En politique municipale, il se produit parfois de ces concours de circonstances où un problème substantiel emporte dans ses remous un assortiment de personnalités hors-norme, suscitant une bonne dose d’humour scatologique et inspirant des perles aux rédacteurs de manchettes. Ce fut le cas lors du grand déversement d’eaux usées de 2015, véritable mine d’or pour les médias, qui s’en sont donné à cœur joie.
Cette année-là, la Ville de Montréal a annoncé que le réseau d’assainissement municipal nécessitait d’importantes réparations. Pour effectuer ces travaux d’entretien cruciaux, huit milliards de litres d’eaux usées devaient être déversés dans le fleuve Saint-Laurent sur une période de 70 heures à la mi-novembre. Le tollé – des écologistes, des amateurs de sports aquatiques, des résidents et des médias – a duré des mois. Néanmoins, après d’innombrables discussions en public et à l’hôtel de ville, séances photo du maire en combinaison de protection contre les matières dangereuses et prises de bec avec les autorités fédérales, de même que la formation d’un comité scientifique, le déversement a eu lieu comme prévu, sans entraîner d’effets délétères durables sur la santé du fleuve.
Malgré son étrangeté, l’anecdote a fourni un exemple concret de ce que Kregg Hetherington, professeur agrégé au Département de sociologie et d’anthropologie, appelle l’« entretien affectif ».
Dans un récent article publié par la revue Social Studies of Science, le Pr Hetherington et le doctorant Élie Jalbert décrivent l’entretien affectif comme un ensemble de pratiques « comprenant la disqualification des contre-argumentaires, les appels populistes qui réorientent les publics émergents ainsi que la déférence et la délégation aux experts ».
« On a pu voir l’administration du maire de l’époque, Denis Coderre, exercer cette approche en temps réel, relate Kregg Hetherington. Dans un premier temps, on a simplement déclaré qu’il n’y avait rien à voir et que tout allait bien, puis déployé des stratégies narratives connexes. Voyant que cela ne fonctionnait pas vraiment, on y est allé d’un discours populiste qui consistait à dire : “eh bien, maintenant que tout le monde s’intéresse aux égouts, c’est à tout le monde d’en assumer la responsabilité”. C’est là que M. Coderre est descendu dans les égouts en combinaison protectrice, pour s’afficher comme un homme du peuple plutôt que comme un technocrate distant. Or, la démarche a fait fiasco et inspiré une foule de mèmes scatologiques. S’en est suivi une série d’échanges avec la ministre fédérale de l’environnement, qui avait ses propres problèmes à régler, avant que ne soit enfin convoqué un comité d’experts pour nous dire qu’il s’agissait de la bonne chose à faire. » Cette consultation n’a pas enrichi la conversation, mais a dilué les critiques et permis à la Ville de gagner du temps jusqu’à ce que le travail se fasse et que le public passe à autre chose.