Aller au contenu principal

LE QUARTIER CHINOIS DE MONTRÉAL : UN QUARTIER HISTORIQUE TOURNÉ VERS L’AVENIR

par Jessica Chen et Isabel Teramura

Deux personnes riant et debout devant une boîte de tuiles de mah-jong. Jessica Chen et Sandy Yep lors de la célébration du Nouvel An lunaire qui a suivi le lancement de la Maison Yep-Riopel au 116, rue de la Gauchetière. (crédit : Rachel Cheng)

Je pense souvent à la signification du mot « chez-soi ». Où se trouve le chez-soi? Qu’est-ce qui fait qu’un lieu devient un chez-soi? Combien de tels lieux peut-on avoir? Est-ce une question de sentiment d’appartenance? Ou de racines? Comment peut-on s’enraciner dans un lieu? Qu’advient-il des anciennes racines? Comment cesse-t-on de se sentir chez soi ou commence-t-on à se sentir chez soi? Est-ce que je me sens chez moi, maintenant?

En tant qu’immigrante venue de Taïwan, déracinée et réenracinée à de nombreuses reprises au cours de ma vie, et en tant qu’urbaniste œuvrant depuis des années dans différentes villes auprès de communautés marginalisées et racisées, je m’intéresse toujours à la manière dont les gens s’enracinent, tissent des liens et acquièrent un sentiment d’appartenance dans un lieu. De même, je suis préoccupée par le phénomène du déracinement et le sentiment d’effacement engendré par les décisions politiques.

Au cours des six dernières années, je me suis profondément impliquée dans le quartier chinois de Montréal aux côtés d’un groupe de personnes engagées dans la lutte pour la reconnaissance de son importance historique, la protection de son riche patrimoine culturel et la prévention de son effacement activement causé par des politiques négligentes et l’embourgeoisement. En juillet 2022, j’ai applaudi avec la communauté lorsque la Ville de Montréal et le gouvernement du Québec ont annoncé conjointement l’adoption de politiques et de mesures visant à reconnaître et à protéger ce lieu unique en en faisant un site patrimonial. À la suite de ce moment d’émotion, nous avons créé la Fondation JIA afin de poursuivre le travail et de faire en sorte que le quartier chinois, témoin de notre passé collectif, puisse aider à tisser des liens entre nos histoires souvent passées sous silence et décousues, et devienne un exemple de ce que peut être une communauté inclusive, équitable et durable.

- Jessica Chen, cofondatrice et directrice générale de la Fondation JIA

JIĀ (家) signifie à la fois famille et chez-soi en mandarin. Les mots jiā rén (家人) se traduisent par « membres de la famille », et huí jiā(回家) par « rentrer chez soi ». Enracinée dans la mobilisation militante du quartier, la fondation JIA intervient dans les domaines de la conservation du patrimoine, de l’urbanisme et de la programmation culturelle afin de promouvoir une vision équitable et communautaire du quartier chinois.

Combating Real Estate Speculation Through Community Action 

Bon nombre des quartiers de Montréal que l’on connaît aujourd’hui ont été façonnés par plusieurs cycles de déplacements et de résistance, et le quartier chinois ne fait pas exception. Alors que les déplacements forcés se poursuivent encore aujourd’hui, on constate dans différents quartiers de Montréal l’émergence d’actions collectives communautaires qui mettent de l’avant de nouveaux modèles de développement fondés sur l’équité, la propriété collective et le droit de demeurer dans le quartier de son choix. 

La Fondation JIA est née des initiatives militantes menées par le Groupe de travail du quartier chinois (2019-2022), qui a mobilisé les membres de la communauté autour des questions d’embourgeoisement et de perte d’espaces communautaires. En 2021, la population résidente a tiré la sonnette d’alarme et protesté contre le projet d’aménagement immobilier spéculatif visant le quadrilatère présentant la plus grande valeur historique dans le quartier, et cette mobilisation massive des citoyennes et citoyens concernés a donné lieu à une consultation à l’échelle de la ville par l’Office de consultation publique de Montréal. Par la suite, une partie du quartier chinois a été classé site patrimonial par la province de Québec, et une zone élargie a obtenu le statut d’identification à titre de lieu historique octroyé par la Ville de Montréal, qui a également mis en place de nouvelles politiques de zonage et d’aménagement du sol. En plus de préconiser l’adoption de politiques patrimoniales comme stratégie de lutte contre la spéculation immobilière, le groupe de travail a collaboré avec la Ville de Montréal à l’élaboration du premier Plan d’action pour le développement du quartier chinois (2021-2026); le document reflète l’étendue, la diversité et la complexité des enjeux qui caractérisent le quartier, et fournit une vision plus claire de son avenir.

Pour soutenir cette action collective et continuer à s’attaquer à divers problèmes précis, les membres du Groupe de travail ont dissous leur collectif et créé en 2022 deux organismes à but non lucratif pour répondre à différents besoins dans l’écosystème du quartier chinois. Le premier de ces nouveaux organismes à but non lucratif, la Table ronde du Quartier chinois, se veut une plateforme multisectorielle permettant aux intervenants de la communauté de se mobiliser et d’échanger sur les enjeux du quartier. Le second, la Fondation JIA, est un organisme communautaire qui s’est donné pour mandat de protéger et de promouvoir le patrimoine culturel du quartier grâce à des activités éducatives, à des programmations culturelles et à l’adoption d’approches axées sur la communauté en matière de développement immobilier. 

Public lors d'une table ronde dans un auditorium Public participant au forum « Chinatown Reimagined » en septembre 2023. (crédit : Karen Cho)

La Maison du Quartier chinois : un lieu qui met en valeur la culture et la communauté

Depuis 2023, la Fondation JIA est de plus en plus présente dans le quartier chinois, où elle œuvre au renforcement des capacités, à la défense des intérêts de la population et à l’établissement de liens intergénérationnels. Avant que la fondation emménage là où elle se trouve actuellement, le projet de la Maison du Quartier chinois offrait des locaux pour le cotravail, des activités récréatives et des événements artistiques en mettant à contribution des espaces sous-utilisés dans le quartier. La Fondation JIA a également accueilli le Forum Repenser le quartier chinois en 2023, à l’occasion duquel des organisatrices et organisateurs communautaires et des décideurs politiques de 10 quartiers chinois d’Amérique du Nord ont pu se réunir pour discuter des luttes et des solutions communes. En 2024, la Fondation JIA a présenté l’exposition Fabriquées au quartier chinois, qui, par des portraits photographiques et des témoignages, illustrait différentes expériences vécues par des membres de la communauté.

À la fin de l’année 2024, la Fondation JIA a pu intégrer ses nouveaux locaux du 116, rue De La Gauchetière Ouest. Ce bâtiment a été nommé Maison Yep-Riopel en l’honneur de sa riche histoire : actuellement propriété de Jean-Philippe Riopel, résident de longue date du quartier chinois et guide touristique de circuits historiques, l’immeuble abritait auparavant la famille Yep, dont l’un des membres, Sandy Yep, fait partie de la Fondation JIA. L’exposition qu’on peut y voir ces jours-ci, intitulée Maison Yep-Riopel : une histoire à plusieurs niveaux de résistance et d’appartenance, est en cours depuis le début de l’année 2025

La rue Clark repensée : un projet catalyseur de changement

Photo: JIA Foundation

En août 2024, la Ville de Montréal a annoncé l’acquisition d’un terrain situé au 1100-1102 rue Clark au coût de 1,98 million de dollars. La Ville étant également propriétaire des deux lots adjacents, elle a fait savoir que cette acquisition stratégique permettrait la réalisation d’un projet d’habitation hors marché comprenant de 45 à 60 logements. La Ville entend procéder à la revente de ces lots à un partenaire engagé à mettre en œuvre le projet.  

Avec ces objectifs en tête, la Fondation JIA a formé un comité directeur avec la Table ronde du Quartier chinois, la Table de concertation du faubourg Saint-Laurent et le Comité logement Ville-Marie et a lancé, en partenariat avec ces organismes, le projet La rue Clark repensée; une journée portes ouvertes et un atelier de visualisation ont eu lieu au début du mois de décembre 2024 pour donner le coup d’envoi du projet. Il s’agit d’une initiative communautaire visant à développer une vision globale de la rue Clark et à établir un plan conceptuel pour un projet d’habitation à usage mixte sur les terrains appartenant à la ville. La Fondation JIA a fait appel aux services de Pivot : Coopérative d’Architecture pour élaborer une proposition d’immeuble de logements sociaux à usage mixte à partir des idées et de la vision de la communauté recueillies lors de deux ateliers de conception participatifs organisés au début de 2025.  

Une vision globale guidée par des plans concrets

Pour que le quartier chinois soit, plus qu’une destination touristique, un lieu agréable à vivre doté d’un riche patrimoine culturel, nous devons avoir une vision globale et des plans concrets pour son épanouissement futur. Le Plan d’action 2021-2026 pour le développement du Quartier chinois comprend des engagements clés visant à améliorer la qualité de vie, l’environnement bâti et la vitalité commerciale ainsi qu’à préserver le patrimoine du quartier et à favoriser les liens communautaires. 

Un groupe de personnes debout dehors en hiver, tenant une pancarte sur laquelle on peut lire « Chinatown n'est pas un musée ». Les organisateurs à Chinatown après que le quartier Wing's Block ait obtenu le statut de patrimoine en 2022. (crédit : Jessica Chen)

À l’approche de l’année 2026, la Fondation JIA et la Table ronde du Quartier chinois ont demandé à Rayside Labossière Architecture et à la Table de concertation du faubourg Saint-Laurent de travailler avec les intervenants du quartier chinois à l’élaboration d’un document mettant en lumière ce que la communauté souhaite voir dans le prochain plan d’action.

Le document s’appuie sur trois projets communautaires concrets qui ont vu le jour dans la foulée d’importantes mobilisations citoyennes de même que grâce à l’engagement de la Ville et d’autres partenaires financiers : la Maison du Quartier chinois dans la zone historique de l’édifice Wing, le projet de logements sociaux à usage mixte La rue Clark repensée et le projet communautaire Kahéhtaien Jardin Lumb, premier jardin collectif alliant les cultures autochtone et asiatique. Ces projets constituent un ancrage dans les sections ouest, centrale et est du quartier, formant une base à partir de laquelle les multiples partenaires peuvent concentrer leur attention et leurs ressources collectives en vue d’apporter des changements positifs au quartier

En 2050, le quartier chinois n’est plus une idée abstraite : il est ancré dans des projets concrets portés par et pour la communauté, sur l’ensemble du territoire. L’esprit du quartier est vivant et se fait sentir dans la qualité de vie qui y règne, la vitalité de ses commerces, la richesse de son identité et la manière inclusive dont les décisions y sont prises. » (rapport du cabinet d’architectes Rayside Labossière)

Headshot of article writer Autumn Godwin

Jessica Chen est une urbaniste résidant actuellement à Tiohtià:ke/Montréal. Elle a entrepris sa carrière professionnelle dans le secteur public, d’abord à Philadelphie, puis à Vancouver, et s’intéresse tout particulièrement aux enjeux liés à l’embourgeoisement, à la conservation du patrimoine, au logement abordable, à l’inclusion sociale et au développement équitable. Elle s’est installée à Montréal en 2013 et a fondé son cabinet d’expertise-conseil Wabi Sabi Planning Lab, qui collabore souvent avec des organismes publics et à but non lucratif pour examiner de quelles façons les biens culturels et communautaires, notamment le logement, peuvent contribuer à façonner une économie et un paysage urbains plus résilients. Jessica Chen est active dans le quartier chinois de Montréal depuis 2019, où elle s’implique dans la protection du patrimoine culturel, et a cofondé la Fondation JIA en 2022.

Headshot of article writer Autumn Godwin

Isabel Teramura s’implique au sein de la Fondation JIA depuis la fin de l’année 2024. Iel termine une maîtrise en géographie, urbanisme et environnement à l’Université Concordia axée sur la planification communautaire. Fort·e d’une expérience en défense du droit au logement et en justice alimentaire, Isabel Teramura croit fermement au pouvoir des interventions communautaires pour créer des villes plus justes. D’ascendance mixte nippo-canadienne, iel considère le quartier chinois comme un lieu où plusieurs communautés peuvent se sentir chez elles. Isabel Teramura est également membre du Kahéhtaien Jardin Lumb.

Retour en haut de page

© Université Concordia