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La chercheuse engagée de l’Université Concordia Vanessa Mardirossian dévoile les risques pour la santé associés aux colorants synthétiques des tissus

La thèse de recherche-création de la doctorante combine design textile, chimie et santé environnementale pour lutter contre les pratiques nocives de l’industrie de la mode
12 février 2024
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Femme souriante aux cheveux bruns mi-longs, portant un rouge à lèvres rouge et un haut vert-jaune.
« Il est en fait très facile de fabriquer des couleurs à l’aide de substances naturelles, affirme Vanessa Mardirossian. Ce qui est difficile, c’est de faire en sorte que ces couleurs durent et restent sur le tissu. »

Depuis des millénaires, les humains utilisent des matières naturelles – telles que les plantes, les animaux et les minéraux – pour imprégner les tissus de couleurs vives. Mais les colorants synthétiques, mis au point pour la première fois au milieu du 19e siècle, ont depuis supplanté cette tradition ancestrale.

Ces colorants polyvalents, économiques et durables dominent à présent l’industrie textile. Cette transition majeure vers les colorants pétrochimiques soulève toutefois d’importantes préoccupations en matière d’environnement et de santé, selon Vanessa Mardirossian, chercheuse engagée à l’Université Concordia.

Sur les 800 000 tonnes de colorants synthétiques utilisées chaque année, seul un quart se retrouve sur les vêtements. Le reste s’infiltre dans les cours d’eau et contribue à la pollution de l’environnement à grande échelle. Les composés chimiques contenus dans les colorants pénètrent également dans notre organisme.

Selon Mme Mardirossian, ces composés ont des effets sur notre santé que nous commençons à peine à comprendre. Ses recherches visent à mieux faire connaître les problèmes de toxicité associés aux colorants synthétiques dans le monde entier, afin d’accélérer la transition écologique de l’industrie de la mode.

Ancienne designer textile, Vanessa Mardirossian a travaillé dans l’industrie de la mode durant plus de 20 ans, ce qui lui a permis de constater de visu les nombreux effets néfastes des colorants synthétiques. La doctorante du programme d’études individualisées combine aujourd’hui design textile, chimie et santé environnementale dans le cadre de sa thèse de recherche-création.

Elle espère ainsi mieux comprendre les effets des colorants utilisés par l’industrie de la mode sur notre corps et encourager l’adoption de substituts naturels plus sûrs.

Mme Mardirossian est également chargée de cours à l’École supérieure de mode de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal. Dans le cadre de ses recherches, elle travaille à l’élaboration d’une « écolittératie textile ». Ce concept pédagogique aidera le public – y compris les consommateurs, les designers et les fabricants – à comprendre l’impact de l’industrie de la mode sur le monde naturel.

Les recherches de Vanessa Mardirossian sont financées par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) du Canada.

« L’établissement d’un lien de causalité direct pose un défi aux chercheurs en santé environnementale »

Qu’est-ce qui vous a poussé à étudier les colorants et la toxicité?

Vanessa Mardirossian : Lorsque je travaillais dans l’industrie de la mode, j’ai commencé à voir de plus en plus de rapports sur ce sujet. J’étais curieuse, car je travaillais avec les couleurs depuis des années en tant que designer textile. J’ai d’ailleurs éprouvé des problèmes de santé personnels quand je travaillais avec des colorants, mais je n’ai pas fait le lien dans un premier temps.

J’avais un studio où j’imprimais de grandes pièces de tissu pour la haute couture. J’utilisais une presse à transfert thermique à 200 °C pour appliquer des colorants dispersifs sur du polyester. Le processus impliquait de respirer les émanations de ces colorants et, malheureusement, il n’y avait pas de ventilation en place, car je n’avais pas prévu d’interaction avec l’organisme à l’époque.

Tout au long de mes quatre années dans le studio, la conception de mon deuxième enfant s’est avérée être un défi considérable. Alors que les grossesses de mon premier et de mon troisième enfant se sont déroulées sans effort, celle de mon deuxième a nécessité de nombreux traitements de fertilité. J’ai fini par tomber enceinte, mais mon enfant est né avec une mutation génétique et éprouve toujours de profondes difficultés d’apprentissage.

Les médecins m’ont dit que c’était de la malchance et qu’il n’y avait aucun lien avec les colorants. Mais plus j’étudie les colorants synthétiques, plus les recherches donnent à penser qu’un lien existe. Ces colorants contiennent en effet des composés génotoxiques et neurotoxiques qui présentent des risques pour le fœtus. L’exposition à des composés génotoxiques peut endommager le matériel génétique et entraîner des mutations de l’ADN, augmentant ainsi le risque de problèmes de croissance chez le fœtus. En outre, les composés neurotoxiques peuvent avoir une incidence néfaste sur le développement du système nerveux, ce qui peut causer des troubles cognitifs chez l’enfant.

Comment se déroulent vos recherches?

VM : Au départ, mon objectif était de mieux comprendre la toxicité des colorants synthétiques. Avec mon superviseur du Département de chimie, j’ai donc analysé la composition chimique de ces colorants. Ce faisant, j’ai découvert une méthode d’analyse capable de répertorier les molécules présentes dans le tissu teint. J’ai ensuite étudié leurs conséquences sur la santé humaine avec un médecin spécialiste de la santé environnementale.

En recourant à l’analyse par chromatographie liquide, j’ai trouvé des molécules cancérigènes dans certains échantillons. Ma revue exhaustive de la documentation scientifique a par la suite révélé que les colorants synthétiques pouvaient contenir des composés mutagènes et génotoxiques qui ont un impact sur l’organisme à très faibles doses à la suite d’une exposition chronique quotidienne. Nombre de ces substances agissent comme des perturbateurs endocriniens, susceptibles de provoquer des cancers sur de longues périodes. Cependant, malgré de fortes suspicions, il est difficile pour les chercheurs en santé environnementale d’établir un lien de causalité direct, car l’effet de ces molécules peut mettre des années à se manifester.

Je mène actuellement des recherches sur les substituts non toxiques aux colorants synthétiques. Je procède à une analyse documentaire approfondie et j’interroge de nombreux experts dans le domaine des colorants naturels. Je souhaite apporter ma contribution en faisant connaître les meilleures pratiques en matière d’élaboration de colorants non toxiques.

Quels sont d’autres moyens de colorer les textiles de manière plus durable et plus saine?

VM : Un réseau mondial de spécialistes, que j’ai interrogés dans le cadre de ma méthodologie, explore activement des solutions non toxiques en matière de colorants au moyen de diverses approches. Certains experts revitalisent d’anciennes recettes de teintures naturelles, tandis que d’autres adoptent des stratégies plus novatrices faisant appel à des organismes vivants tels que des bactéries, des algues ou des champignons.

Personnellement, je privilégie une approche biomimétique de la couleur, en m’inspirant de la dynamique des écosystèmes – notamment leur interdépendance, leur proximité et leur circularité. Dans ce modèle, chaque élément prend soin des êtres vivants qui l’entourent. Cette philosophie guide ma création de colorants inédits, conçus pour interagir positivement avec l’environnement.

J’utilise des ingrédients sûrs provenant principalement des déchets de l’industrie alimentaire. Cette démarche reflète mon intérêt pour l’écologie industrielle, où les déchets d’une industrie se transforment en ressources pour une autre.

Je continue en outre d’explorer activement des méthodes permettant de réduire à la fois la quantité de colorant utilisée et la quantité d’eau nécessaire au processus de teinture. J’ai ainsi utilisé des bactéries productrices de pigments pour préparer des colorants à température ambiante en 48 heures. Ces expériences artistiques m’ont permis de créer avec succès plus de 300 teintes uniques correspondant à la palette Pantone.


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Programme des chercheuses et chercheurs engagés de l’Université Concordia.

 

 



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