Grande Concordienne : Jin-me Yoon, artiste visuelle primée

Depuis plus de trente ans, Jin-me Yoon, M. Bx-arts 1993, met à profit la photographie, la vidéo et la performance pour remettre en question les discours dominants sur le lieu, l’identité et l’histoire.
Son œuvre, qui s’inscrit dans une perspective mondiale tout en restant profondément personnelle, explore les enchevêtrements entre tourisme, militarisme et colonialisme. Aujourd’hui installée à Vancouver, Yoon a immigré au Canada depuis la Corée du Sud lorsqu’elle était enfant, une expérience qui a profondément influencé sa vision artistique.
S’inspirant de ces thèmes fondamentaux, ses projets récents – dont About Time, une exposition présentée à la Vancouver Art Gallery en 2022-2023 – explorent plus en profondeur les questions de déplacement, de mémoire et de résilience.
L’artiste a notamment collaboré avec le Circle Project, une initiative mise sur pied par la cinéaste Brenda Longfellow et Brenda Morrison, militante pour la justice réparatrice. L’équipe du projet, qui réunit des artistes et d’anciennes détenues, s’attache à créer des œuvres pour imaginer des solutions de rechange au système carcéral.
Yoon travaille également sur une série d’œuvres interconnectées s’articulant autour des thèmes de la guerre, de la migration et de la mémoire historique, qu’elle explore à travers la performance et la vidéo. Un de ses projets l’a conduite dans la zone démilitarisée et la zone de contrôle civil en Corée, où elle explore les tensions géopolitiques et les héritages personnels découlant de la division du pays.
Dans une autre œuvre mettant en scène le quartier Waikiki, sur l’île d’Oahu, Yoon explore les liens entre Pearl Harbor, l’internement des Américains d’origine japonaise, la bombe atomique et l’annexion d’Hawaï.
Plus près de chez nous, l’artiste a collaboré avec le chef Bill Williams de la nation Squamish afin de faire connaître l’histoire de la dépossession des Autochtones à Kitsilano Beach, à Vancouver.
Bien que chaque lieu porte en lui sa propre histoire, l’artiste estime qu’ils forment ensemble une méditation sur les forces mondiales à l’origine des déplacements et sur la résilience des gens confrontés à cette réalité.
Alors qu’elle jouit d’une notoriété grandissante – elle a notamment remporté le Prix de photographie Banque Scotia 2022 et le prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques 2025 –, Yoon reste attachée à une démarche artistique lente et réfléchie. À ce stade de sa carrière, elle se décrit comme étant à l’apogée de son processus créatif, adoptant une approche évolutive où elle laisse davantage place à la légèreté et à l’expérimentation.
« Je crée pour apprendre, affirme-t-elle. Depuis l’enfance, j’ai toujours été d’un naturel curieux, et cette curiosité m’habite encore aujourd’hui. »
« Ma pratique créative est le fondement même de mon identité. Je ne peux pas la dissocier de moi-même. Je crée mon art, et mon art me crée. »
Qu’est-ce qui vous vient spontanément à l’esprit quand vous repensez à vos études à Concordia?
Jin-me Yoon : Je me suis inscrite à Concordia en 1990 pour poursuivre mes études de maîtrise ès beaux-arts. C’était une période particulièrement stimulante. Je venais d’immigrer depuis la Corée du Sud et de m’installer à Vancouver. J’éprouvais le besoin de découvrir les racines du Canada, un État-nation relativement jeune.
Montréal, avec sa scène artistique dynamique, était l’endroit idéal pour me plonger dans ces questions. C’était une époque marquée par des débats passionnés sur des moments historiques intenses, et nous pouvions en discuter avec ferveur tout en continuant à sortir et à nous amuser. La diversité qui caractérise la communauté de Concordia, tant au sein du corps professoral que de l’effectif étudiant, m’a amenée à développer mon esprit critique dans un tout autre contexte. La scène artistique était très différente de celle de Vancouver, mais tout aussi florissante. C’était un milieu inspirant, propice à la poursuite de ma carrière artistique.
Pouvez-vous énumérer certains des facteurs qui ont contribué à votre réussite?
JY: Le soutien dont j’ai bénéficié s’est révélé essentiel à ma réussite. Il est faux de croire que le talent à lui seul suffit pour réussir en tant qu’artiste; nous avons besoin d’être appuyés. Pour ma part, j’ai eu le privilège de fréquenter d’excellents établissements et programmes de formation publics, en plus de recevoir des subventions d’organismes publics comme le Conseil des arts du Canada et le Conseil des arts de la Colombie-Britannique.
Et surtout, j’ai eu l’occasion de travailler dans des centres gérés par des artistes, ce qui m’a permis de me tailler une place en tant qu’artiste. Mais ça n’a pas été facile.
Les artistes ont besoin d’évoluer dans une société qui les valorise. L’art joue un rôle essentiel dans la réflexion sur le passé, la compréhension du présent et l’imagination de l’avenir. Nous devons continuer à nous battre pour que les artistes puissent exister et s’épanouir, en particulier dans un monde matérialiste qui rend souvent leur survie difficile.
Quels conseils donneriez-vous aux étudiantes et étudiants qui souhaiteraient suivre vos traces?
JY: Tout d’abord, rappelez-vous qu’être artiste n’est pas le seul moyen de trouver sa place dans le monde. De nombreux étudiants se tourneront vers d’autres domaines après l’obtention de leur diplôme, et c’est tout à fait normal. Une formation artistique favorise la créativité et l’esprit critique, et fournit un cadre pour comprendre les complexités du monde. Cette formation vous sera utile, que vous poursuiviez ou non une carrière dans le domaine des arts.
En fin de compte, une formation artistique constitue avant tout une manière d’aborder le monde, et pas uniquement une préparation à une carrière d’artiste.
Quel effet cela vous fait-il d’avoir été nommée Grande Concordienne?
JY: C’est à la fois merveilleux et inattendu, mais j’ai malgré tout l’impression que cette récompense arrive au bon moment. Dans la tradition coréenne, atteindre l’âge de 60 ans est considéré comme l’achèvement de cinq cycles du zodiaque lunaire, ce qui représente une étape importante. Alors que j’entame ma septième décennie, cette reconnaissance revêt une signification particulière pour moi.
Je suis fière, non seulement de mon propre travail, mais aussi des réalisations collectives accomplies par des personnes issues de tous les horizons. C’est un honneur d’être ainsi récompensée et de faire partie d’un groupe aussi diversifié. J’espère également que cette distinction nous rappellera l’importance de rendre l’éducation accessible à tous, une cause que j’entends continuer à défendre.
Tirez fierté de nos Grandes Concordiennes et Grands Concordiens !
Cinquante diplômés remarquables recevront cette reconnaissance dans le cadre du 50e anniversaire de l’Université. Chacune de ces personnalités a apporté une contribution majeure à son domaine d’activité et à la société.
Nous présenterons une personnalité d’exception chaque semaine jusqu’au mois de septembre 2025.
Cette nouvelle cohorte s’inscrit dans la continuité du palmarès des 40 personnes d’exception établi à l’occasion du 40e anniversaire de l’Université.