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Aux origines des CPE, les solidarités entre parents et éducatrices
Cet articlé a été publié dans Le Devoir.
Au cours des dernières semaines, le personnel de 400 centres de la petite enfance (CPE) a intensifié sa grève. Les familles, malgré tous les inconvénients que cela implique pour leur routine, restent solidaires.
Nous sommes loin de l’image d’une population « prise en otage », comme l’a laissé entendre le gouvernement pour justifier l’adoption d’une loi restreignant le droit de grève. Au contraire, de nombreux parents se rendent sur les lignes de piquetage avec leurs enfants, participent aux manifestations et affichent ouvertement leur soutien. Plusieurs mères déploient des miracles d’organisation pour trouver des solutions de garde, tout en appuyant les éducatrices.
Cette profonde solidarité entre les parents et le personnel des CPE prend d’abord racine dans le travail de soin et d’éducation des enfants. Les familles constatent quotidiennement à quel point l’apport des éducatrices et du personnel de soutien est précieux, mais aussi fragilisé en raison des conditions d’emploi peu attrayantes.
Tout comme dans les réseaux de l’éducation et de la santé, les CPE font face à une pénurie de main-d’œuvre sans précédent. Les cohortes de futures éducatrices ne sont pas au rendez-vous, et des milliers d’entre elles quittent le milieu chaque année. Les établissements font face à des difficultés de recrutement et se tournent vers des agences de placement, dont les services sont coûteux. En tant que parents, nous comprenons qu’il est urgent de renverser cette tendance.
Garderies populaires
Plus fondamentalement, la convergence entre les parents et les travailleuses remonte à l’origine même des CPE. On situe généralement la naissance de ces établissements en 1997, au moment où le gouvernement québécois lançait un réseau de « garderies à 5 $ ». Toutefois, l’histoire ne commence pas là. Il faut revenir au tournant des années 1970, lorsque de plus en plus de mères de jeunes enfants souhaitaient poursuivre leur carrière ou entrer sur le marché de l’emploi. À l’époque, les quelques garderies privées à but lucratif ainsi que la garde en milieu familial, très peu encadrées, ne répondaient pas aux besoins croissants des familles.

À partir de 1971, les premières « garderies populaires » ont vu le jour, à l’initiative de parents et de travailleuses. Ces établissements, généralement situés dans les quartiers défavorisés, ont formé le cœur d’un mouvement combatif déterminé à offrir des services de qualité et à promouvoir une pédagogie inclusive et égalitaire auprès des enfants.
À Montréal, plusieurs de ces garderies se sont installées dans des écoles désaffectées. Cependant, l’accès à ces locaux a souvent été compromis en raison d’augmentations substantielles des loyers.
Au départ, les mobilisations des parents et du personnel éducateur visaient principalement à assurer la survie des garderies sans but lucratif. Ces dernières étaient constamment menacées de fermeture en raison du maigre financement gouvernemental, et leur fonctionnement reposait largement sur le bénévolat et les faibles salaires. Une série de grèves de loyers, de manifestations et d’occupations des bureaux de ministres (parfois avec les enfants !) a entraîné l’obtention de nouvelles subventions, bien qu’insuffisantes.
L’amélioration des conditions de travail des éducatrices a ensuite constitué une lutte importante à partir des années 1980, et particulièrement dans la décennie 1990. C’est grâce aux grèves qu’une subvention salariale d’un dollar l’heure a été accordée à l’ensemble des éducatrices, d’abord temporairement puis de manière permanente en 1995. Bien que modeste, cette première contribution directe du gouvernement à la rémunération des travailleuses a représenté un tournant décisif.
Croisée des chemins
C’est toutefois la création du réseau des CPE, en 1997, qui a marqué un jalon incontournable dans la prise en charge des services de garde par l’État. Situés dans l’histoire, les CPE répondent à des revendications sociales de longue date et s’inscrivent en continuité avec le modèle des garderies populaires ouvertes dès les années 1970. Ainsi, le réseau prend naissance à partir des établissements sans but lucratif déjà actifs et accorde un rôle important aux parents et aux éducatrices dans l’administration, tout en remplissant une mission éducative et en offrant des places à faible coût.
Depuis, les mobilisations syndicales ont permis d’améliorer les conditions de travail et de maintenir des équipes stables et expérimentées dans les CPE. Cependant, le réseau est aujourd’hui à la croisée des chemins.
Les travailleuses en grève mènent une lutte cruciale pour garantir la pérennité et la qualité de l’éducation à la petite enfance. Nous ne sommes plus à l’époque des garderies populaires gérées par les parents et le personnel éducateur, mais les liens de solidarité persistent. Nous savons que l’octroi de meilleures conditions d’emploi demeure la voie à privilégier pour assurer l’avenir des CPE.