Skip to main content

Samuel Meech, artiste à l’Université Concordia, s’intéresse aux effets de l’embourgeoisement sur les usines de textile de Manchester

Sa collection Crusader Mill illustre comment la communauté sud-asiatique du secteur de la bonneterie a été expulsée d’espaces qu’elle occupait depuis des décennies
12 décembre 2022
|
« Mon objectif était d’attaquer le discours des promoteurs immobiliers, qu’ils contrôlent très bien », affirme Samuel Meech. | Photo : Samuel Meech
« Mon objectif était d’attaquer le discours des promoteurs immobiliers, qu’ils contrôlent très bien », affirme Samuel Meech. | Photo : Samuel Meech

Si ce n’est pas déjà fait, le débat sur l’embourgeoisement s’invitera bientôt dans une ville près de chez vous.

Notre façon de transformer et de renouveler nos milieux urbains soulève en effet toutes sortes de préoccupations cruciales sur l’histoire, l’argent, la culture et les communautés locales.

Nombreux sont ceux qui avancent que la transformation de quartiers historiques ou industriels par des promoteurs immobiliers est inévitable et offre plus d’avantages que d’inconvénients.

Samuel Meech, artiste visuel et chargé d’enseignement au Département des arts plastiques de l’Université Concordia, a quant à lui vécu une expérience différente. Ancien résident de Manchester, au Royaume-Uni, il a passé les dernières années à documenter la fermeture et la relocalisation des usines de bonneterie de l’immeuble Crusader Mill de la ville par le promoteur immobilier Capital & Centric.

Dans une série d’œuvres ludiques, y compris plusieurs installations en tricot, un film d’animation et un documentaire, M. Meech commente la lutte entre les locataires de Crusader Mill et les promoteurs, et y réagit.

« Mon objectif, explique-t-il, était d’attaquer le discours des promoteurs immobiliers, qu’ils contrôlent très bien, pour dire “Leur version est incomplète”. Ils ont tellement d’influence au conseil municipal qu’ils ont pu façonner leur propre discours en ne faisant aucune mention des usines de bonneterie dans l’histoire de l’immeuble. »

Le secteur du textile de Manchester possède une riche histoire, et la fermeture des usines de Crusader Mill a principalement nui à des entreprises sud-asiatiques dont les ateliers ont sauvé l’immeuble de l’abandon.

Mais lorsque Capital & Centric a acheté l’immeuble Crusader Mill en 2015, les promoteurs ont exercé une pression énorme sur ces entreprises pour qu’elles quittent les locaux. Des sept manufactures menant leurs activités dans l’immeuble en 2015, il n’en restait que deux en 2017.

'Fait accompli', par Samuel Meech. | Photo : Samuel Meech 'Fait accompli', par Samuel Meech. | Photo : Samuel Meech

« Je suis encore fâché »

Les promoteurs immobiliers utilisent des techniques qui se trouvent dans la zone grise de la légalité. Après l’achat, ils peuvent par exemple augmenter le montant du loyer ou des assurances.

On a même empêché une entreprise d’accéder à ses ateliers quand, pendant un litige sur les modalités du bail, l’usine a été la cible d’une tentative d’incendie criminel. Heureusement, les gicleurs ont contenu le brasier et personne n’a été blessé. Même si l’incendie a été déclenché intentionnellement, aucun coupable n’a été trouvé et aucune accusation n’a été portée.

« Je suis encore fâché, dit Samuel Meech, et je reste en contact avec une des usines. À mon avis, les questions d’embourgeoisement, d’effacement de notre héritage industriel et de relocalisation de communautés vulnérables demeurent toujours aussi pertinentes. »

Cette colère l’a poussé à sortir de sa zone de confort et à écrire un article savant pour la revue Textile, Cloth and Culture sur ses œuvres, les entreprises de textile et la classe ouvrière sud-asiatique de Manchester.

« Fabrications: Using Knitted Artworks to Challenge Developers’ Narratives of Regeneration and Recognise Manchester’s South Asian Working Class Textiles Businesses » a été publié en octobre.

M. Meech le décrit, en ne plaisantant qu’à moitié, comme son premier et dernier article savant.

« Je n’avais jamais rédigé d’article pour une revue auparavant, affirme-t-il. C’est un article que j’ai écrit pour moi, parce qu’il fallait que je le fasse, en dehors du contexte professionnel. Et ça a été difficile! Alors non, je ne prévois pas en écrire d’autres. »

L’article s’intéresse à l’histoire du textile à Manchester, aux œuvres qu’elle a inspirées à M. Meech, y compris une série de portraits de travailleurs du textile en tricot, ainsi qu’aux méthodes utilisées par les promoteurs pour contrôler le discours sur leur projet et s’approprier l’histoire de l’immeuble à leurs propres fins.

Un exemple de blanchiment artistique

Samuel Meech dénonce le « blanchiment artistique » des promoteurs immobiliers, un concept utilisé pour décrire leur façon de tirer profit de l’intérêt que suscite un immeuble ou un quartier branché en engageant des artistes locaux.

Dans un contexte de crise du logement, où les villes sont en croissance rapide et à court d’argent, bon nombre de municipalités cherchent à établir des partenariats avec des promoteurs du secteur privé pour faire d’une pierre deux coups : remplir leurs coffres et bâtir plus d’unités d’habitation.

Mais comme en témoigne M. Meech, tout est dans la manière. L’héritage local et les locataires de longue date doivent être pris en considération, sans quoi des communautés vulnérables et dynamiques risquent de se voir relocaliser.

« Ce qui m’inquiète surtout, conclut Samuel Meech, c’est l’ampleur du pouvoir des promoteurs immobiliers, qui ont carte blanche, sans aucun compte à rendre. Je crois que la situation est la même dans beaucoup de villes quant à qui doit être relocalisé et qui a les coudées franches. »


Lisez l’article cité, « Fabrications: Using Knitted Artworks to Challenge Developers’ Narratives of Regeneration and Recognise Manchester’s South Asian Working Class Textiles Businesses », et apprenez-en plus sur le Département des arts plastiques de l’Université Concordia.



Retour en haut de page

© Université Concordia