Skip to main content

Contexte historique

Réunion de la West Indian Society (« association antillaise ») de la Sir George Williams University en 1961 Source : Service de la gestion des documents et des archives de l’Université Concordia

'Bien que le Canada ait été fondé sur la base des valeurs impériales britanniques, certains de ses dirigeants et institutions ont néanmoins soutenu que le pays ne reposait pas sur des systèmes de suprématie blanche.'

Les communautés noires de Montréal font partie de l’histoire longue, riche et complexe de la ville.

La présence des Noirs en Nouvelle-France coloniale trouve son origine dans la traite transatlantique des esclaves au XVIIe siècle, où les Noirs et les Autochtones réduits en esclavage sont forcés de travailler dans les maisons des familles riches et des ordres religieux. Dans la colonie française, l’esclavage est autorisé et réglementé par le « Code noir » français en 1689, et légalisé en 1709. En vertu de cette loi, les personnes noires libres sont « constamment exposées au risque d’être réduites en esclavage1 ». Bien que l’esclavage soit aboli dans les colonies britanniques (dont le territoire colonial qui deviendrait le Québec) en 1834, le travail forcé des Noirs et des Autochtones réduits en esclavage permet aux élites marchandes, à l’Église et aux gouvernements coloniaux de s’enrichir, d’étendre l’empire et de « développer les fondements économiques, sociaux et politiques de plusieurs grandes institutions canadiennes (propres au Québec et à Montréal)2 ».

Après l’abolition, des Noirs affranchis restent à Montréal. Au XIXe siècle, les Noirs montréalais travaillent dans le réseau ferroviaire en développement en tant que porteurs. D’origines canadienne, caraïbéenne et américaine, ils vivent principalement dans le quartier Saint-Antoine, dans le sud-ouest de Montréal. Comme l’explique l’historienne montréalaise Dorothy Williams, « la concentration des Noirs autour des dépôts ferroviaires et de transport reflétait la forte relation économique entre l’industrie des transports et la main-d’œuvre noire3 ».

Bien qu’il n’existe pas de lois sur la ségrégation, les pratiques discriminatoires en matière d’embauche et de location sont courantes. Les immigrants des Caraïbes qui arrivent à Montréal sont des artisans, des enseignants et des infirmières hautement qualifiés et formés, mais les nouveaux arrivants sont souvent contraints de « se contenter de maigres perspectives », de travailler à la journée ou d’occuper des postes offrant peu de possibilités d’avancement3.

Bien que les Noirs montréalais subissent le sous-emploi, de mauvaises conditions de travail, de bas salaires, de la discrimination en matière de logement et d’autres formes quotidiennes de racisme, les organisations sociales noires apportent une certaine stabilité. Elles soutiennent les valeurs, les rêves et l’épanouissement de la communauté noire. Les premières institutions communautaires noires de Montréal sont fondées entre 1902 et 1927. Elles offrent des espaces à la communauté, où leurs membres jouent des rôles cruciaux, notamment en plaidant pour de meilleures conditions de vie, en fournissant une aide communautaire, en appuyant des associations politiques, en organisant des programmes d’éducation et d’enrichissement pour les jeunes ainsi qu’en contribuant à la vie intellectuelle de la communauté3.

Les politiques d’immigration canadiennes du XXe siècle limitent fortement les possibilités d’immigration pour les citoyens des nations caraïbéennes et des colonies britanniques. Les immigrants noirs sont recrutés par intermittence à titre de travailleurs temporaires, mais cette pratique rend difficiles l’installation et le regroupement familial4. Le gouvernement canadien déploie une série de tactiques et de politiques ouvertement racistes, telles que le décret 1324 de 1911, qui interdit l’immigration des Noirs de 1911 à 1912, en invoquant leur inadaptation au climat et aux exigences du Canada5. Les politiques ultérieures de recrutement ciblé visant à répondre aux besoins de main-d’œuvre du gouvernement et de l’industrie du Québec entraînent une présence accrue de femmes originaires des Caraïbes, qui émigrent dans des conditions très restrictives pour travailler comme infirmières et employées de maison dans les années 1950 et 1960. Bien que les politiques officielles d’exclusion raciale finissent par être révoquées, et le récit de l’immigration au Canada réécrit, l’héritage de ces politiques perpétue les préjugés raciaux et ethnoculturels, et continue de limiter la pleine participation à la société4.

Ces contextes élargis, ainsi que d’autres relations politiques et économiques transnationales (comme celles du Canada avec les colonies anglocaraïbéennes, de même que les troubles et la répression politique subis sous la dictature de François Duvalier en Haïti) conduisent à une augmentation considérable du nombre d’étudiants des Caraïbes venant à Montréal à la fin des années 1960 pour y poursuivre des études universitaires.

Troubles sociaux et mouvements pour la défense des droits civiques

Remise en question des fondements du Canada

Moment charnière dans la lutte contre le racisme envers les personnes noires au Canada, la manifestation étudiante de 1969 à la Sir George Williams University exerce une forte influence sur les politiques raciales canadiennes. En effet, elle sensibilise la population au racisme que subissent les personnes noires – problème largement passé sous silence jusque-là.

Grandement inspirée et éclairée par le mouvement pour la défense des droits civiques et le mouvement Black Power aux États-Unis, la manifestation révèle aux yeux du monde entier que l’héritage du Canada repose sur le racisme institutionnel.

Déjà en 1968, des mouvements mondiaux se vouent à la défense des droits civiques des peuples subissant encore un traitement colonialiste.

Prise de conscience collective

« La plupart des observateurs et moi-même sommes d’accord pour dire que les diverses conférences qui se sont tenues à Montréal font partie des antécédents de l’“affaire Anderson”... puisqu’avant la moindre action de la part d’un groupe minoritaire, ce groupe doit être mobilisé mentalement et idéologiquement6. »

— Dennis Forsythe

L’occupation du centre informatique de la Sir George Williams University dans le cadre d’une manifestation contre le racisme institutionnel a lieu du 29 janvier au 11 février 1969, mais l’« affaire Anderson » débute par une plainte officielle déposée auprès de l’université en avril 1968. Michael O. West, historien des perspectives globales du mouvement Black Power, décrit 1968 comme une « année capitale et majestueuse... une année de manifestations et de rébellion dans le monde entier7 ». West replace les événements de Sir George Williams dans le contexte des luttes pour les droits civiques et des mouvements anticoloniaux qui se déroulent à travers le monde en 1968, notamment marqué par l’assassinat de Martin Luther King Jr., les conflits raciaux en Rhodésie (aujourd’hui le Zimbabwe), la guerre civile au Nigéria, la révolution de Trinité et le militantisme antiguerre.

L’action politique pour la libération des Noirs prend de l’ampleur en avril 1968, notamment grâce à la marche et au rassemblement commémoratifs qui suivent l’assassinat de Martin Luther King Jr., organisés en partie par des étudiants de la Sir George Williams University comme Rosie Douglas (qui participera plus tard à l’occupation du centre informatique). L’événement est créé pour rendre hommage au leader des droits civiques et attirer l’attention sur la lutte et la libération des Noirs à Montréal7, 8. Les six étudiants noirs du cours de biologie de Perry Anderson déposent un grief auprès de l’université peu de temps après ce rassemblement7.

Dès 1965, la communauté noire de la Sir George Williams University organise une conférence annuelle sur la participation des Noirs à la société canadienne. En octobre 1968, l’événement adopte une orientation « pragmatique » pour discuter de l’accès et de la participation aux « décisions touchant la vie [des Noirs] », et se mobiliser en conséquence. Une semaine plus tard, le Congrès des écrivains noirs, un rassemblement international d’intellectuels et de radicaux noirs – dont Stokely Carmichael, Walter Rodney et C.L.R. James –, a lieu à l’Université McGill et se concentre sur l’histoire et les luttes des personnes d’ascendance africaine dans le monde entier6, 9.

LeRoi Butcher explique comment la prise de conscience et la transformation des Noirs ont évolué à la Sir George Williams University :

« Autrement dit, [l’affaire] Anderson s’inscrivait dans une séquence historique dont la dialectique avait commencé en dehors du milieu universitaire. Il y avait l’histoire de l’esclavage et de la colonisation des Noirs; il y avait l’injustice quotidienne en matière de logement, d’emploi, d’immigration, etc.; il y avait la nouvelle vague de conscience qui balayait les États-Unis et qui s’est manifestée au Congrès des écrivains noirs. Il y a eu l’incident à Halifax où Rosie Douglas, de Montréal, faussement accusé de flânage, s’est audacieusement déclaré Africain vivant dans le monde occidental par la force et non par choix – les Noirs de Montréal se sont d’ailleurs ralliés moralement et financièrement à son soutien; il y a eu le cas de la Caribbean Society à Sir George, qui s’est vu refuser un bureau tandis que d’autres groupes ayant moins de membres ont obtenu des locaux. Les étudiants noirs se sont alors mobilisés pour réclamer un bureau, avec succès... Dans ce contexte de développement d’une unité consciente et cohésive..., les plaintes contre Anderson ont cessé d’être une affaire individuelle et sont rapidement devenues un enjeu touchant les étudiants noirs10. »

Luttes politiques dans les universités

À la fin des années 1960, période historique de luttes pour les droits civiques et contre le colonialisme, les établissements d’enseignement supérieur sont des incubateurs d’actions civiques reflétant les préoccupations de la société dans son ensemble, notamment le racisme, la guerre ainsi que la participation et le pouvoir démocratiques11, 12.

Une enquête sur les manifestations étudiantes dans les collèges et les universités, réalisée par l’Urban Research Corporation de Chicago, fait état de 292 manifestations majeures sur 232 campus de collèges et d’universités aux États-Unis au cours des six premiers mois de 1969,13. La moitié des manifestations recensées concernent la reconnaissance des Noirs ainsi que les besoins et les demandes des étudiants noirs, notamment au regard des programmes d’études des Noirs, de l’augmentation du nombre de professeurs noirs et des recours pour les problèmes de discrimination13.

Dennis Forsythe utilise ce rapport pour replacer l’affaire Sir George Williams dans le contexte élargi des manifestations universitaires partout en Amérique du Nord, où les étudiants noirs et leurs alliés révèlent et rejettent les dynamiques politiques, sociales et économiques racistes des universités. « Plus qu’une révolte d’étudiants, l’affaire Sir George Williams est aussi pour Forsythe une “manifestation d’étudiants noirs”, car les événements “sont passés d’un conflit en classe à un conflit racial international”6 ». À cet égard, David Austin décrit l’affaire Sir George Williams comme « la plus importante manifestation du mouvement Black Power au Canada14 ».

Protesters walk past the Hall Building, the ground and street posts littered with computer paper Sir George Williams protest. ©The Gazette

Bibliographie

1. McRae, Matthew and Steve McCullough. The story of Black slavery in Canadian history. Canadian Museum for Human Rights. [Online] February 16, 2023. [Cited: May 18, 2023.] 

2. hampton, rosalind. Racialized social relations in higher education: Black student and faculty experiences of a canadian university. Montreal: McGill University, 2016.

3. Williams, Dorothy. The Jackie Robinson myth: social mobility and race in Montreal 1920-1960. Montreal: PhD Dissertation, Concordia University, 1999. p. 33.

4. Raska, Jan. Recruiting Domestic Workers and Live-In Caregivers in Canada. Canadian Museum of Immigration at Pier 21. [Online]

5. Order-in-Council PC 1911-1324. Canadian Museum of Immigration at Pier 21. [Online] [Cited: May 17, 2023.]

6. Forsythe, Dennis, ed. Let the niggers burn: The Sir George Williams University affair and its Canadian aftermath. Montreal : Our Generation Press, 1971.

7. West, Michael O. On Fire: The Crises at Sir George Williams University (Montreal) and the Worldwide Revolution of 1968. [book auth.] R. & Mohabir, N. Cummings. The fire that time: transnational black radicalism and the Sir George Williams occupation. Montreal : Blck Rose Books, 2021.

8. Hébert, P.C. "A Microcosm of the General Struggle": Black thought and activism in Montreal 1960-1969 (Doctoral Dissertation). s.l. : University of Michigan, 2015.

9. President's Task Force on Anti-Black Racism Final Report. Montreal : Concordia University, 2022.

10. Butcher, LeRoi. The Anderson Affair. [book auth.] Dennis Forsythe. Let the Niggers Burn: The Sir George Williams University Affair and its Caribbean Aftermath. Montreal : Black Rose Books, 1971, pp. 76-109.

11. Sheppard, Peggy. The relationship between student activism and change in the university: With particular reference to McGill University in the 1960s. Montreal: escholarship.mcgill.ca, 1989.

12. Cummings, R. & Mohabir, N. The Fire That Time: Transnational black radicalism and the Sir George Williams Occupation. Montreal : Black Rose Books, 2021.

13. Herbers, John. Analysis of Student Protests Finds Most Nonviolent, With New Left a Minor Factor. New York Times. Online, January 14, 1970.

14. Austin, David. All Roads Led to Montreal : Black power, the Caribbean and the Black Radical Tradition in Canada. The Journal of African American History. 92, 2007, Vol. 4, pp. 516-539.

Contactez-nous

Si vous avez des questions ou des commentaires, veuillez communiquer avec ptfabr@concordia.ca

Retour en haut de page

© Université Concordia