Aller au contenu principal
article

Les hommes ont encore des réticences à utiliser pleinement leurs congés parentaux. Voici pourquoi

16 juin 2025
|
Par Claudine Mangen


 

Les femmes sont encore aujourd'hui surreprésentées en matière de congé parental au Québec. (Shutterstock)

Au Québec, le congé de paternité et le congé parental ont la cote : 93 % des pères en prennent un. Pourtant la situation était tout autre jusqu’à récemment.

En 2006, 56 % des pères québécois prenaient un congé. Dans d’autres provinces du pays, ce taux ne s’élève d’ailleurs pas à plus de 24 %. Le Québec se distingue même au niveau mondial. Il se classe en effet parmi les pays, typiquement scandinaves, où le congé de paternité est le plus prisé. Les pères prennent aussi des congés de paternité et parental de plus en plus long au Québec. En 2021, ils étaient en congé pendant 10 semaines en moyenne, comparé à 8,5 semaines en 2006.

En tant que professeure en Organisations responsables à l’Université Concordia, je mène des recherches sur les congés de paternité et parentaux. Récemment, j’ai publié une étude sur les congés de paternité.

Cette étude se base sur des entretiens avec des pères qui travaillent dans des cabinets comptables, afin de nous aider à comprendre leurs perceptions et expériences relatives aux congés de paternité.

Qu’est-ce qui a changé ?

En 2020, le Québec a adopté la loi 51, qui encourage les pères à prendre des congés parentaux en attribuant quatre semaines de congé additionnelles aux couples dont les deux parents prennent une partie de ce congé.

Cependant, les pères ont encore des réticences : ils prennent des congés plus courts que les mères dont les congés durent 45 semaines en moyenne. De par la loi, les pères pourraient demander bien plus que les 10 semaines qu’ils s’octroient en moyenne au Québec.


Déjà des milliers d’abonnés à l’infolettre de La Conversation. Et vous ? Abonnez-vous gratuitement à notre infolettre pour mieux comprendre les grands enjeux contemporains.


La loi prévoit en effet cinq semaines de congé de paternité non transférables et 32 heures de congé parental, à partager entre les parents. Depuis la loi 51, ce congé parental peut être rallongé de quatre semaines si les deux parents en profitent.

Pourquoi cette réticence des hommes ?

Le culte de l’archi-disponibilité

Premièrement, mon étude montre que les pères considèrent fréquemment que les congés sont incompatibles avec le travail professionnel. Ce dernier demande souvent que les employés se sacrifient, notamment en étant toujours disponibles pour travailler pendant de longues heures. De telles demandes sont malsaines, notamment en contribuant à l’épuisement professionnel.

Les pères comprennent que s’ils ne peuvent pas offrir cette disponibilité, ils risquent de se faire pénaliser et de voir leurs possibilités d’avancement se restreindre ou même disparaître, en faveur de personnes davantage disponibles. La réticence vis-à-vis des congés découlerait donc d’une culture d’archi-disponibilité au travail.

Un homme travaille sur son ordinateur en tenant son enfant
Les pères sont nombreux à estimer que leur carrière est inconciliable avec un congé de paternité long. (Shutterstock)

Les pères au Québec, d’ailleurs, craignent souvent d’être vus comme étant en effraction des normes en vigueur dans leur milieu de travail et jugés négativement par leur superviseur. Les hommes, plus que les femmes, hésitent à sacrifier des opportunités professionnelles pour s’occuper des enfants.

Des résistances aux congés de paternité

Le culte de l’archi-disponibilité se reflète aussi dans le fait que les employeurs encouragent relativement peu les pères à prendre un congé. C’est auprès des mères que les employeurs font la promotion des congés.

Pire, les employeurs peuvent se montrer récalcitrants à accorder un congé parental à un employé masculin : au Québec, les pères qui désirent prendre des congés plus longs peuvent faire face à de l’opposition de la part de leur employeur et rencontrer des défis dans leur environnement professionnel. On peut par exemple les dissuader de prendre un tel congé en faisant valoir qu’ils sont difficilement remplaçables.

Méprise sur les congés de paternité

Mon étude montre également que les congés de paternité sont souvent perçus comme des moments de vacances pendant lesquels les pères passent de bons moments en famille.

Les congés ne sont donc pas vus comme des périodes pendant lesquelles les pères s’occupent activement et exclusivement de leur enfant, voire de la maison. Ce travail de care est encore aujourd’hui perçu comme féminin, et comme incombant davantage aux femmes.

Une femme tient son poupon dans une main, puis plie du linge de l’autre
Les femmes s’occupent davantage du travail ménager que les hommes. (Shutterstock)

Selon Statistique Canada, les femmes font du travail ménager pendant 3,7 heures par jour, soit 42,3 % de plus que les hommes, qui y passent 2,6 heures au quotidien. Cette explication met l’emphase sur les normes selon lesquelles les femmes restent responsables du travail de care.

La réticence des pères à prendre des congés de paternité longs découlerait donc de ces normes qui dispensent les hommes du travail de care.

Le poids financier associé aux congés de paternité

Les pères peuvent aussi hésiter à prendre des congés longs en raison des répercussions financières. Souvent, les congés s’accompagnent d’une réduction substantielle du revenu des pères, même si les congés sont payés à hauteur de 70 % du revenu pour les congés de paternité et de 55 % du revenu pour les congés parentaux.

L’anticipation d’une baisse de revenu peut contribuer à ce que les pères hésitent à prendre un congé de paternité long, voire décident de ne tout simplement pas le prendre.

Ces points suggèrent que pour encourager les pères à prendre des congés plus longs, il faut s’attaquer à la culture du travail dans les entreprises, notamment autour des attentes de disponibilité, à la culture autour du travail de care, qui continue à être vue comme féminin, et à la situation financière des pères, vécue comme trop négativement affectée par les congés.The Conversation

Claudine Mangen, RBC Professor in Responsible Organizations and Full Professor, Concordia University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.




Retour en haut de page Retour en haut de page

© Université Concordia