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Transformer la défaite historique du NDP en une occasion à saisir
Cet articlé a été publié dans Le Devoir.
Il est difficile d’imaginer un résultat plus amer pour le Nouveau Parti démocratique (NPD), qui a essuyé sa défaite électorale la plus cuisante depuis sa création, en 1961.
La part du vote populaire du NPD a chuté de plus des deux tiers, pour se situer à seulement 6,3 %, selon les résultats préliminaires, une déroute pire que celle de 1993 sous Audrey McLaughlin. Il en va de même en ce qui concerne le nombre de sièges, qui est passé de 24 à 7 (dans le meilleur des cas, car les résultats finaux restent à venir pour deux de ces circonscriptions). Non seulement le chef du parti, Jagmeet Singh, a perdu sa circonscription de la région de Vancouver, mais il y est arrivé en troisième place, avec une part embarrassante de 18 % des voix.
Les raisons sous-jacentes de cet effondrement électoral sont évidentes.
Jagmeet Singh était un chef faible, nul doute là-dessus. Si le parti avait conservé Thomas Mulcair à sa tête, le paysage politique canadien serait fort différent aujourd’hui. Cela dit, d’autres raisons plus importantes expliquent cet effondrement historique du NPD.
Formé sur le modèle du Parti travailliste britannique, le NPD était autrefois solidement implanté dans des villes industrielles fortement syndiquées et dans des régions ressources du Canada anglophone. Or, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Au cours de la dernière décennie, les conservateurs ont courtisé le vote de la classe ouvrière, imitant en cela la stratégie des républicains aux États-Unis et d’autres partis populistes en Europe. Les vieux bastions sociaux-démocrates tombent comme des dominos.

Et nous vivons le même phénomène.
Des châteaux forts du NPD, comme Hamilton et Windsor, ainsi que d’autres situés dans le nord de l’Ontario, du Manitoba et de la Colombie-Britannique, sont tous tombés cette semaine, la plupart du temps aux mains des conservateurs. À la lumière d’une enquête plus poussée, on observera sans doute que les Canadiens anglais sans diplôme universitaire ont rompu avec leur habitude et voté massivement pour les conservateurs. C’est donc dire qu’un apparent clivage culturel a pris le pas sur la vieille dichotomie gauche-droite.
Or, si les conservateurs ont réussi à séduire la classe ouvrière, c’est parce que le NPD s’éloigne depuis longtemps déjà de ce groupe qui constitue sa base historique. Un tournant à cet égard est survenu dans les années 1990, lorsque le NPD ontarien de Bob Rae est venu tout gâcher.
En parallèle, le parti de gauche a également vu ses électeurs urbains et « progressistes » de la classe moyenne, dont une grande partie travaille dans le secteur public, se ruer vers les libéraux de crainte de se retrouver face au double assaut de Pierre Poilievre et de Donald Trump. C’est ainsi que le NPD a perdu la plupart de ses circonscriptions des centres urbains.
Complètement balayé de la carte en Ontario, le parti ne détient plus qu’une poignée de circonscriptions dans les villes de Montréal, Winnipeg, Edmonton et Vancouver, en plus de celles de Nunavut et de Courtenay-Alberni, sur l’île de Vancouver.
Alors, que faire maintenant ? C’est ici que je vois une occasion.
Bien que peu nombreux, les membres du nouveau caucus du NPD représentent une grande partie du pays. Il s’agit d’un groupe exceptionnellement talentueux et diversifié, comptant par exemple Alexandre Boulerice à Montréal. Tous ses membres ont défié les pronostics et remporté la victoire. Plusieurs ont l’étoffe d’un excellent chef de parti (ou d’un futur ministre).
Et, surtout, l’écart séparant les libéraux d’un gouvernement majoritaire est suffisamment mince pour permettre au seul NPD de leur donner l’avantage. Le parti dispose donc de la même influence qu’il possédait à la législature précédente, où il avait conclu une entente de soutien et de confiance avec les libéraux.
Cette fois-ci, cependant, les néodémocrates doivent adopter une stratégie nouvelle et audacieuse.
Vu l’importance des enjeux découlant des barrières tarifaires et des menaces d’annexion de Donald Trump, le NPD doit insister pour se joindre au gouvernement en tant que partenaire à part entière au sein d’une coalition. À l’échelle fédérale, il s’agirait du premier gouvernement de coalition depuis la Première Guerre mondiale. Ce serait également la première fois que le NPD fédéral goûterait au pouvoir — une expérience inestimable à court et à long terme.
Il y a tout lieu de penser que les néodémocrates pourraient obtenir trois ministres dans le cadre d’un tel accord. De plus, le parti doit bien jouer ses cartes et exiger au moins un portefeuille économique ou social afin de pouvoir répondre aux attentes de l’électorat de la classe ouvrière.
Seule une coalition en bonne et due forme peut donner au Canada la stabilité dont il a besoin. Et à la gauche la chance de sortir de ses ornières.