origine de M. Bukowski n’ont pas résisté à l’évidence. Le professeur a été franchement étonné par les liens qu’il a découverts entre le statut socioéconomique d’un enfant et le succès de ce dernier dans ses relations avec ses camarades.

Les quatre clés du savoir

C. F. : Comme le soulignait le professeur Bukowski, nous avons appris dans les dernières décennies […] que la réussite scolaire ne constitue qu’un aspect de la compétence. Toutefois, la notion globale de socialisation fournit certainement un outil important pour contribuer au succès de l’écolier.

W. B. : Je ne sais pas qui a inventé l’expression, mais on parlait à une certaine époque des trois clés du savoir : l’écriture, la lecture et le calcul. Il en existe maintenant une quatrième : les relations. […] Mme Finn a d’ailleurs très bien résumé la question. Pour les enseignants, la transmission de l’information s’ajoute désormais à leurs tâches de gestion.

C. F. : J’ai constaté de formidables avancées […] dans cette théorie que nous avions l’habitude de nommer « curriculum caché », le dernier volet de l’apprentissage social et affectif. Nous sommes beaucoup plus explicites, nous indiquons par exemple à l’enfant qu’il peut être en désaccord avec ses pairs, mais qu’il doit cependant utiliser les bons mots pour exprimer ce désaccord.

W. B. : Mesurer l’importance de cette quatrième clé fait la qualité de l’enseignant. C’est primordial non seulement pour promouvoir le sens du bien-être et de l’appartenance chez les élèves, mais aussi pour favoriser leur développement cognitif sous une autre forme.

William Bukowski

William BUKOWSKI

Né à Buffalo (New York), William Bukowski possède un doctorat en psychologie du développement avec une mineure en psychologie clinique de l’Université d’État du Michigan. Menant des travaux à l’international, il est l’auteur de dizaines d’articles scientifiques et de chapitres d’ouvrages spécialisés, et le bénéficiaire de subventions de recherche externes.

Ses débuts professionnels – auprès de volontaires jésuites – l’amènent à enseigner les mathématiques aux enfants de l’école autochtone St. Labre au Montana. Cette expérience influence toujours son travail, auquel elle confère sens social et pédagogique.

Sa relation avec les jésuites prend un nouveau tournant à son arrivée, en 1989, au campus Loyola de Concordia, car la congrégation a fondé l’établissement! En 1999, M. Bukowski est nommé directeur fondateur du Collège international Loyola, poste qu’il occupe jusqu’en 2004.

Cindy Finn

Cindy FINN

Cindy Finn est directrice des Services aux élèves à la Commission scolaire Lester-B.-Pearson, la plus grande administration anglophone du genre au Québec. Précédemment psychologue scolaire, elle épaulait des écoliers ayant des besoins particuliers. Titulaire d’un doctorat en psychopédagogie de l’Université McGill, Mme Finn a travaillé tant au Canada qu’aux États-Unis, publié des résultats de recherche, donné des conférences universitaires et présenté des communications à Concordia et à McGill. Ses travaux portent sur les troubles comportementaux, les perturbations affectives, les pratiques pédagogiques intégratrices et la collaboration parents-enseignants dans le contexte de l’enfance en difficulté.

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