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L’effondrement de La Baie marque un tournant pour les détaillants traditionnels au Canada

2 avril 2025
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Par Xiaodan Pan, Martin Dresner et Ruifeng Wang


 

La Compagnie de la Baie d’Hudson a amorcé la liquidation de tous ses magasins, sauf six. Après que le détaillant de 352 ans eut demandé la protection contre ses créanciers en raison de dettes croissantes et de pertes opérationnelles au début de mars, un tribunal l’a autorisé à entamer les procédures de liquidation.

Fondée en 1670 en tant que société de traite de fourrures, La Baie s’est établie au fil des ans comme l’une des chaînes de grands magasins les plus emblématiques du Canada. Mais la fermeture de la quasi-totalité de ses succursales d’ici le 30 juin et la suspension de ses programmes de fidélisation font planer une grande incertitude sur son avenir.

Les difficultés financières du détaillant soulèvent des questions d’ordre général sur la viabilité des grands magasins traditionnels dans un environnement de vente au détail qui mise de plus en plus sur la rapidité et le numérique.

Efforts de modernisation

Ces dernières années, La Baie a tenté de se moderniser en assortissant à ses points de vente physiques une présence numérique croissante. Elle voulait notamment lancer une plate-forme de commerce électronique remaniée et créer une place de marché en ligne où des vendeurs tiers viendraient bonifier son assortiment de produits.

En 2021, La Baie a scindé ses divisions de commerce électronique et de magasins physiques en deux entités distinctes : La Baie en ligne, axée sur le commerce de détail numérique, et La Baie d’Hudson, vouée aux expériences de la clientèle en magasin.

Malgré ces efforts, La Baie a eu de la difficulté à différencier sa plate-forme en ligne dans un écosystème numérique surpeuplé et extrêmement concurrentiel, tout en maintenant sa présence physique.

La montée des détaillants de produits à prix réduit

Contrairement aux grands magasins traditionnels qui battent de l’aile, les détaillants de produits à bas prix, comme Winners, Marshalls et TJ Maxx, se portent à merveille. Ils doivent leur succès en grande partie à leur capacité à attirer des consommateurs dont les revenus sont très variés en leur proposant des produits de marque à des prix extrêmement réduits.

Au Canada, Winners compte à lui seul désormais plus de 300 magasins à l’échelle nationale, alors que Marshalls a ouvert plus de 100 nouvelles succursales. Ensemble, ces deux détaillants détiennent nettement plus de points de vente que La Baie et ses quelque 80 magasins.

Les détaillants de produits à prix réduit ont également fait des choix immobiliers qui leur ont donné un avantage concurrentiel. Ils ont en effet privilégié les centres commerciaux linéaires et à ciel ouvert, qui sont plus facilement accessibles et qui offrent un grand nombre de places de stationnement, des avantages qui font défaut à beaucoup des succursales de La Baie en milieu urbain.

Le modèle des détaillants de produits à prix réduit repose sur le renouvellement constant de l’assortiment de marchandises. Les acheteurs s’approvisionnent continuellement en articles de mode, en vêtements de marque et en produits ménagers auprès d’un large éventail de fournisseurs. Cette approche permet de proposer des assortiments tendance et d’assurer une rotation rapide des stocks, ce qui réduit les coûts d’entreposage et favorise l’offre de bas prix.

Ce modèle de vente au détail a démontré sa résilience au fil des cycles économiques. En période d’inflation ou d’incertitude financière, l’achalandage des magasins à bas prix augmente habituellement, car les consommateurs se soucient plus des prix, ce qui érode davantage la part de marché des grands magasins traditionnels.

Les pressions exercées par les détaillants numériques

L’essor rapide du commerce électronique représente un défi de taille pour les grands magasins traditionnels. Au cours des dix dernières années, le magasinage en ligne a connu une croissance considérable au Canada, le volume mensuel de ventes au détail en ligne dépassant les trois milliards de dollars canadiens.

Le commerce électronique représente aujourd’hui de 11 % à 12 % du total des ventes au détail, des catégories telles que la mode, les loisirs, l’électronique, les meubles et les produits pour la maison constituant quelque 75 % des ventes au détail en ligne au Canada.


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Dans le domaine des marchandises générales vendues en ligne, Amazon contrôle plus de 40 % du marché canadien. Les géants du commerce de détail, comme Walmart et Costco, ont également développé leurs capacités numériques. Ces acteurs minent la proposition de valeur traditionnelle des grands magasins.

Compte tenu des investissements importants à faire dans les capacités de distribution, il est de plus en plus difficile pour les concurrents de plus petite taille, comme La Baie, d’égaler les délais de livraison et les assortiments de produits de ces poids lourds de la vente au détail.

Dans le domaine des produits de niche, les détaillants spécialisés ont également grugé une part de la clientèle des grands magasins. Sephora et Pharmaprix dominent le marché des produits de beauté et des soins personnels, alors que Lululemon, Nike et Zara se classent parmi les principaux magasins en ligne dans l’industrie de la mode.

Ikea, Wayfair et d’autres marques de vente directe aux consommateurs dominent le marché des meubles et des produits pour la maison en ligne, tandis que la bannière canadienne Holt Renfrew et la bannière française LVMH occupent toutes deux des positions de chefs de file sur le marché des produits de luxe.

Les acteurs internationaux qui perturbent le marché, tels que Shein et Temu, ne font qu’ajouter au défi en gagnant rapidement du terrain au Canada. En 2023, Shein a dominé le segment de la mode en ligne à l’échelle nationale, cumulant des ventes nettes d’environ 1,4 milliard de dollars américains.

Temu, une plate-forme qui propose des prix très bas et a fait son entrée au Canada en 2023, est devenue l’application pour iPhone la plus téléchargée au pays à la fin de 2024. Ces plates-formes défient les détaillants traditionnels en proposant des prix imbattables, la livraison gratuite et de vastes gammes de produits.

Les voies de la réinvention

Après la fermeture de la quasi-totalité de ses magasins et la suspension de ses programmes de fidélisation, La Baie doit carrément se battre pour sa survie. Bien que la notoriété de la marque demeure forte, il est difficile de dire si l’entreprise arrivera à se sortir de la situation peu enviable dans laquelle elle se trouve actuellement.

Tout détaillant traditionnel en difficulté doit se réinventer s’il veut survire sur le marché actuel qui ne cesse d’évoluer. Cette réinvention passe par cinq domaines clés :

1.Repositionner la marque : Les détaillants canadiens peuvent redéfinir les fondements de leur proposition de valeur en mettant l’accent sur ce qui les rend uniques. Leur spécificité réside peut-être dans leur héritage canadien. Cette stratégie a par exemple profité à des marques comme Roots et Canada Goose.

2.Repenser les formats de vente au détail : L’ère du commerce de détail au centre-ville tire à sa fin, d’autant plus que le télétravail réduit la fréquentation des magasins en milieu urbain. Les grands centres commerciaux couverts sont également en déclin, compte tenu de la disparition des grands magasins de détail phares et de l’essor du commerce électronique. Les détaillants canadiens doivent explorer d’autres formats, tels que des points de vente par quartier et par catégorie, adaptés aux préférences de la collectivité.

3. Optimiser la présence physique : Il est crucial de faire preuve de stratégie dans le choix des établissements à privilégier. Les détaillants qui ont pignon sur rue doivent maximiser leur empreinte physique en fermant les succursales peu performantes et en réinvestissant dans les points de vente à fort achalandage et à haut rendement. Dans leurs plans d’expansion, les entreprises devraient accorder la priorité aux modèles qui requièrent peu d’actifs et se fondent sur des données et la demande réelle des consommateurs.

4.Améliorer l’expérience en magasin : Pour inciter la clientèle à fréquenter de nouveau les magasins, il faut faire du magasinage une expérience. Des présentations immersives, un service personnalisé et des événements communautaires sont susceptibles de rendre la visite d’un magasin physique plus mémorable et plus intéressante pour les clients.

5.Intégrer les canaux physiques et numériques : Il est essentiel d’adopter une stratégie uniforme pour les activités de vente numériques et celles de vente en magasin de l’entreprise. Des technologies, telles que les cabines d’essayage à réalité augmentée, les salles d’exposition virtuelles, le ramassage en magasin et la personnalisation optimisée par l’IA, pourraient combler le fossé entre le magasinage en ligne et celui en magasin.

Un moment décisif pour les détaillants canadiens

Le commerce de détail canadien est à la croisée des chemins. L’effondrement des grands magasins traditionnels, la domination des géants du commerce électronique et la montée en puissance des concurrents qui proposent des prix réduits et misent sur le numérique sont autant de signes d’un changement permanent dans les habitudes de consommation de la population.

Le long héritage d’un détaillant n’est pas garant de sa survie. Si l’effondrement de Sears, d’Eaton et maintenant de La Baie nous enseigne quelque chose, c’est que l’incapacité à s’adapter peut mener à l’obsolescence. L’agilité, l’innovation et la capacité à répondre aux besoins précis des consommateurs sont les caractéristiques qui définissent désormais la vente au détail.

Pour les détaillants qui subsistent, la leçon est claire : la nostalgie ne constitue pas un modèle d’affaires. Les consommateurs sont aujourd’hui plus soucieux des prix, de la commodité et des possibilités numériques que jamais auparavant. Les entreprises qui n’évoluent pas, que ce soit par choix ou par incapacité, connaîtront probablement le même sort que les géants du commerce de détail qui les ont précédées.The Conversation

Xiaodan Pan, Associate Professor, John Molson School of Business, Concordia University; Martin Dresner, Professor, Logistics, Business and Public Policy, University of Maryland, and Ruifeng Wang, PhD Student in Supply Chain Management, University of Maryland

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.




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