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Repenser l’engagement communautaire dans les programmes d’amélioration des bidonvilles au Ghana

Le chercheur de l’Université Concordia Gideon Abagna Azunre étudie la manière dont les résidents participent réellement aux efforts internationaux de revitalisation des quartiers urbains défavorisés
December 11, 2025
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Un jeune homme noir souriant, aux cheveux courts, vêtu d'une chemise à motifs orange, marron et beige. Les recherches de Gideon Abagna Azunre portent sur l’élaboration de stratégies inclusives et équitables pour la revitalisation des quartiers urbains pauvres.

Les projets d’urbanisme promettent souvent de donner la parole aux communautés, mais dans quelle mesure la participation citoyenne influe-t-elle réellement sur le cours des choses? Gideon Abagna Azunre, doctorant au Département de géographie, urbanisme et environnement, a cherché à répondre à cette question en étudiant divers programmes internationaux, dont le programme Greater Accra Resilient and Integrated Development (GARID). Cette initiative de la Banque mondiale vise à réhabiliter les bidonvilles d’Accra, au Ghana. 

Les conclusions de M. Azunre révèlent une réalité complexe. Les réunions, les comités et les plateformes numériques visent à impliquer les résidents dans ce type d’initiatives. Or, beaucoup estiment que leur participation n’a pas vraiment de poids, et évoquent la fatigue, les pressions politiques et l’influence écrasante des bailleurs de fonds internationaux. 

Dans cet entretien, M. Azunre présente les conclusions, les défis et les recommandations émanant de ses recherches.

Qu’est-ce qui vous a incité au départ à étudier les processus participatifs liés à la revitalisation des quartiers informels, en particulier à Accra?  

Gideon Azunre: Ayant grandi dans différentes villes du Ghana (Bolgatanga, Tamale et Kumasi), j’ai été frappé par l’ampleur des bidonvilles et le désintérêt flagrant des autorités nationales et municipales à leur égard. Accra est encore plus problématique, car c’est la capitale du pays et la principale destination des migrants pauvres, en particulier ceux venant du nord, d’où je suis originaire. Bien que ces quartiers offrent à des millions d’habitants des logements abordables, leur gouvernance peut être brutale, se manifestant entre autres par des expulsions et des expropriations militarisées. 

Mes recherches doctorales portent sur l’élaboration de stratégies inclusives et équitables permettant la revitalisation de ces quartiers. La rénovation participative des bidonvilles, souvent financée par des fonds internationaux, est largement saluée dans les milieux universitaires et politiques. Je me suis demandé dans quelle mesure ces programmes étaient réellement « participatifs » et comment les résidents vivaient les processus de planification, de conception et de mise en œuvre. 

Mon travail s’appuie sur une perspective décoloniale du Sud, une approche orientée vers l’action qui s’oppose aux structures de pouvoir dominantes et exclusives dans les sociétés postcoloniales. L’objectif est de fournir des preuves détaillées sur la manière dont les programmes financés par la Banque mondiale et ONU-Habitat fonctionnent dans des contextes informels. Cette démarche remet en question les approches courantes en matière de participation, et ce, en mettant l’accent sur les expériences des résidents et en renforçant leur influence dans les processus essentiels à leur survie. 

Ces communautés sont souvent confrontées à des inégalités intersectionnelles liées à l’ethnicité, au genre et au revenu. Dans ce contexte, mes recherches mettent en lumière des moyens culturellement adaptés pour impliquer les groupes vulnérables. 

Un homme noir est debout, adossé à un mur, tenant des papiers dans ses mains, dans une petite ruelle au Ghana. Deux personnes noires, une femme et un homme, sont assises sur un banc en bois et semblent parler à l'homme debout. « La participation semblait souvent inclusive à première vue, mais elle était vécue très différemment par les résidents », témoigne Gideon Abagna Azunre.

Au cours de vos conversations avec les résidents et les leaders communautaires, qu’avez-vous appris concernant les limites liées à la participation à ces processus? 

GA: J’ai constaté que la participation semblait souvent inclusive à première vue, mais qu’elle était vécue très différemment par les résidents. Beaucoup ont mentionné les politiques informelles, l’influence des élites et ce que j’ai fini par appeler le « syndrome du béni-oui-oui », c’est-à-dire le pouvoir silencieux des bailleurs de fonds et des fonctionnaires qui décourage les gens de manifester leur désaccord ou d’influencer l’ordre du jour.  

Bien que les résidents aient été invités à des réunions et à des consultations, 62 % d’entre eux ont déclaré qu’ils estimaient que leur participation n’était pas utile. Ils ont décrit des situations où les plans étaient déjà décidés, où d’autres priorités étaient écartées faute de financement et où s’exprimer risquait d’avoir des répercussions. Tout cela donnait l’impression que la participation était plus symbolique que réelle.  

En quoi la dynamique politique locale a-t-elle compliqué ou façonné le processus participatif? 

GA: Les luttes de pouvoir autour des programmes étaient très répandues. Les élus locaux tentaient souvent d’exercer leur emprise sur les groupes représentatifs comme les comités de développement communautaire. Ce phénomène était particulièrement flagrant lorsque j’ai mené mon travail de terrain entre mars et juillet 2024. À quelques mois des élections nationales, les deux principaux partis politiques (le Congrès national démocratique et le Nouveau parti patriotique) se sont servis des programmes pour séduire les électeurs ou faire des promesses contre-productives. 

Les parties prenantes usuelles ont également influencé la participation, invitant parfois uniquement leurs alliés aux réunions. J’analyse ces dynamiques de manière plus critique dans deux autres articles de ma thèse de doctorat.   

Que révèlent vos conclusions sur le rôle des organisations internationales comme la Banque mondiale dans la définition du climat et de la structure de la participation?  

GA: Les organisations internationales jouent un rôle clé en exigeant des mesures inclusives de la part des responsables municipaux et régionaux, par exemple en garantissant une indemnisation aux entreprises et aux ménages déplacés, ce qui n’est pas courant au Ghana. Cependant, leur bureaucratie et le « pouvoir silencieux » qu’elles exercent, amplifiés par le « syndrome du béni-oui-oui », peuvent également produire un consensus artificiel et des résultats porteurs d’exclusion, comme le fait de négliger les besoins urgents.

Que peuvent faire les bailleurs de fonds et les gouvernements pour réduire la lassitude des participants et diminuer les « coûts » de l’engagement pour les résidents? 

GA: Dans mon article, je propose de gérer les budgets des projets, d’assurer la transparence des procédures, d’offrir le transport vers les réunions et d’utiliser des stratégies d’engagement informelles. Les Tables de quartier de Montréal sont un bon exemple de participation flexible et fréquente. Elles réunissent les résidents et les partenaires communautaires afin de cerner les priorités du quartier et d’améliorer les conditions de vie. Grâce à la consultation et à l’action collective, ils collaborent sur des questions telles que le logement, la mobilité, la sécurité alimentaire et la cohésion sociale. 

Au Ghana, les organisations locales et les comités de développement communautaire devraient mener ces efforts plutôt que de compter uniquement sur des réunions sporadiques organisées par des planificateurs et des technocrates. 

Comment les divers paliers de gouvernement du Canada pourraient-ils mieux mobiliser les communautés touchées par les inégalités systémiques ou la précarité en matière de logement? Qu’espérez-vous que les décideurs politiques, les urbanistes ou les chercheurs en urbanisme retiennent de vos recherches?  

GA: Je vois de nombreuses leçons à tirer pour les municipalités canadiennes. Elles peuvent notamment apprendre l’importance de consulter régulièrement les résidents afin de comprendre leurs expériences de participation, puis prendre en compte ces commentaires dans les processus futurs. 

Il est également essentiel de reconnaître l’influence du pouvoir subtil et silencieux. De nombreux résidents, en particulier ceux issus des groupes vulnérables, peuvent choisir de ne pas s’exprimer ou participer si les coûts sont élevés. Pour impliquer efficacement les communautés marginalisées, il faut combiner de manière stratégique et intentionnelle des stratégies structurées, des réseaux informels et des liens sociaux. Les outils comme les réseaux sociaux, notamment Facebook et WhatsApp, se sont révélés précieux au Ghana.  

 

Apprenez-en plus sur la recherche menée au Département de géographie, urbanisme et environnement



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