Aller au contenu principal
article

Par ses actions et ses paroles, le pape François a montré sa volonté de faire face à la vérité au Canada

23 avril 2025
|
Par Christine Jamieson


 

Le pape François est décédé. Lorsque je réfléchis à son legs en matière de réconciliation avec les peuples autochtones du Canada, trois moments clés me viennent à l’esprit.

Premièrement, sa rencontre avec des délégués autochtones à Rome, en avril 2022. Deuxièmement, son pèlerinage pénitentiel de juillet 2022, au cours duquel il a rencontré des survivantes et survivants autochtones au Canada. Troisièmement, le rôle qu’il a joué pour amener l’Église catholique à répudier officiellement la doctrine de la découverte en mars 2023.

À mon avis, chacun de ces moments a constitué un pas vers la réconciliation pour les peuples autochtones du Canada. Je me concentrerai principalement ici sur l’aspect guérison de la visite papale. En même temps, je comprends et reconnais les limites des excuses du pape et la profonde douleur causée par ce qu’il a omis de dire.

Par exemple, le regretté Murray Sinclair, président de la Commission de vérité et réconciliation, a fait valoir que les excuses ne reconnaissaient pas « pleinement le rôle de l’Église dans le système des pensionnats ».

Jessie Sylvestre, interprète et survivante dénée chargée de traduire les excuses du pape François lors de sa visite, s’est montrée critique et blessée du fait que le Saint-Père a lu ses excuses au lieu de les exprimer du fond du cœur. Elle a également déclaré s’être sentie « presque malade » et en colère devant un tableau « très patriarcal » : le pape entouré de nombreux prêtres. L’absence de femmes dans des rôles de leadership visibles a également été jugée inquiétante par d’autres femmes autochtones.

Néanmoins, pour de nombreux survivants autochtones, les excuses du pape François ont eu de profondes répercussions, et c’est ce phénomène que je souhaite explorer ici.

Dans mes recherches universitaires, j’aborde souvent les spiritualités autochtones et l’éthique chrétienne. Je suis cochercheuse dans le cadre d’un projet qui examine la vie et l’œuvre du théologien canadien catholique (jésuite) Bernard Lonergan (1904-1984) sous l’angle de ses liens avec le système des pensionnats autochtones.

Je m’intéresse particulièrement aux raisons pour lesquelles certains survivants des pensionnats au Canada sont (et demeurent) chrétiens malgré les terribles souffrances endurées aux mains des représentants des églises chrétiennes.

« Dés-oublier » et guérir

Lors de sa visite, à la fin du mois de juillet 2022, le pape François a consciemment et intentionnellement entrepris une exploration de la relation complexe et troublante entre l’Église catholique et les peuples autochtones.

Dans leurs commentaires sur les travaux de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR), bien des gens se sont montrés critiques à l’égard d’une tendance à passer un peu trop rapidement sur l’étape de la vérité.

En effet, pour les auteurs des sévices ou ceux qui doivent assumer la responsabilité morale des injustices et des mauvais traitements historiques, il est beaucoup plus facile d’éviter de comprendre ce qui s’est réellement passé et de s’empresser de procéder à la réconciliation. Le fait que le pape ait longuement tardé à venir au Canada pour présenter ses excuses aux survivants autochtones, après la demande claire formulée à cet effet par la Commission de vérité et réconciliation dans son appel à l’action n° 58, montre bien que l’Église catholique, en tant qu’institution, traîne les pieds.


Déjà des milliers d’abonnés à l’infolettre de La Conversation. Et vous ? Abonnez-vous gratuitement à notre infolettre pour mieux comprendre les grands enjeux contemporains.


Cependant, on peut aussi affirmer que par ses actions et ses paroles, le pape François a consciemment et intentionnellement montré sa volonté de faire face à la vérité.

Son emploi du mot génocide pour décrire ce qui s’est produit dans les pensionnats, en réponse à une question formulée par Brittnay Hobson, journaliste membre de la Première Nation de Long Plain, témoignait de son désir de dire la vérité.

Au cours de sa visite, il a écouté les gens lui raconter ce qu’il a appelé, dans les excuses qu’il a présentées à Maskwacis, leurs traumatismes et leurs souvenirs amers. Il a également mentionné l’importance de « faire place à la mémoire » et de « se souvenir du passé ».

Il a reconnu que sa présence et ses paroles pouvaient réveiller des blessures chez les personnes survivantes, mais il a compris pourquoi il était d’une importance vitale pour de nombreux survivants d’assister à ses excuses. Nombreuses sont les personnes qui ont osé partager leur fardeau avec lui malgré leur douleur.

L’écrivaine anishinaabe et ukrainienne Patty Krawec, de la Première Nation de Lac Seul, utilise le terme « dés-oublier » pour exprimer le processus consistant à « excaver la vérité et à la faire émerger à la surface ».

Ce processus de « dés-oubli » a été encouragé par la présence du pape François et ses paroles. Pour certaines personnes, il s’agissait, consciemment ou intuitivement, d’une étape importante vers la guérison et la réconciliation.

Le sens « incarné »

Le pape François, à la fois parce qu’il représente l’Église catholique et pour ce qu’il est en tant que personne, a joué un rôle dans l’exhumation de souvenirs enfouis et dans la consolation de la douleur engendrée par ces « lourds fardeaux ».

Il a reconnu les horreurs commises par une institution qui, selon les mots de l’auteur ojibwé Richard Wagamese, « a essayé d’extraire tout ce qu’il y avait d’indien en eux ». À Maskwacis, le pape François a remercié les survivants autochtones de lui avoir parlé « des lourds fardeaux qu’ils portaient encore en eux et d’avoir partagé avec lui ces souvenirs amers », notant que même si cette démarche fait mal, « il est juste de rappeler ces souvenirs, parce que l’oubli mène à l’indifférence ».

Dans son livre intitulé pour une méthode en théologie, Bernard Lonergan évoque différents « porteurs de sens », l’un d’entre eux étant ce qu’il appelle le « sens incarné », c’est-à-dire le « sens d’une personne, de son mode de vie, de ses paroles ou de ses actes ».

Je pense que le « sens incarné » du pape François a été son legs le plus important quant aux répercussions qu’aura sa visite sur la réconciliation. Il a certainement compris et reconnu que les mots ne suffisent pas, ainsi que la nécessité d’« une action ferme et d’un engagement sans faille.

Une violence spirituelle continue

Dans son article intitulé « The Papal Apology and Seeds of an Action Plan », Don Bolen, archevêque de Regina, indique les quatre domaines sur lesquels doit porter l’action : la vérité (par la recherche et le travail d’archives), la solidarité avec les peuples autochtones, le soutien à la sauvegarde « des langues et de la culture autochtones », et la reconnaissance de la valeur intrinsèque de la « relation qu’entretiennent les peuples autochtones avec le territoire et l’environnement ».

Cependant, dans un article à paraître prochainement (intitulé Spiritual Violence against Indigenous Peoples in Canada : Ethical Guidelines and Calls to Healing) que j’ai rédigé avec des collègues, je décris la « violence spirituelle » qui est toujours infligée aux traditions autochtones par les églises chrétiennes.

Comme je l’écrivais en 2021, l’appel à l’action no 60 de la CVR décrit clairement la violence spirituelle qui est encore perpétrée par les chrétiens non autochtones.

Cette violence prend la forme d’un manque de respect de la spiritualité autochtone en soi. Elle se manifeste aussi par une ignorance de la légitimité et de la richesse de la chrétienté autochtone, de même que de l’expression de l’évangile à travers le prisme des cultures autochtones. Cette absence de reconnaissance s’est également manifestée lors des messes célébrées au cours de la visite du pape François.

La beauté de traditions autochtones

Le pape François comprenait à quel point la rencontre avec la beauté des traditions autochtones représente un privilège, comme il l’a si clairement indiqué dans sa lettre encyclique intitulée Laudato Si’ : Sur la sauvegarde de la maison commune.

Dans cette lettre, il reconnaît les valeurs profondément enracinées des peuples autochtones en ce qui a trait à leur relation avec la terre (qui comprend l’eau, les plantes, les animaux, ainsi que tout ce qui vit sur la terre et grâce à elle).

À plusieurs reprises au cours de sa visite au Canada, le pape François a parlé de cette relation particulière, très éloignée de la conception occidentale qui tend à considérer la terre comme une simple marchandise et non comme un être vivant avec lequel nous sommes en relation.

L’archevêque Bolen aime rappeler que Ted Quewezance, de la Première Nation Keeseekoose, en Saskatchewan, avec qui il a le privilège de travailler, a souvent dit que « chaque survivant devra prendre sa propre décision d’accepter ou non les excuses du pape, et qu’il revient à chacun d’entre eux de tracer son propre chemin de guérison ». Cette réalité est ressortie clairement tout au long de la visite du pape François, à l’occasion des nombreuses fois où il s’est excusé et a demandé pardon.

Comme on a pu le constater lors de nombreuses rencontres — à Maskwacis, Edmonton, Québec et Iqaluit —, le legs le plus important du pape François au regard de la vérité et de la réconciliation au Canada est probablement d’avoir eu la volonté et l’humilité de reconnaître la souffrance, d’être présent à ceux qui souffrent et, face à cette souffrance, d’avoir l’audace de demander : « Qu’est-ce que vous vivez ? »The Conversation

Christine Jamieson, Associate Professor, Theological Studies, Concordia University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.




Retour en haut de page Retour en haut de page

© Université Concordia