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Un professeur de l’Université Concordia signe un ouvrage sur les répercussions du capitalisme, des luttes de classes et des inégalités raciales dans deux quartiers de Montréal

Steven High : « Connaître l’histoire de nos communautés nous prépare à répondre aux défis d’aujourd’hui et de demain ».
14 septembre 2022
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Steven High Steven High

Le canal de Lachine, à Montréal, était autrefois la zone la plus industrialisée du Canada. Dans son livre intitulé Deindustrializing Montreal: Entangled Histories of Race, Residence and Class, Steven High raconte l’histoire de deux quartiers distincts situés de part et d’autre de cette voie navigable très fréquentée.

L’auteur, qui est professeur au Département d’histoire de la Faculté des arts et des sciences de l’Université Concordia, examine comment le capitalisme, l’embourgeoisement et le développement urbain ont façonné de manière très différente le quartier de Pointe-Saint-Charles, jadis majoritairement blanc et habité par des Irlandais et des Canadiens français, et celui de la Petite-Bourgogne, qui était multiracial.

« L’histoire de ces deux quartiers nous éclaire sur les changements transformateurs qui ont façonné notre monde à la fin du 20e siècle », soutient le Pr High, également membre fondateur du Centre d’histoire orale et de récits numérisés de Concordia.

« Ce livre est largement inspiré de la vie quotidienne des personnes interviewées. Leurs récits ont permis de mettre en lumière l’histoire de ces deux quartiers. »

Pouvez-vous nous parler un peu de l’évolution historique de ces deux quartiers?

Le déclin des deux quartiers s’est amorcé au début des années d’après-guerre. Le nombre d’emplois du secteur manufacturier dans la région est passé de 28 000 en 1951 à seulement 7 000 en 1988. Ces années ont été marquées par une crise sociale, les personnes restées au pays s’étant enlisées dans la pauvreté.

Le sud-ouest de Montréal a perdu la moitié de sa population entre 1961 et 1991, soit une proportion comparable à celle des villes les plus durement touchées de la Rust Belt, aux États-Unis. Puis, au cours des deux dernières décennies, le secteur a connu un embourgeoisement rapide qui a forcé de nombreux résidants à quitter leur logement.


Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière dont la désindustrialisation est intrinsèquement liée au capitalisme, aux luttes de classes et aux inégalités raciales?

Ce livre s’inspire en grande partie de l’appel lancé par le sociologue Satnam Virdee, qui souhaitait faire reconnaître l’étroite relation entre capitalisme, luttes de classe et inégalités raciales. Pour aider à combler ce manque, je m’appuie sur le concept de capitalisme racial, qui permet de montrer à quel point la différenciation et la hiérarchie raciales font partie intégrante des structures de classe.

Ce n’est qu’à la fin des années 1960 que le quartier a été désigné sous le nom de la Petite-Bourgogne; il s’agit du nom du projet de rénovation urbaine de la ville dans le cadre duquel une grande partie du secteur a été démolie.

Ce qui me surprend, cependant, c’est que la démolition de la Petite-Bourgogne a été réalisée sous prétexte de favoriser l’essor de la classe ouvrière francophone blanche, qui constituait la majorité des résidants. Dans les documents de planification et les centaines d’articles de presse que j’ai consultés, la minorité noire du quartier n’était pas prise en compte.

Le quartier n’est devenu synonyme de la communauté noire de Montréal que dans les années 1980, grâce à son importante concentration de logements sociaux qui a été fortement assimilée à la notion de ghetto racial. Désireux de déplacer cette population noire stigmatisée, l’État a privilégié l’embourgeoisement des anciens terrains industriels et ferroviaires de la Petite-Bourgogne, allant jusqu’à tenter de modifier une fois de plus le nom du quartier.

En un mot, la question raciale constituait un enjeu important.

Image of a book cover with an archive black-and-white image of a city in the background, and the text, "Deindustrializing Montreal" in the foreground.

Quels sont les moyens mis en œuvre ou les solutions possibles, à l’échelle individuelle et collective, pour combattre cette violence raciale qui semble découler du capitalisme?

Je crois fermement que connaître l’histoire de nos communautés nous prépare à répondre aux défis d’aujourd’hui et de demain. Comme l’a fait remarquer un jeune homme de la Petite-Bourgogne lors d’un atelier, chaque quartier recèle une histoire qui permet de comprendre pourquoi les choses sont telles qu’elles sont.

Deindustrializing Montreal retrace l’histoire de la mobilisation et de la résistance communautaires qui ont permis – et permettront – de changer le cours des événements. Pointe-Saint-Charles, en particulier, est devenu une référence en matière de militantisme local au Québec.

Sa réputation durement gagnée de quartier militant a été une source d’inspiration pour de nombreuses personnes. Nous pouvons apprendre beaucoup de cette histoire de mobilisation citoyenne. Cela dit, je soulève aussi des questions délicates sur la complaisance du secteur communautaire et son discours sur la « mixité sociale », qui sert trop souvent de justification intellectuelle à l’embourgeoisement. Les groupes militants de Pointe-Saint-Charles sont très blancs, contrairement à ceux de la Petite-Bourgogne.

Ce livre met en lumière un pan méconnu de l’histoire militante. Il décrit la lutte menée par les membres de l’organisme Negro Community Centre, qui ont combattu le racisme sur tous les fronts, et l’émergence d’une nouvelle génération de groupes communautaires qui, des années plus tard, a cherché à lutter contre le crack, la violence sévissant dans les quartiers et les fusillades impliquant des agents de police.


Apprenez-en davantage sur le
Département d’histoire de Concordia et le Centre d’histoire orale et de récits numérisés.

 

 



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