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Répercussions

L’administration universitaire fait appel à la police pour expulser les manifestants. L’arrivée d’une « escouade antiémeute spécialement formée » dépêchée par le SPVM signifie que les étudiants ne sont pas arrêtés par les forces policières normales.

Des policiers montréalais arrêtent une manifestante. Source : Service de la gestion des documents et des archives de l’Université Concordia

L’administration universitaire fait appel au SPVM pour expulser les manifestants. « Les escaliers et les escaliers roulants sont barricadés avec du mobilier, pour protéger [les manifestants] d’un siège tandis que la police encercle le bâtiment. » Le SPVM déploie une « escouade antiémeute spécialement formée… pour arrêter les étudiants qui n’ont pas été arrêtés par les forces normales ».

Atmosphère intense

Des témoignages détaillés de l’arrivée et de l’entrée de la police dans le pavillon Henry-F.-Hall et le centre informatique figurent dans l’essai de LeRoi Butcher, The Anderson Affair, et dans des entretiens avec des participants à la manifestation. Ces récits montrent clairement que l’arrivée de la police et l’arrestation des étudiants protestataires ont été des événements tendus et effrayants. En plus des barrages érigés par les étudiants, la police barricade l’entrée arrière/la sortie du centre informatique. On empêche les manifestants de sortir avant et pendant l’arrivée de la police. Un incendie se déclare dans le centre informatique, mettant des vies encore plus en danger et provoquant une panique supplémentaire. Les récits décrivent la brutalité des arrestations, faisant état de divers degrés d’agression physique contre les manifestants. En tout, 97 étudiantes et étudiants sont arrêtés et le centre informatique subit d’importants dégâts. Une manifestante, Coralee Hutchison, est transportée à l’hôpital après avoir souffert d’un traumatisme crânien au cours de la confrontation, et décède par la suite.

Policiers montréalais et badauds devant le pavillon Henry-F.-Hall Policiers montréalais et badauds devant le pavillon Henry-F.-Hall Source : Service de la gestion des documents et des archives de l’Université Concordia

Répercussions psychologiques

Les récits de l’incendie qui se déclare au milieu de la confrontation entre manifestants et police témoignent d’un profond sentiment de conflit existentiel.

« J’ai été ébranlée, bien sûr, car cela signifiait qu’il y avait des gens qui ne voyaient pas d’inconvénient à ce que d’autres personnes périssent. Cela m’a frappée de plein fouet, et j’ai dû me faire à l’idée que l’être humain est capable de toutes sortes de choses que je n’aurais jamais crues possibles. »

— Anne Cools (Shum, 2015, 0:49:00)

La fumée de l’incendie qui ravage le centre informatique attire une foule à l’extérieur du pavillon Henry-F.-Hall. Certains Montréalais blancs qui assistent aux arrestations crient de violentes insultes anti-Noirs depuis la rue.

« Le tout accompagné par les chants d’une foule blanche scandant “Laissez les N***** brûler!” ».

— Rodney Johnz

« Ils criaient “Laissez les N***** brûler!”, vous savez, ils voulaient qu’on meure... Ça... ça, on ne l’oublie pas. »

— Lynne Murray (Shum, 2015, 0:50:00)

Les décisions prises le 11 février 1969 et leurs conséquences sont décrites en détail par les différents protagonistes de l’affrontement. Mais une lecture attentive des récits révèle également le niveau de confusion, de peur, de rage et d’action vécu dans les dernières heures de l’occupation du pavillon Henry-F.-Hall : lorsque les manifestants ont tenté de quitter le bâtiment et n’y ont pas été autorisés; lorsque la police est entrée dans le centre informatique, mais n’a pas agi immédiatement; lorsque la police a verrouillé les portes arrière; lorsqu’une personne inconnue a mis le feu; lorsque la brigade antiémeute est revenue et a fait usage de la force brute; lorsque les badauds ont entonné des chants racistes dans la rue. Les récits des manifestants témoignent de la peur, du choc et de la dévastation qu’ils ont ressentis lorsqu’ils ont compris à quel point leur vie (et celle des Noirs) avait peu de valeur à ce moment-là.

Répercussions sociales

De nombreuses communautés montréalaises ont été marquées par les répercussions de l’affaire Sir George Williams et des arrestations qui en ont découlé.

Nancy Warner a grandi dans la communauté noire de Montréal et était étudiante à l’Université McGill durant les événements. Elle décrit cette période de l’histoire montréalaise comme un moment charnière et déterminant : 

« Il y a eu l’avant-11 février, le jour du 11 février et l’après-11 février. »

« Les gens de ma génération et de la génération de mes parents ont vu un visage de Montréal que nous n’avions jamais vu auparavant. L’hostilité pure et simple, le racisme, les choses qui étaient dites à des gens au travail ou à des gens qui n’avaient rien à voir avec Sir George. »

« Ma mère est allée travailler et les gens lui ont dit des choses. Ce que nous pensions être les règles du jeu, les règles de justice naturelle en fonction desquelles les gens sont traités comme s’ils jouissaient d’un semblant de libertés civiles – tout a été réduit à néant. »

Lisez les réflexions de Nancy Warner dans « Fifty Years Ago: Reflections on the Sir George Williams University Protests », paru dans l’ouvrage de Cummings et Mohabir (2019), The Fire That Time: Transnational Black Radicalism and the Sir George Williams Occupation4.

L’historienne montréalaise Dorothy Williams (Ph. D.) met en lumière une voie vers l’établissement de relations communautaires entre la communauté noire montréalaise de longue date et les étudiants universitaires noirs, en grande partie venus des Caraïbes, qui ont émergé à la suite des événements du 11 février 1969. L’affaire Sir George Williams a suscité de nouveaux efforts pour former ou réformer les associations et les groupes communautaires noirs afin de s’attaquer aux problèmes systémiques touchant les communautés noires. Dorothy Williams analyse la « résurgence de la culture imprimée noire » et de la presse noire à Montréal à la suite de l’affaire Sir George Williams, qui s’est donné pour tâche de contrer les « versions dominantes » du récit reflétées dans la presse montréalaise5.

Couverture médiatique

La couverture médiatique locale et nationale de la manifestation et des arrestations dépeint les manifestants comme des fauteurs de troubles militants, les grands titres soulignant la violence dirigée contre l’établissement universitaire et le coût des dommages subis durant l’occupation. L’édition du soir du Montreal Star du 11 février 1969 fournit un exemple frappant du récit public dominant. En une de ce numéro, on lit Police ordered to move in; Defiant Students Wreck SGWU (« la police reçoit l’ordre d’intervenir; les étudiants défiants détruisent la SGWU »), tandis qu’un article en première page du Montreal Star du 13 février 1969 s’intitule Canadian immigration forces have teamed up with three police forces to investigate the “backgrounds” of members of the Sir George Williams University “occupation forces” (« les forces d’immigration canadiennes font équipe avec trois forces de police pour enquêter sur les “antécédents” des membres des “forces d’occupation” de la Sir George Williams University »)6, 7. Les dégâts considérables causés par la fumée et l’eau au pavillon Henry-F.-Hall sont estimés à plus de deux millions de dollars8.

Le récit est également contrasté dans les journaux de l’université. Une édition spéciale de The Paper, l’un des journaux régulièrement publiés sur le campus, présente en première page des sentiments forts de la part de l’administration et, dans les pages suivantes, une chronologie qui décrit les événements de manière mitigée, faisant parfois référence aux manifestants comme des « participants » ou des « manifestants », et d’autres fois comme des « militants noirs ». De vifs sentiments anti-Noirs sont exprimés tout au long de l’édition9.

Les arrestations ont un impact sur la communauté qui persiste durant des années. À l’université, des évaluations internes du traitement des plaintes pour racisme sont menées et aboutissent, en 1971, à l’adoption de nouveaux règlements et droits ainsi qu’à la création du Bureau de l’ombudsman8.

Arrestations, déportations et contrecoups

Les 97 étudiantes et étudiants arrêtés subissent par la suite de longs procès. À l’issue des procédures judiciaires, quatorze étudiants sont déportés vers leur pays d’origine, dans les Caraïbes. 

Tous les étudiants arrêtés lors de la manifestation sont suspendus de l’université10. La suspension de certains étudiants est levée, tandis que d’autres sont expulsés. Les enquêtes sur remise en liberté qui ont lieu quelques jours après les arrestations se déroulent en groupes. Roosevelt Williams (1971) décrit en détail les écarts entre les cautions fixées lors des enquêtes, les plus basses étant fixées pour les Montréalais (dont beaucoup étaient blancs) et les plus élevées, pour les hommes non canadiens (qui sont principalement noirs et originaires des Caraïbes)11. La plupart des étudiants sont libérés sous caution, à l’exception de cinq d’entre eux, considérés comme des « chefs de file du mouvement Black Power »12. Ces cinq étudiants sont libérés plus tard moyennant des cautions très élevées (parmi les plus élevées jamais fixées par le tribunal municipal). Eric Williams, premier ministre de Trinité à l’époque, paie la caution des ressortissants du pays, sous la pression de toute l’île. Les dirigeants d’autres pays des Caraïbes font de même13.

Les procès des étudiants ont lieu au cours de l’hiver 1970. Les chefs d’accusation vont du méfait (pour les mineurs jugés par les tribunaux pour enfants) à la conspiration. Les conséquences des procès vont de l’amende à la peine de prison et à l’expulsion.

Comme un grand nombre des étudiants arrêtés viennent de l’étranger, l’affaire suscite un intérêt et une réaction considérables à l’étranger. Dans un entretien avec Christiana Abraham (Ph. D.), la juge Juanita Westmoreland-Traoré (avocate de l’équipe de défense en 1969-1970) note la présence quotidienne de membres du personnel de diverses ambassades et le fait que « des ambassadeurs de Trinité, de la Jamaïque et d’autres îles des Caraïbes sont arrivés et [...] ont impressionné le tribunal »12. Les implications élargies de l’affaire Sir George Williams se répercutent sur les relations politiques, économiques, transnationales et diplomatiques entre le Canada et les pays des Caraïbes. Michael O. West étudie l’affaire Sir George Williams, les « Dix de Trinité » (les premiers manifestants à être jugés par un tribunal étaient un groupe d’étudiants de Trinité-et-Tobago) et la révolution de Trinité en 1970. D’autres chercheurs explorent l’héritage de l’affaire et du mouvement Black Power dans des pays tels que Saint-Vincent-et-les-Grenadines, la Guyane et la Jamaïque dans l’ouvrage de Cummings et Mohabir (2021)2.

Liens connexes

Mobilisation de la conscience noire

Les appels à la création d’un programme d’études des Noirs à Concordia remontent à 1968-1969. Des organisations étudiantes et communautaires axées sur les expériences des Noirs du Canada et de la diaspora voient le jour, et se mobilisent pour défendre les droits des Noirs. Ces groupes défendent ainsi les droits des étudiants noirs à l’université, y appuient la création de programmes d’études des Noirs et s’attaquent également aux politiques d’immigration, au racisme dans les pratiques d’emploi, etc.15, 8. À l’étranger, les réactions à l’affaire Sir George Williams, à la manifestation et aux arrestations d’étudiants comprennent des manifestations à grande échelle contre les actions de l’université et les gouvernements canadiens. L’affaire et son issue sont décrites par David Austin comme « la plus importante manifestation du mouvement Black Power au Canada » et comme un événement essentiel à la montée et à la mobilisation du mouvement Black Power et des mouvements anticoloniaux en Amérique du Nord et dans les Caraïbes2, 16.

Liens connexes

Biliographie

1. Shum, Mina, réal. Ninth Floor. Office national du film du Canada, 2015.

2. Cummings, Ronald et Mohabir, Nalini. The Fire That Time: Transnational Black Radicalism and the Sir George Williams Occupation. Montréal : Black Rose Books, 2021.

3. Butcher, LeRoi. « The Anderson Affair ». Dennis Forsythe [auteur]. Let the Niggers Burn: The Sir George Williams Affair and its Caribbean Aftermath. Montréal : Black Rose Books, 1971.

4. Bayne, Clarence, Dash, Brenda, Fils-Aimé, Philippe et Warner, Nancy. « Fifty Years Ago: Reflections on the Sir George Williams University Protests ». Ronald Cummings et Nalini Mohabir [auteurs]. The Fire That Time: Transnational Black Radicalism and the Sir George Williams Occupation. Montréal : Black Rose Books, 2021.

5. Williams, Dorothy. « The Sir George Williams Affair: A Watershed in the Black Press ». Ronald Cummings et Nalini Mohabir [auteurs]. The Fire That Time: Transnational Black Radicalism and the Sir George Williams Occupation. Montréal : Black Rose Books, 2021.

6. Steinberg, Victor et Tim Burke « Police orded to move in: Defiant Students Wreck SGWU ». The Montreal Star. Édition du soir, 1969, vol. 101, 35.

7. Conroy, Larry. « Immigration will check students ». The Montreal Star. Édition du soir, 1969, vol. 101, 37.

8. Lambert, Maude-Emmanuelle et Ma, Clayton. « Sir George Williams Affair ». The Canadian Encyclopedia. [En ligne] 20 décembre 2016. 

9. The Evenings Students Association. The Paper - Special Edition. Édition spéciale, 11 février 1969.

10. Office, Information. News Release : University Position on Suspensions. Publications de la Sir George Williams University, Service de la gestion des documents et des archives. 25 mars 1969.

11. Williams, Roosevelt. « Réactions: The myth of white "backlash" ». Dennis Forsythe [auteur]. Let the Niggers Burn: The Sir George Williams University Affair and its Caribbean Aftermath. Montréal : Black Rose Books, 1971.

12. Abraham, Christiana. « An interview with Judge Juanita Westmorland-Traoré ». Ronald Cummings et Nalini Mohabir [auteurs]. The Fire That Time: Transnational Black Radicalism and the Sir George Williams Occupation. Montréal : Black Rose Books, 2021.

13. Lumumba, Carl. « The West Indies and the Sir George Williams Affair: An assessment ». Dennis Forsythe [auteur]. Let the Niggers Burn: The Sir George Williams University Affair and its Caribbean Aftermath. Montréal : Black Rose Books, 1971.

14. Forsythe, Dennis, dir. Let the Niggers Burn: The Sir George Williams Affair and its Caribbean Aftermath. Montréal : Our Generation Press, 1971.

15. Rapport final du groupe de travail du recteur sur le racisme contre les Noirs. Montréal : Université Concordia, 2022.

16. Austin, David. « All Roads Led to Montreal: Black Power, the Caribbean and the Black Radical Tradition in Canada ». The Journal of African American History. 92, 2007, vol. 4, p. 516-539.

17. —. « All Roads Led to Montreal : Black Power, the Caribbean and the Black Radical Tradition ». The Journal of African American History. 92, 2007, vol. 4.

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