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S’appuyer sur les langues déjà connues pour acquérir une nouvelle langue
Cet articlé a été publié dans Le Devoir
Diane Querrien, professeure au département d’études françaises de l’Université Concordia et directrice de programmes en français langue seconde et en linguistique.
Et si votre capacité à parler plusieurs langues était utile pour apprendre une langue additionnelle, mais pouvait aussi faciliter vos apprentissages dans d’autres domaines ?
La diversité linguistique soulève de nombreux débats au Québec, que l’on parle des politiques linguistiques ou bien de la francisation des personnes issues de l’immigration. Pourtant, on estime que plus de la moitié de la population mondiale est aujourd’hui plurilingue, c’est-à-dire que plus d’une personne sur deux parlerait deux langues ou plus. Cette pluralité linguistique se reflète de plus en plus dans la société québécoise et, par conséquent, dans les milieux éducatifs.
Dans les milieux scolaires, collégiaux, universitaires et dans la formation des adultes, le plurilinguisme est un enjeu grandissant, dont doit tenir compte le corps enseignant, notamment pour soutenir l’apprentissage du français. Cela implique non seulement de reconnaître l’intérêt de s’appuyer sur les langues déjà connues des personnes apprenantes, mais aussi de déployer des stratégies permettant de tirer profit de cette richesse linguistique et culturelle.
Et c’est pour soutenir la mise en oeuvre de telles stratégies dans l’enseignement qu’une série de ressources intitulée « Le plurilinguisme en éducation » est progressivement mise à leur disposition en accès libre.
Quels intérêts avons-nous à explorer la place du plurilinguisme en éducation, nous direz-vous ? Voici quelques pistes de réflexion.
En tant qu’apprenant, et, quelle que soit la discipline dans laquelle vous étudiez, c’est en vous appuyant sur ce que vous savez déjà que vous faites de nouveaux apprentissages. Autrement dit, c’est la mise en relation de nouvelles informations avec vos savoirs antérieurs qui vous permet de développer vos nouvelles connaissances et compétences.
C’est précisément ce mécanisme que convoquent, entre autres, les approches pédagogiques dites plurilingues ou plurielles.
Plus concrètement, en mobilisant vos savoirs antérieurs dans une langue que vous connaissez déjà, vous facilitez la création de ponts qui seront utiles à la construction d’un nouveau « système » linguistique. Les transferts sont un bon exemple de ce mécanisme. Il s’agit de l’application de traits ou de structures qui se ressemblent d’une langue à l’autre. Par exemple : les conjugaisons, la morphologie des mots ou l’ordre dans lequel ils sont organisés dans une phrase (syntaxe).
Ce principe s’applique à toutes les dimensions de la langue : la grammaire, le vocabulaire, la prononciation, et même les choix de communication faits selon les situations ou les interactions sociales (exemple : l’usage du vouvoiement en français et ses équivalents dans d’autres langues, comme « Sie » en allemand ou « lei » en italien). En ayant une plus grande expérience langagière, les personnes plurilingues ont une capacité accrue à analyser et à comprendre les phénomènes linguistiques lorsqu’elles apprennent une langue additionnelle (ce qu’on appelle les « compétences métalinguistiques »).
De plus, nombre de recherches ont montré que les personnes plurilingues bénéficient d’un arsenal de compétences précieux pour faire de nouveaux apprentissages au-delà des langues. Elles ont souvent un recul plus grand sur leur processus d’acquisition et sont capables de mobiliser des stratégies bien ciblées selon ce qu’elles doivent apprendre (appelées « compétences métacognitives »). Le fait de parler plusieurs langues est également associé à une mémoire de travail plus performante et à des habiletés plus développées à résoudre des problèmes. Leurs compétences sont donc aussi transférables aux disciplines scolaires.
Il est également établi que le fait de valoriser les bagages linguistiques et culturels dans les activités d’enseignement — chez les plus jeunes comme chez les adultes — présente plusieurs intérêts pédagogiques. Par exemple, en permettant aux personnes apprenantes de recourir aux langues qu’elles connaissent pour expliquer un phénomène nouvellement rencontré en français, on favorise une meilleure compréhension de la matière à assimiler, et donc une expérience d’apprentissage plus positive.
La reconnaissance et le recours à leur bagage personnel renforcent le sentiment de participation active à la classe grâce à la valorisation de leurs identités plurielles, lesquelles incluent leurs nouvelles connaissances et compétences en français. Au bout du compte, c’est le sentiment d’appartenance sociale qui en est amélioré.
En juin dernier, chercheurs et enseignants se sont réunis à l’Espace 4 de l’Université Concordia lors de deux journées d’étude pour discuter des différents aspects du plurilinguisme en éducation. Mettant en dialogue des études conduites auprès d’élèves, de leurs familles, de personnes étudiantes ou d’adultes plurilingues dans différents contextes linguistiques, cette rencontre lançait une série d’activités de diffusion de la recherche. Les présentations qui ont été données lors de ces journées sont d’ores et déjà disponibles sur la chaîne YouTube de l’Espace 4 de l’Université Concordia.
À la suite de cette rencontre initiale, une série en baladodiffusion réunira des acteurs de la recherche et de l’éducation travaillant dans divers contextes scolaires et postsecondaires. Y seront abordés différentes dimensions du plurilinguisme ainsi que des idées et des outils concrets pour l’enseignement. Il s’agira de mettre en valeur les pratiques gagnantes de prise en compte et d’intégration du plurilinguisme, et de proposer des ressources utilisables dans différents milieux.
Les épisodes et les ressources qui y sont associées seront disponibles sur le site du Centre d’étude sur l’apprentissage et la performance de l’Université Concordia. Restez à l’affût !