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La culture organisationnelle empêche les hommes de prendre un congé de paternité, écrit Claudine Mangen

Dans une étude exploratoire, la professeure de l’École de gestion John-Molson constate que la forte sexospécificité des rôles décourage les nouveaux pères de faire passer leur famille avant leurs obligations professionnelles
5 décembre 2023
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Un homme en tee-shirt blanc berce sa petite fille.

La culture d’entreprise et le caractère sexospécifique de l’éducation des enfants demeurent rétrogrades dans de nombreux pays, et ce, même si les congés de paternité y sont souvent encadrés par la loi.

Dans une récente étude portant sur les congés de paternité dans des cabinets comptables de France, des chercheuses ont constaté que les professionnels de sexe masculin préféreraient passer plus de temps avec leur partenaire et leur nouveau-né. Cependant, de nombreux hommes sont contraints de retarder leur congé de paternité ou d’y renoncer en raison de leurs obligations professionnelles.

Selon l’article publié dans Accounting Horizons, le rôle de père et les congés de paternité sont vécus de manières très différentes par les intéressés.

Certains expriment de la frustration par rapport au faible soutien moral et matériel fourni par leur employeur et à la difficulté de concilier paternité et exigences de la vie professionnelle. Les chercheuses ont aussi observé que les nouveaux pères ont tendance à percevoir les congés parentaux comme de longues vacances plutôt que comme une occasion de tisser des liens avec leur nouveau-né.

« La plupart des hommes hésitent à prendre les congés auxquels ils ont droit tout simplement parce qu’ils comprennent comment fonctionne leur monde professionnel », explique Claudine Mangen, coauteure de l’étude et professeure de comptabilité à l’École de gestion John Molson.

« On accepte que les femmes prennent un congé parental, mais les hommes qui en font autant sont vus comme enfreignant la norme selon laquelle ils doivent se concentrer sur leur carrière. Bien qu’on sache qu’il y a un prix à payer sur le plan professionnel pour les femmes qui se consacrent à l’éducation de leurs enfants, les hommes craignent grandement que le prix qu’ils auront à payer soit encore plus élevé. »

« Les normes ne sont pas les mêmes pour les hommes. »

Claudine Mangen a les cheveux noirs jusqu'aux épaules et porte une chemise bleue et blanche à rayures horizontales. « La plupart des hommes hésitent à prendre les congés auxquels ils ont droit tout simplement parce qu’ils comprennent comment fonctionne leur monde professionnel », explique Claudine Mangen.

Légal, mais pas encouragé

Les chercheuses ont volontairement limité la taille de leur échantillon aux fins de cette étude exploratoire. Elles ont interrogé 13 hommes travaillant dans des cabinets d’audit en France. L’échantillon comprenait des associés, des cadres supérieurs, des cadres et un homme âgé. Tous sauf un avaient des enfants. Tous travaillaient dans des cabinets de taille moyenne ou dans l’une des quatre grandes sociétés (KPMG, PwC, Ernst & Young, Deloitte).

Les entretiens menés par les chercheuses ont fait ressortir cinq grands thèmes :

Les pères hésitent à prendre un congé de paternité. Ceux qui le font ont tendance à prendre leur congé en fonction des périodes les plus et les moins occupées au travail, souvent au mois d’août.

Les congés de paternité sont incompatibles avec la vie professionnelle. De nombreux pères ont retardé leur congé ou y ont renoncé en raison de contraintes professionnelles.

Les cabinets sont plus conciliants avec les mères qu’avec les pères. En France, les femmes ont droit à un congé de 16 semaines. Les pères ont légalement droit à cinq semaines. Les chercheuses ont également constaté que les cabinets étaient plus enclins à planifier et à promouvoir les congés de maternité que les congés de paternité.

Les congés de paternité sont vus comme des vacances. Les pères et leurs collègues considèrent souvent le temps qui n’est pas dédié au travail comme une occasion de se détendre en famille et de ralentir le rythme, et non comme un moment pour s’occuper d’un nouveau-né de manière soutenue.

Les perspectives diffèrent sur le plan émotionnel. Certains pères répugnent à s’occuper de leurs enfants ou à parler de leur vie personnelle au travail tandis que d’autres sont frustrés ou stressés à l’idée de demander un congé ou de voir le travail empiéter sur celui-ci. D’autres encore ont dit regretter d’avoir été privés d’un congé de paternité ou de leur vie familiale à cause du travail.

« Nous voulions que l’étude présente un éventail de points de vue, car nous ne savions pas si les hommes étaient réellement satisfaits du statu quo. Il s’avère que beaucoup ne le sont pas », indique la Pre Mangen, titulaire de la bourse professorale RBC en responsabilité d’entreprises.

« Les hommes s’inquiètent du fait que le travail à outrance soit si valorisé, et pas seulement dans les cabinets de services professionnels. »

Selon Claudine Mangen, les entreprises devraient réévaluer ce qu’elles font pour rendre leur milieu de travail équitable. Elles doivent revoir comment elles s’y prennent pour corriger les inégalités entre les hommes et les femmes si elles veulent vraiment atteindre les objectifs qu’elles se sont fixés.

« Les entreprises doivent examiner attentivement les principes implicites régissant le travail et la structure hiérarchique », avance-t-elle.

« L’un de ceux-ci veut qu’un cadre supérieur soit un homme qui ne s’implique pas auprès de ses enfants. »

« Les dirigeants personnifient le comportement attendu dans l’ensemble de l’entreprise. Les jeunes comptables qui ont des enfants comprendront le message implicite que leurs supérieurs leur envoient. »

Claire Garnier de la KEDGE Business School et Edwige Nortier de l’Université Paris Dauphine - PSL sont les coauteures de l’étude.

Lisez l’article cité : Men’s Experiences of Paternity Leaves in Accounting Firms.



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