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L’Association étudiante des Premières Nations

Un héritage de résilience, de résistance et de renaissance

Par Carole Brazeau, conseillère en programmes d’études et pédagogie autochtones, Centre d’appui à l’enseignement et à l’apprentissage, avec la participation de Johanne Cadorette

Carole Brazeau, conseillère, curriculum et pédagogie autochtones, Centre d’enseignement et d’apprentissage.

À l’été 1990, alors que j’étais seule à subvenir aux besoins de mes deux jeunes filles, je me préparais à commencer un baccalauréat en études des femmes à l’Institut Simone de Beauvoir de l’Université Concordia en lisant Le deuxième sexe.

Ce fut un été mémorable. La résistance de Kanehsatà:ke (aussi connue sous le nom de la crise d’Oka), au cours de laquelle la Nation Kanien'kenha:ka (Mohawk) s’est naturellement opposée à la transformation de son cimetière ancestral en terrain de golf, durait depuis plusieurs semaines. Le racisme envers les peuples autochtones avait atteint un niveau sans précédent.

Le Centre d’amitié autochtone de Montréal a livré de la nourriture et des fournitures par bateau à Kahnawake. À l’époque, je vivais sur la rive sud de Montréal et je me souviens du bruit constant des hélicoptères dans le ciel. Je me rappelle avoir assisté à un rassemblement pacifique sur la montagne à Montréal, et mon amie non autochtone a eu peur lorsque la police est arrivée à cheval.

C’est dans ce contexte que j’ai assisté à une rencontre organisée par le Centre des étudiants adultes de l’Université Concordia à l’intention des étudiantes et étudiants autochtones. L’équipe organisatrice a évoqué la « vibrante Nation mohawk » comme source d’inspiration pour cette rencontre. C’est ce soir-là que nous avons commencé à parler de la création d’une association étudiante autochtone. Stephanie Horne, Kanien'kéha:ka de Kahnawake, a insisté pour que nous concrétisions cette idée.

Ainsi, à l’automne 1990, nous avons cofondé l’Assemblée des Premières Nations (APN) de Concordia, rebaptisée plus tard l’Association des étudiants autochtones. Nous formions un groupe merveilleux et diversifié de leaders et d’universitaires autochtones, comprenant le regretté Robert Ottereyes (innu [cri], Waswanipi), Lana LeFort (Kanien'kéha:ka, Tyendinaga), Sylvia et Helen Watso (abénaquises, Odanak), Lana Pratt (crie, Gordon) ainsi qu’Arthur Renwick (Haisla, Kitimat), qui a déclaré que nous avions fondé l’APN « dans un objectif de soutien, de rassemblement et d’échange d’information ».

Nos premières réunions consistaient en des repas-partage dans nos appartements ou des rencontres informelles à La Cabane, sur le boulevard Saint-Laurent. Nous avons fini par officialiser ces réunions. Lana Lefort a pris les rênes et rédigé une constitution. Nous avons organisé des élections pour pourvoir les postes de chef, vice-chef, gardien·ne de l’esprit et gardien·ne du symbole. 

“Class of 1994” The Class of 1994
Debout, de gauche à droite : Dre Rose Lenser, Tricia « Skawennati » Fragnito, David Acco, Bevan « Frederick » Skerritt (décédé), Carole Brazeau, Deborah Rennie, Dan Sioui, Douglas Beaver Assis, de gauche à droite : Helen Watso, David Mohan, Dolores « White Quill » Gadbois (décédée), Melissa Morris

J’ai cofondé l’Association des étudiants autochtones de Concordia et je m’y suis impliquée activement tout au long de mon baccalauréat. J’ai été élue première gardienne de l’esprit, puis vice-chef en 1993. Durant mes études, j’ai travaillé à temps partiel et pendant les étés au Centre d’amitié autochtone de Montréal et au Foyer pour femmes autochtones de Montréal.  

En tant que gardienne de l’esprit, j’avais la responsabilité d’organiser des événements culturels et spirituels. J’ai ainsi mis sur pied notre première retraite au monastère trappiste, célèbre pour son fromage Oka, où trente étudiants et étudiantes de niveau postsecondaire ont participé à des cérémonies de suerie et à des enseignements dispensés par des Aîné·e·s, dont John Cree (Kanien'kéha:ka, Kanehsatà:ke).

Nous nous sommes également beaucoup intéressés aux questions environnementales, comme les répercussions des barrages dans la région d’Eeyou Istchee (Baie-James) et le projet de la rivière Oldman en Alberta. Nous avons œuvré à sensibiliser les gens et à soutenir des causes dans nos communautés.

Le regretté Robert Ottereyes (cri, Waswanipi, Québec) organisait des activités éducatives en lien avec la terre. Des groupes étudiants de niveau postsecondaire se sont rendus à Eeyou Istchee. En chemin, nous avons visité des communautés anichinabées (algonquines) et innues (cries). Nous avons participé à des activités liées à la terre, comme la chasse, et à une cérémonie de marche. Nous avons même dormi dans des tipis, en mai! Nous avons vu la centrale hydroélectrique d’Hydro-Québec. Nous ressentions de l’inquiétude face aux conséquences des projets LG1 et LG2 d’Hydro-Québec. Cette activité était soutenue par la nation crie.

En 1991, certains étudiants ont contribué à un rapport intitulé A Circle of Learning : The Path of Justice and Hope (« un cercle d’apprentissage : le chemin de la justice et de l’espoir »), qui a été soumis au Cabinet du recteur. Ce rapport réclamait un environnement d’apprentissage favorable aux étudiantes et étudiants autochtones et préconisait la création d’un programme d’études autochtones.

L’APN est devenu pour nous un espace incontournable de soutien mutuel et d’orientation au sein du système universitaire. Nous avons discuté de notre droit à l’autodétermination et du fait que les Affaires indiennes n’avaient pas le droit de déterminer notre citoyenneté, et nous affirmions que la Loi sur les Indiens était le « fléau de notre existence ». Je me souviens qu’avec d’autres étudiants et étudiantes, nous avions découpé nos cartes d’identité.

En 1992, le Conseil de l’éducation des Premières Nations de l’Université Concordia (CEPNUC) a été établi et le Centre des étudiants autochtones (aujourd’hui le Centre étudiant Otsenhákta) a été inauguré. La Semaine de sensibilisation aux cultures autochtones a été marquée par des activités traditionnelles. J’ai également été la première ambassadrice, responsable de promouvoir les études postsecondaires auprès des élèves du secondaire à Kitigan Zibi et à Maniwaki, au Québec. Une personne de l’équipe de recrutement de Concordia m’a accompagnée dans ma communauté.

La plupart des étudiantes et étudiants estimaient que Concordia avait besoin d’un programme d’études des peuples autochtones. L’un de mes professeurs estimait que « le colonialisme avait été bénéfique pour les peuples autochtones, car il leur avait donné des lunettes pour lire ». Mon professeur de religion affirmait également que « les pensionnats autochtones n’étaient pas si terribles ». Ma mère, Madeleine Buckshot, est une survivante des pensionnats, alors j’ai raconté son histoire dans un article pour réfuter cette affirmation erronée.

Avec le recul, ce que nous avons accompli est formidable, notamment grâce à nos actions militantes qui ont joué un rôle déterminant dans la mise en place de services et de programmes destinés aux étudiantes et étudiants à l’Université. En 1994, je faisais partie de la première promotion officielle de diplômés autochtones de Concordia. Je suis fière de toutes les personnes qui ont travaillé sans relâche pour créer un espace, une voix et une visibilité pour les étudiantes et étudiants autochtones.

Aujourd’hui, je travaille à la révision du programme d’études. J’anime des ateliers destinés au corps professoral, notamment Cultivating Cultural Safety for Indigenous Students (« cultiver la sécurité culturelle pour les étudiantes et étudiants autochtones en classe ») et Teaching About Residential Schools (« les pensionnats indiens comme sujet d’enseignement »). Je suis honorée de travailler avec la professeure Kahérakwas Donna Goodleaf, directrice du Bureau de la décolonisation et de l’autochtonisation des programmes d’études et de la pédagogie.

Épilogue :

Concordia a lancé son programme d’études des peuples autochtones en 2013.



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