Aller au contenu principal

Au revoir, DEI : vers une refonte culturelle plutôt que des ateliers

par Maureen Adegbidi et Richenda Grazette

Dessin ancien de quatre pigeons aux plumes de couleurs différentes, chacun gonflant sa poitrine Image de la bibliothèque du patrimoine de la biodiversité, via Flickr

Au cours des cinq dernières années, les institutions canadiennes (y compris les organismes sans but lucratif et philanthropiques) ont largement axé leurs initiatives en matière de « diversité, d’équité et d’inclusion » (et parfois de « justice ») sur l’amélioration des moyens d’intégrer et de retenir les personnes marginalisées dans les milieux de travail. Elles proposent ainsi des ateliers sur les pratiques d’embauche, sur ce que les « personnes au pouvoir peuvent apprendre » en travaillant avec différentes communautés et sur les moyens d’assumer ses responsabilités, ou encore des groupes de travail sur la pensée décoloniale et la rédaction de meilleures politiques. Il s’agit là d’initiatives louables et précieuses visant à créer un milieu de travail et un monde meilleurs, mais lorsque l’on dresse le bilan des résultats concrets de ces initiatives de DEI depuis la fin des années 2010, on constate que la situation est restée relativement inchangée, à l’exception peut-être d’une légère augmentation de la diversité au sein des entreprises et des institutions. Cependant, ces dernières continuent de faire face à des charges de travail insoutenables, à des problèmes de rétention et à l’insatisfaction de leur personnel. Concrètement, en quoi notre situation s’est-elle améliorée? Dans quelle mesure avons-nous réellement réussi à mettre en œuvre les principes fondamentaux d’« équité et d’inclusion »? Ou bien sommes-nous seulement devenus diversifiés en apparence?

Concrètement, en quoi notre situation s’est-elle améliorée? Ou bien sommes-nous seulement devenus diversifiés en apparence?

Les initiatives de DEI, désormais courantes, s’intègrent plus ou moins harmonieusement dans le fonctionnement normal d’une entreprise ou d’une institution et ne représentent donc pas la meilleure voie pour un changement significatif. Dans cet article, nous cherchons à critiquer ces initiatives en adoptant un point de vue anticapitaliste et de gauche, en avançant que les initiatives de DEI classiques ne constituent pas la meilleure solution pour un changement significatif. Au lieu de cela, nous devons toutes et tous encourager nos lieux de travail à tenir compte du contexte dans lequel évoluent les employé·e·s, à composer avec la gêne occasionnée par une restructuration organisationnelle importante et à tenir des conversations difficiles.

Les politiques ne suffisent pas

Prenons cet article de Sherlyn Assam, récemment publié dans The Philanthropist, qui cite des recherches montrant que le recrutement de femmes à des postes de direction peut contribuer à l’inclusion, mais ne transforme pas fondamentalement une organisation. Dans son article, Sherlyn Assam explique que les changements apportés à nos méthodes de travail ont potentiellement plus de poids que le simple fait de recruter des femmes dans l’organisation ou de leur confier des postes de direction. Les pratiques d’embauche symboliques comme celles-ci restent des pratiques opportunistes : il est facile d’embaucher une femme (en particulier une femme de couleur) pour pourvoir un poste de direction et d’espérer que sa simple présence ouvrira la voie à un nouvel avenir. Mais les politiques et les pratiques d’embauche ne suffisent malheureusement pas et sont, une fois de plus, représentatives de la mort du mouvement au profit du néolibéralisme et des intérêts de la classe professionnelle. En d’autres termes, plutôt que d’œuvrer pour la solidarité ou de transformer la culture de travail (ce qui suppose parfois de devoir assumer les conséquences d’une opposition aux institutions), nous considérons que l’ascension de certaines personnes au sein des structures existantes de ces institutions constitue un « pas suffisamment important » dans la lutte contre l’oppression.


Pensez aux politiques de diversité rédigées par votre organisation. Ou pensez aux formations, aux « énoncés de mission », aux « boîtes à outils », ou aux nombreuses affiches qui jonchent le paysage institutionnel. Comme l’explique Sarah Ahmed dans son livre On Being Included : Racism and Diversity in Institutional Life, lorsque le « document » (c’est-à-dire la boîte à outils ou la politique) « devient un fétiche », même le personnel travaillant sur la diversité à l’interne s’en détache (p. 87). Dans ces institutions, les documents deviennent une démonstration d’inclusion, servant de substitut pratique à l’action – un artefact de bonne volonté –, plutôt que d’entraîner un véritable changement interne. Ces documents restent souvent inachevés ou ne sont jamais mis en œuvre, mais on y fait néanmoins référence lorsque des questions sur les conditions de travail du personnel sont soulevées. Il est important de noter que le fait de considérer ces documents comme seuls garants des pratiques « réelles » au sein d’une organisation renforce la culture de suprématie blanche en milieu de travail. Comme le dit le Centre des organismes communautaires, « la sacrosainte parole écrite » efface les autres formes de relations et de connaissances, privant ainsi l’organisation d’informations précieuses et favorisant la concentration du pouvoir entre les mains de quelques personnes.

Le piège des « documents » ne concerne pas uniquement les grandes institutions; les organisations et les milieux de travail de toutes tailles et de tous les secteurs ont besoin d’une refonte culturelle. Prenons l’exemple du secteur communautaire, connu pour son mode de gouvernance alternatif et ses politiques « progressistes ». Même dans ces organisations à but non lucratif, où il existe des politiques écrites, les pressions internes et les problèmes liés au travail demeurent les mêmes : surcharge de travail, épuisement professionnel, répartition inéquitable des tâches (souvent selon le genre ou la race). Bien que les institutions soient plus susceptibles d’adopter des approches vides et superficielles en matière de DEI que les organisations communautaires (d’autant plus que les institutions s’approprient les concepts et les approches de ces mêmes organisations), le fait que même celles qui ont les politiques les plus progressistes se heurtent à des obstacles similaires prouve que les politiques et les bonnes intentions ne sont pas des outils efficaces pour instaurer la justice sociale.

https://ignatiansolidarity.net/wp-content/uploads/2014/01/RankPriv-handout.pdf

Le secteur de la DEI se concentre également, dans une large mesure, sur les structures propres au « pouvoir global » : il élabore des formations et des outils qui visent tous les types de pouvoir qui entrent dans l’organisation depuis l’extérieur. Si ces dynamiques de pouvoir et ces oppressions se manifestent effectivement au sein d’une organisation, le fait de se concentrer presque exclusivement sur elles occulte (voire efface complètement) les nombreux autres types de pouvoir qui perturbent et renforcent les dynamiques oppressives ou conflictuelles. Comme l’écrivent Delfina Vannucci et Richard Singer dans Come Hell or High Water : A Handbook on Collective Process Gone Awry, « on ne peut pas être contre le racisme, le sexisme et l’homophobie tout en restant indifférent aux innombrables autres formes de discrimination envers autrui ou en étant incapable de comprendre le point de vue ou l’expérience des autres » (p. 63).

Alors, que faire?

Les efforts en matière de DEI se sont intensifiés dans un contexte de crise aiguë et, en période de crise, nous cherchons toutes et tous désespérément des solutions. C’est peut-être pour cette raison qu’un si grand nombre de personnes ont fait de la DEI un concept fourre-tout, appliqué de multiples façons par divers consultant·e·s et cabinets aux qualifications et aux opinions politiques variées. Et cela sans même aborder les questions liées à la mise en œuvre, souvent négligée par les entreprises qui préfèrent les changements abstraits, symboliques et esthétiques aux changements structurels. L’idée selon laquelle la DEI nous sauvera des « ismes » est erronée : cette approche est trop absorbée par son propre complexe industriel complexe. Elle est également inadaptée, car les problèmes auxquels font face les employé·e·s, les organisations et le monde dans lequel nous vivons sont bien trop importants pour qu’elle puisse les résoudre. Les initiatives de DEI sont l’un des nombreux outils imparfaits dont nous disposons actuellement pour nous attaquer efficacement aux problèmes d’inégalité liés à de multiples facteurs en milieu de travail.

La DEI n’est qu’une petite pièce du casse-tête plus vaste qu’est la culture organisationnelle, en constantes évolution et croissance. Même si ces pièces semblent souvent être celles du bord (un point de départ qui peut s’avérer utile), sans la partie centrale, vaste et informe, nous sommes encore loin de pouvoir terminer le casse-tête. Considérer la DEI comme quelque chose de plus important que ce qu’elle est réellement ne peut que mener à la déception et à la frustration. De plus, faire de la DEI la solution principale aux problèmes systémiques revient à négliger les mouvements locaux, populaires, syndicaux ou autres qui ont le pouvoir et le potentiel d’apporter des changements concrets et profonds dans les lieux et les espaces où nous travaillons.

Les efforts en matière de DEI se sont intensifiés dans un contexte de crise aiguë et, en période de crise, nous cherchons toutes et tous désespérément des solutions. C’est peut-être pour cette raison qu’un si grand nombre de personnes ont fait de la DEI un concept fourre-tout

Même si nous, les auteures, fantasmons sur l’effondrement du capitalisme et souhaitons ardemment qu’il se produise, ce système reste celui dans lequel nous vivons actuellement. Et dans notre système, comme dans de nombreux autres d’ailleurs, nous devons continuer à travailler. Même dans des systèmes économiques alternatifs, il faut bien que quelqu’un conduise les autobus. Écrire un pamphlet dénonçant les échecs de la DEI et réclamant la destruction des systèmes de travail sans proposer de changements concrets et faciles à mettre en œuvre ne servira à personne dans un avenir proche.

Dans les prochains articles de cette série, nous proposerons différentes mesures que les milieux de travail peuvent mettre en œuvre pour amorcer des changements culturels internes sans avoir recours à un·e consultant·e en DEI (ou peut-être en embauchant simplement quelqu’un pour les aider à démarrer). Bien sûr, il n’existe pas de solution miracle pour mettre fin aux cultures organisationnelles oppressives : nous voulons plutôt inciter les milieux de travail à ouvrir le dialogue et à commencer à repenser leurs approches et leurs croyances au sujet du travail. Nous souhaitons aller au-delà des avantages extrinsèques du travail (congés payés pour tous les types de familles, salaires plus élevés, politiques généreuses concernant les congés et l’épuisement professionnel) pour nous intéresser aux avantages intrinsèques tels que la croissance, l’apprentissage, les relations, la liberté de mouvement et le respect.

Headshot of article writer Autumn Godwin

Richenda Grazette est la Coordonnatrice: financement, communications, et évaluation Coordinator, Community Leadership & Capacity au centre de la transformation sociale SHIFT. Richenda travaille à la création de possibilités de subventions novatrices et accessibles pour des projets de transformation sociale à Concordia et à Montréal. Elle dirige également les processus de sélection participatifs qui sont essentiels à la création d'un pouvoir partagé, en donnant aux membres de la communauté le leadership dans les décisions de financement. Avant SHIFT, elle a passé une dizaine d'années dans les secteurs à but non lucratif et philanthropique de Montréal.

Headshot of article writer Autumn Godwin

Maureen Adegbidi est une travailleuse à but non lucratif et une consultante basée à Tiohtià:ke/Montréal. Elle est titulaire d'un master du Trinity College de Dublin en résolution des conflits et réconciliation. Son travail dans le secteur à but non lucratif a porté sur divers sujets, notamment les droits de l'homme et l'éducation anti-oppression, l'accès à la justice et la sécurité des communautés, et plus récemment les idéologies de misogynie inaccessible et radicalisée. Elle travaille actuellement comme chef de projet et chercheuse dans une organisation de prévention de la violence fondée sur le genre.

Retour en haut de page

© Université Concordia