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Les œuvres d’une professeure de Concordia font l’objet d’une exposition solo au Musée d’art contemporain de Montréal

Janet Werner regarde des milliers d’images avant d’en trouver une qui l’inspire
11 novembre 2019
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« Tous mes portraits offrent une forme de prestation », affirme Janet Werner. | Photo : Paul Litherland
« Tous mes portraits offrent une forme de prestation », affirme Janet Werner. | Photo : Paul Litherland

Depuis les années 1990, Janet Werner impose un genre unique de portraits fictifs. Cette professeure, qui travaille au Département des arts plastiques de l’Université Concordia depuis 20 ans, a vu ses œuvres exposées dans de nombreuses villes, dont Ottawa, Vancouver et Prague. Tout récemment, elle a organisé sa première grande exposition solo aux États-Unis à la galerie Anat Ebgi, à Los Angeles.

Du 31 octobre 2019 au 5 janvier 2020, le Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) présente une exposition solo éponyme de l’artiste. Ce survol ciblé de sa dernière décennie de production explore son utilisation distincte du collage à partir de photographies de mode ainsi que son processus de création.

Originaire de Winnipeg, la Pre Werner est titulaire d’un baccalauréat ès beaux-arts du Maryland Institute College of Art, à Baltimore, et d’une maîtrise ès beaux-arts de la School of Art and Architecture de l’Université Yale, à New Haven, au Connecticut.

Assise parmi ses peintures au Musée d’art contemporain de Montréal, l’artiste nous parle de son exposition, de son processus créatif et de sa dernière année d’enseignement à Concordia.

Janet Werner. | © Concordia University, photo : Lisa Graves Janet Werner | © Concordia University, photo : Lisa Graves

Mes sujets vous donnent envie d’en savoir plus sur eux

Pouvez-vous décrire comment cette exposition a vu le jour?

Janet Werner : J’ai collaboré étroitement avec le commissaire François LeTourneux. Nous avons décidé de présenter un choix d’œuvres réalisées au cours de la dernière décennie. Cette exposition n’est donc pas une rétrospective, et n’est pas représentative de l’ensemble de mon œuvre. Nous avons cherché à choisir des portraits qui représentent les moments clés de mes dernières années de production. Un côté de l’exposition montre une série de portraits fictifs, tandis que l’autre est davantage axé sur le processus de composition des images en atelier.

Je compose mes portraits en m’inspirant de la technique du collage. Auparavant, je dissimulais les contours des diverses images utilisées dans le collage, ce qui conférait à mes tableaux une indicible étrangeté. Les œuvres dans cette salle évoquent plutôt l’espace créatif d’un atelier. On y voit de petites images dispersées, laissant supposer qu’elles ont été agencées.

<em>Folding Woman</em>, 2009, par Janet Werner. | <em>Beast</em>, 2019, par Janet Werner. Folding Woman, 2009, par Janet Werner. | Beast, 2019, par Janet Werner.

Vous dites que les contours n’étaient pas apparents à l’époque. Faut-il comprendre que vous avez adopté une nouvelle méthode?

JW : J’avais l’habitude de dissimuler les contours, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Dans le tableau Beast (2019), par exemple, on peut voir trois images distinctes. À l’époque, je camouflais les contours, ce qui donnait l’impression d’une certaine distorsion, sans aucune trace visible de juxtaposition des images. J’obtenais ainsi le portrait d’un personnage plutôt curieux!

Pourquoi avez-vous modifié votre procédé?

JW : Par curiosité, mais aussi parce que je voulais m’éloigner du portrait pour explorer l’espace qui l’entoure et me permettre une petite incursion dans l’architecture. Je souhaitais également me distancer de la rencontre émotionnelle et psychologique pour me tourner vers une approche un peu plus cérébrale.

C’est amusant. Je me suis demandé si l’on pouvait avoir une réaction émotionnelle devant un portrait tout en sachant qu’il s’agit d’une image et non d’une vraie personne. Dans l’autre salle d’exposition, j’imagine que le spectateur fait la rencontre d’une autre entité. Mais ici, il se retrouve devant des fragments.

C’est une chose de ressentir des émotions devant des portraits, mais qu’en est-il des toiles qui représentent des images? Comment y réagissons-nous?

JW : Comment y réagissez-vous? Dans le cas du tableau Untitled (Curtain) (2016), voyez-vous un personnage ayant une charge émotionnelle? Je voulais ajouter une autre dimension. J’ai intégré plusieurs références aux rideaux et à la scène pour évoquer l’idée que l’atelier est en quelque sorte le lieu de cette prestation scénique.

J’ai d’ailleurs baptisé l’un de mes personnages Performer (2014), mais en réalité, tous mes portraits offrent une forme de prestation. Parfois, mes sujets se livrent à des déguisements et à des mascarades, tantôt masqués, tantôt dévoilés.

<em>Untitled (Gallery),</em> 2017, par Janet Werner. | <em>Untitled (Curtain),</em> 2016, par Janet Werner. Untitled (Gallery), 2017, par Janet Werner. | Untitled (Curtain), 2016, par Janet Werner.

Quel intérêt portez-vous aux magazines et à d’autres types de publications?

JW : Il est encore important pour moi de tenir quelque chose de tangible entre les mains. J’aime la matérialité des photographies et des magazines, et l’expérience de feuilleter une revue. Je regarde des milliers d’images avant d’en trouver une qui m’inspire.

Je m’efforce de me distancer du numérique. Dans mon atelier, la lenteur est omniprésente. Je ne fais pas défiler des images sur un écran, je tourne des pages. Je sais que c’est inusité. Il ne s’agit que d’une mince feuille de papier, mais sa matérialité est différente d’un écran.

Quel est le rapport entre vos sujets et le regard porté sur eux?

JW : Mes personnages ont souvent les yeux dissimulés. Dans le cas de Hass (2017), le visage est replié de manière à ne laisser entrevoir qu’une bouche souriante. Dans l’autre salle, il y a un personnage masqué de telle sorte qu’on ne distingue ni sa bouche ni ses yeux. Ils vous donnent envie d’en savoir plus sur eux.

Quel rôle la notion de race et de blanchitude occupe-t-elle dans votre œuvre?

JW : C’est ma réalité. C’est mon identité. Dans la mesure où mes personnages sont des autoportraits, il serait inexact de leur attribuer une autre appartenance. Cependant, je les vois un peu comme des coquilles. Surtout dans le cas de Untitled (gallery) (2017) — qui est très fantomatique.

Qu’est-ce qui vous amène à représenter des corps déformés?

JW : Je vois parfois ces distorsions comme un écho de la vie intérieure. Des personnages aux proportions normales évoqueraient sans doute une représentation de quelque chose de tangible. Mes personnages évoquent ce qui est à l’intérieur, à l’abri des regards.

J’ai toujours été fascinée par ce qui se passait dans l’espace invisible situé entre les yeux et l’intérieur du corps. Comment exprimer la vie intérieure en montrant l’extérieur du corps? La distorsion est un élément qui, je l’espère, amènera les gens à s’interroger sur le sens de mon œuvre.

Dans le tableau Sorcerer (2016), les yeux et les seins du personnage pointent vers le haut, ses petites mains sont posées sur la table, et le corps est avachi. On voit un personnage mi-présent, mi-absent, en questionnement. Il y a plusieurs manières d’interpréter mes créations. J’aime la complexité!

Que pensez-vous de votre dernière année d’enseignement à Concordia?

JW : Je suis enthousiasmée à l’idée d’être enfin une artiste à temps plein après tant d’années passées à me sentir déchirée entre ces deux carrières. J’aime enseigner, mais cela exige tellement d’énergie. J’ai hâte de pouvoir me consacrer entièrement à mon art.

Certains aspects de l’enseignement me manqueront, mais j’espère avoir encore l’occasion d’interagir avec les étudiants, surtout ceux des cycles supérieurs. Je répondrai aux invitations. J’ai un peu l’impression de basculer dans le vide. Je ne sais pas ce que me réserve l’avenir. Nous verrons bien!

 

L’exposition solo de Janet Werner au Musée d’art contemporain de Montréal sera présentée du 31 octobre 2019 au 5 janvier 2020.

Apprenez-en davantage sur le Département des arts plastiques de l’Université Concordia.

 



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