Selon Jacqueline Peters, B.A. 2008, professeure au Département d’études anciennes, de langues modernes et de linguistiques de Concordia et membre du groupe de travail du recteur sur le racisme contre les Noirs, un autre problème tient au fait que nombre d’établissements ne recueillent et ne partagent pas de données raciales désagrégées dans le but de comprendre le racisme systémique et de le contrer.
Mme Peters précise que nombre de dirigeants ostensiblement intéressés par la lutte contre le racisme ont déjà déterminé la forme que doit prendre ce combat, « mais leur vision diffère de la nôtre ». L’embauche ou la promotion d’une personne racialisée est ainsi souvent présentée comme une victoire contre le racisme institutionnel.
« Le fait de convier une ou deux personnes racialisées à sa table n’est qu’un premier pas vers l’inclusion, affirme Mme Peters. Ce n’est qu’un geste symbolique, pas un changement de cap vers l’équité. »
« L’équité, la diversité et l’inclusion passent par l’égalité de toutes et tous. Pour y parvenir, il faut réfléchir à de nouvelles manières d’être et de penser. Il faut écouter les personnes dont l’apparence ou la manière de penser diffère de celles que l’on convie normalement à sa table. Le fait d’intégrer une femme blanche à une équipe majoritairement constituée d’hommes blancs ne contribue pas vraiment à la diversité. »
Vicky Boldo constate le peu de volonté politique visant à remédier au tort causé aux Autochtones pendant des siècles. Elle souligne entre autres que la Loi canadienne sur les Indiens, discriminatoire, est toujours bien en place.
Mme Boldo souligne aussi que le dernier pensionnat, que rien ne distinguait selon elle d’un camp d’internement pour enfants, n’a fermé ses portes qu’en 1996, et que les commissions et rapports nationaux et provinciaux n’ont cessé de se succéder.
Elle cite entre autres la Commission royale sur les peuples autochtones, la Commission de vérité et réconciliation ainsi que, plus récemment, le Rapport de la commission Viens et le rapport final publié à la suite de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
« Et en mai dernier, ajoute Mme Boldo, on a eu droit au rapport de 550 pages de la commission Laurent, qui documentait la négligence, l’absence d’équité et le racisme systémique dont le Québec a fait preuve en matière de protection de la jeunesse. »
Mme Boldo a été nommée en novembre 2020 membre du conseil d’administration permanent de la National Sixties Scoop Healing Foundation.
Elle déplore que les commissions et les rapports fassent porter le fardeau aux personnes opprimées elles-mêmes. Ils contraignent en effet les victimes à témoigner et à raconter leurs traumatismes, plutôt que de forcer les personnes et les systèmes responsables de ces traumatismes à rendre des comptes.
« Les suites données aux rapports publiés par les gens au pouvoir sont insatisfaisantes. Ces gens se concentrent sur les traumatismes rapportés plutôt que sur la violence systémique à l’origine de ceux-ci. »
Selon Mme Peters, les gens au pouvoir attendent des personnes racialisées qu’elles portent seules le fardeau émotionnel qui est le leur. Plutôt que d’œuvrer à la guérison de ces personnes, ils estiment que c’est à elles de se guérir.
« En plus d’avoir été traumatisées, les victimes se voient demander de remédier aux dommages qu’elles ont subis, déplore Mme Peters. C’est souvent un moyen d’occuper les personnes racialisées à cette tâche dans l’espoir qu’elles n’étalent pas leurs griefs sur la place publique, dans l’espoir qu’elles se lassent ou qu’elles échouent dans leurs revendications. Alors, nous pourrons tous aller de l’avant, dans un retour tranquille au statu quo. »
Mme Peters ajoute que lorsqu’une personne dénonce trop fort le racisme, elle risque de devenir une cible.
Tout en n’espérant guère d’améliorations sensibles de son vivant, Mme Peters dit travailler avant tout pour les futures générations d’étudiants, de membres du personnel et de professeurs. Elle espère qu’on assistera à une large admission de la nécessité d’un changement et que les acteurs institutionnels veilleront à ce qu’il concrétise non seulement au profit des personnes racialisées, mais de la société tout entière.
« Les préjugés sont issus du colonialisme »
Pour Mme Boldo, M. Lewis et Mme Tremblay, il est important d’analyser, d’étudier, de comprendre et d’appliquer à Concordia le plan d’action des directions autochtones au sein de la totalité des disciplines et départements.
M. Lewis maintient qu’il est essentiel que tous prennent le temps de comprendre l’histoire des organisations et des établissements auxquels ils sont affiliés. Il encourage les gens à adopter une approche critique.
« Tout processus humain présenté comme un fait doit être déconstruit. Qui sont ceux qui prétendent qu’il s’agit d’un fait? Qu’ont-ils à y gagner? Qui s’emploie le plus aujourd’hui à présenter ce processus comme un fait? Et surtout, qui est le plus désavantagé par cela? »
Selon les responsables du plan d’action des directions autochtones, il est également essentiel de forger des liens solides avec la nation kanien’kehá:ka (mohawk) locale. Les visions des choses et les savoirs autochtones doivent être respectés, défendus et enseignés.
Pour Mmes Willkie et Peters, ainsi que pour leurs collègues du groupe de travail parmi lesquelles la présidente de celui-ci, Annick Maugile Flavien, B.A. 2013, dip. 2e cycle 2015, M.A. 2018, la lutte contre le racisme systémique à l’échelle de Concordia se poursuit, que ce soit en matière de politiques, d’enseignement, de pratiques d’apprentissage, ou encore en ce qui concerne l’expérience des professeurs, des membres du personnel et des étudiants.
« Il s’agit essentiellement de mettre en lumière, chaque fois que c’est possible, les préjugés dont Concordia fait preuve envers ses professeurs, membres du personnel et étudiants noirs », explique Mme Willkie, dont la tâche dans le cadre du groupe de travail consiste entre autres à contribuer à la préparation d’ici avril 2022 d’un rapport final assorti de recommandations.
« Ces préjugés ne sont pas le fait d’individus, mais sont issus du colonialisme et doivent absolument être bousculés pour que Concordia puisse se montrer digne de ses aspirations en matière d’égalité, de diversité, d’équité, de décolonisation et de justice sociale. »