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Un nouveau documentaire réalisé par Joyce Joumaa propose une allégorie architecturale de la crise libanaise

La diplômée en études cinématographiques utilise le champ de foire abandonné d’Oscar Niemeyer à Tripoli pour explorer l’effondrement au-delà du site
17 juillet 2023
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Par Jordan Whitehouse


Joyce Joumaa regarde attentivement pendant qu'un caméraman filme. « Ce qui m’intéressait n’était pas vraiment de relater l’histoire de la foire. Il s’agissait plutôt de mettre en parallèle l’idée d’effondrement qui existe dans les structures en béton avec celle qui existe aussi dans l’économie actuelle du pays », affirme Joyce Joumaa, B. Bx-arts 2022. | Photo: Oumayma Ben Tanfous

L’ancienne ville portuaire de Tripoli n’est pas le premier endroit qui vient à l’esprit lorsqu’on pense à l’architecture moderne et futuriste. Pourtant, là-bas, parmi les mosquées et les châteaux centenaires, se trouve un vaste champ de foire considéré comme l’une des œuvres clés du modernisme du 20e siècle au Moyen-Orient.

Il s’agit d’une vision étrange, mais ce qui rend encore plus étranges les 15 structures futuristes qui composent le complexe est qu’elles sont complètement abandonnées.

Elles ont toutes été érigées dans les années 1960 pour constituer la foire internationale permanente imaginée par l’architecte brésilien Oscar Niemeyer. Or, la construction de la Foire internationale Rachid Karami, nommée ainsi en l’honneur du premier ministre libanais ayant cumulé les mandats, a été interrompue en 1975, non pas pour des raisons pratiques, mais à cause du début de la guerre civile qui a fait rage au Liban pendant 15 ans. La construction n’a jamais repris, et la foire n’a jamais ouvert ses portes.

Peu de gens ont aujourd’hui l’occasion de visiter ce site fantomatique de 100 hectares, mais Joyce Joumaa, B. Bx-arts 2022, diplômée en études cinématographiques de l’Université Concordia, l’a fait.

Ayant grandi à Tripoli, Mme Joumaa a terminé récemment un documentaire à propos de la foire intitulé L’inertie du vide, ainsi qu’une exposition au Centre canadien d’architecture (CCA), à Montréal, qui a pris fin le 28 mai dernier. Elle a également été sélectionnée pour le Programme de résidence pour commissaires émergents 2021-2022 du CCA. Elle est d’ailleurs la première artiste et Montréalaise à être choisie.

« Ce qui m’intéressait dans ce documentaire n’était pas vraiment de relater l’histoire de la foire, explique-t-elle. Il s’agissait plutôt de mettre en parallèle l’idée d’effondrement qui existe dans les structures en béton avec celle qui existe aussi dans l’économie actuelle du pays. »

Une silhouette de Joyce Joumaa, directeur de la photographie William Albu, BFA 20, filmant sur un balcon donnant sur une vue étendue et brumeuse Joyce Joumaa, B. Bx-arts 2022, et William Albu, B. Bx-arts 2020, directeur photo sur le tournage de L’inertie du vide. | Photo: Oumayma Ben Tanfous

Racines d’une cinéaste

Depuis maintenant plus de trois ans, le Liban traverse une crise économique que la Banque mondiale a qualifiée de l’une des 10 pires crises du monde depuis le 19e siècle. Les experts estiment qu’elle trouve son origine dans les décennies de corruption et de mauvaise gestion de la classe politique au pouvoir depuis la fin de la guerre civile en 1990.

Joyce Joumaa a vu, et senti, les conséquences de cette négligence alors qu’elle était adolescente, au début de la crise des ordures survenue dans son pays en 2015. En descendant dans la rue pour manifester, elle a vu apparaître son intérêt pour le cinéma documentaire au même moment que son éveil politique.

À l’Université Concordia, Mme Joumaa a excellé dans ses études cinématographiques et a fait partie des rares étudiantes et étudiants choisis pour suivre des cours de production cinématographique.

L’une des choses qui l’ont le plus marquée durant son parcours à son alma mater était la liberté que le corps enseignant en études cinématographiques laissait aux étudiantes et étudiants pour explorer ce qui les intéressait. Elle affirme que c’est cette liberté qui lui a permis de se concentrer sur le sujet de la politique au cœur de L’inertie du vide et de la plupart de ses autres travaux.

L’esprit de communauté qui régnait au sein du Département d’études cinématographiques était un autre atout majeur selon elle. « On pourrait s’attendre à beaucoup plus de compétition, puisqu’il s’agit d’un domaine concurrentiel, mais tout le monde s’entraide. Nous travaillions tous sur les tournages des uns et des autres. » 

« Placer l’architecture dans des contextes sociaux et politiques plus larges »

Trois diplômées et diplômés de l’Université Concordia ont travaillé avec Joyce Joumaa sur L’inertie du vide : William Albu, B. Bx-arts 2020, directeur photo; Kayla Fragman, B. Bx-arts 2021, monteuse; et Louis Parent, B. Bx-arts 2020, ingénieur du son.

Mme Joumaa s’est d’abord rendue seule au Liban en février 2022 pour effectuer des recherches et des repérages, puis y est retournée pendant un mois en compagnie de M. Albu en juin et juillet pour tourner le documentaire.

Sa résidence d’un an et demi au CCA s’est également avérée cruciale pour le projet, selon elle. Non seulement le CCA a-t-il fourni les fonds nécessaires à la réalisation du documentaire ainsi qu’un espace où mener des recherches, mais ses membres ont aussi agi comme de véritables collaborateurs.

« C’était incroyable de constater cette ouverture d’esprit, raconte-t-elle. Même s’il s’agit d’une institution de recherche et d’un musée axés sur l’architecture, ils s’intéressent également au fait de placer l’architecture dans des contextes sociaux et politiques plus larges. »

Le résultat final est un documentaire expérimental de 38 minutes dans lequel figurent des documents d’archives, des films 16 millimètres et numériques, et des entretiens avec des urbanistes, des architectes et des habitants de Tripoli. L’œuvre méditative donne la parole aux résidants et utilise le champ de foire futuriste avorté comme prisme pour voir l’effondrement au-delà du site.

Pour Joyce Joumaa, l’œuvre est également une invitation à réfléchir à l’échec.

« L’échec est quelque chose auquel nous ne réfléchissons pas vraiment, surtout dans le domaine de l’architecture, au sein duquel il existe un discours positiviste. Mais je m’y suis particulièrement intéressée dans cette œuvre, en cherchant notamment à savoir comment et pourquoi les choses échouent. Le documentaire peut être un moyen pour les membres du public de réfléchir à l’échec et à ce qu’il signifie pour eux. »



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