Les perturbations causées par la sécheresse constituent une menace réelle pour le rendement financier et la stabilité du secteur bancaire, selon une nouvelle étude de l’École de gestion John-Molson

Les chocs climatiques tels que les feux de forêt, les inondations et les ouragans peuvent être aussi soudains et spectaculaires que coûteux pour les populations qui les subissent, et les dommages qu’ils causent aux économies locales sont étudiés de près par les responsables gouvernementaux, les chercheuses et chercheurs universitaires et les médias.
En revanche, les effets de la sécheresse sont beaucoup moins bien compris et n’attirent pas autant l’attention des médias que les autres catastrophes. Or, si les conséquences économiques de ces phénomènes climatiques sont plus lentes à se manifester, elles peuvent néanmoins avoir une plus grande portée, et ce sont les petites et moyennes entreprises qui sont susceptibles d’en souffrir le plus.
Dans une étude publiée récemment dans le Global Financial Journal, des chercheurs de l’École de gestion John-Molson examinent plus particulièrement les répercussions à long terme des sécheresses sur la stabilité financière et la performance des prêts des banques régionales américaines.
Ils ont constaté qu’une sécheresse de deux ans peut avoir les mêmes incidences économiques sur une région qu’une augmentation de 1 % du taux de chômage, et que les banques délaissent de plus en plus les régions sujettes à la sécheresse.
« Les sécheresses infligent un choc aux communautés locales », indique Mehmet Özsoy, professeur adjoint au Département de finance et auteur principal de l’étude. « Nous savons que les succursales bancaires dépendent des économies locales et que les portefeuilles de la plupart des banques sont étroitement liés géographiquement. Par conséquent, si une banque possède de nombreuses succursales dans une région touchée par la sécheresse, elle subira également un choc. »
« Les grandes banques, dont les activités sont diversifiées et qui ont des succursales dans tout le pays, peuvent absorber ces chocs survenant à l’échelle locale. En revanche, les petites entreprises ne peuvent pas s’y soustraire. »

L’émigration est une conséquence
Les chercheurs ont comparé les chiffres des banques ayant des succursales dans des régions frappées par la sécheresse à ceux des banques de taille similaire surtout situées dans des régions qui en sont épargnées. Les données examinées comprenaient le score z, un indice de l’industrie permettant de mesurer la stabilité financière et le risque d’insolvabilité d’un établissement bancaire, ainsi que la performance des prêts et la volatilité des actions. Un poids supplémentaire a été accordé aux succursales ayant des dépôts plus importants afin de refléter leur importance globale pour les résultats de l’entreprise.
Ils ont constaté qu’en général, les chocs causés par la sécheresse compromettent la stabilité des banques et portent atteinte à leur rendement financier. Les ratios de prêts non productifs augmentent pour les entreprises agricoles, les prêts hypothécaires résidentiels et commerciaux ainsi que les prêts commerciaux.
En outre, étant donné que les sécheresses sont rarement déclarées comme des catastrophes par le gouvernement fédéral américain, les banques sont laissées à elles-mêmes face aux répercussions de ces événements. Par conséquent, elles sont plus susceptibles de cesser leurs activités dans les régions touchées par la sécheresse.
« L’abandon de ces zones entraîne certaines conséquences, explique Mehmet Özsoy. Cela rend plus difficile l’obtention de prêts et d’hypothèques et peut avoir un effet migratoire : à l’instar des institutions financières et des compagnies d’assurance, les gens quittent ces régions. »
« Dans le cadre d’un autre projet que nous avons entrepris, mes coauteurs et moi montrons que les sécheresses plus graves peuvent donner lieu à des feux de forêt, lesquels entraînent une augmentation du risque que les propriétaires subissent une saisie immobilière ou versent un remboursement anticipé », fait valoir le coauteur Erkan Yönder, professeur agrégé au Département de finance.
« Les effets négatifs directs et indirects (feux de forêt) des sécheresses sur les prêts et les hypothèques reflètent les conséquences de ce phénomène sur les économies locales. Les entreprises et les ménages éprouvent des difficultés à rembourser leurs emprunts en raison du ralentissement économique provoqué par la sécheresse.
« Bien que cette étude porte sur les banques exerçant leurs activités aux États-Unis, il importe de noter que le Canada n’est pas à l’abri des changements climatiques. Par exemple, ce pays est très exposé au risque de feux de forêt, qui augmente à mesure que s’accroît l’intensité des sécheresses. »
Consolidations à prévoir
Les chercheurs avertissent que si les changements climatiques continuent de s’intensifier et les sécheresses d’augmenter en sévérité et en fréquence, les économies locales pourraient s’en trouver dévastées et leur stabilité financière compromise.
Dans l’intervalle, Mehmet Özsoy prévoit que les banques américaines plus petites et plus exposées au risque localement se regrouperont au sein de banques plus importantes.
« Nous observons la même chose dans le secteur de l’assurance, qui est aux prises avec des situations similaires, ajoute-t-il. La consolidation rend les entreprises plus efficaces et plus résilientes face à ce type de perturbations à l’échelle locale. »
Mehdi Rasteh (Ph. D. 2024) est coauteur de l’étude. Le Fonds de recherche du Québec a contribué au financement de l’étude.
Lisez l’article cité : « Understanding drought shocks: Bank financial stability and loan performance ».