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Un chercheur de Concordia fait la lumière sur les démons d’Internet

Dans un nouvel ouvrage, Fenwick McKelvey examine comment les robots régissant les cyberréseaux « s’intègrent à des systèmes de pouvoir et de contrôle universels très concrets »
13 novembre 2018
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Le débat sur la question de la gouvernance d’Internet fait rage. À preuve, la neutralité du Web, les notions de piratage informatique et de droit d’auteur, l’intelligence artificielle ainsi que les mégadonnées font chaque semaine les manchettes. 

Mais qu’en est-il des problèmes banals à première vue – comme la mise en mémoire tampon ou le délai de connexion? Un fournisseur de services Internet pourrait-il tirer profit du contrôle qu’il exerce sur l’expérience des internautes?

Chercheur et professeur agrégé au Département de communication de la Faculté des arts et des sciences de l’Université Concordia, Fenwick McKelvey vient de faire paraître Internet Daemons: Digital Communications Possessed (« les communications numériques possédées par les démons d’Internet »). L’ouvrage traite en profondeur de l’histoire complexe des robots intelligents, des théories et politiques qui s’y rapportent et de leurs répercussions sur nos vies.

Publié par les Presses de l’Université du Minnesota, le livre est accessible dans son intégralité sur Spectrum, la banque d’archivage des ouvrages de recherche de Concordia, et ce, à des fins de recherche érudite jugée par les pairs. Cette initiative s’inscrit dans la politique de libre accès de l’Université. 

Les démons pourraient servir à organiser le chaos qui sévit dans Internet… mais dans quel but?

Pourriez-vous nous expliquer, en termes simples, ce qu’est un « démon d’Internet »?

Fenwick McKelvey: Dans mon livre, la définition de ce concept comporte deux volets. En informatique, « démon » est une expression consacrée qui désigne des programmes s’exécutant en arrière-plan. Tout ordinateur contient des tas de démons en cours d’exécution.

J’emploie le terme « démons d’Internet » en référence à des programmes précis qui fonctionnent à l’aide d’éléments de l’infrastructure d’Internet : routeurs, aiguillages, passerelles et autres dispositifs invisibles pour l’internaute, mais essentiels à la réalisation de toute activité en ligne.

Pourquoi de tels programmes restent-ils entourés de mystère? Est-ce intentionnel ou accidentel?

F.M. : Selon moi, c’est intentionnel. Par leur conception même, les démons tournent en arrière-plan. Par ailleurs, nous payons les fournisseurs de services Internet afin de ne pas avoir à nous soucier du fonctionnement de notre connexion Internet. Pour citer les influences savantes du livre, les spécialistes des études sur les médias et les infrastructures s’enorgueillissent de creuser des questions fastidieuses. Aussi, je crois que ce mystère reflète simplement ce que l’on tient pour acquis.

Fenwick McKelvey: « Je souhaite complexifier notre appréhension des technologies et des infrastructures. » Fenwick McKelvey: « Je souhaite complexifier notre appréhension des technologies et des infrastructures. »

Pourquoi importe-t-il de comprendre le concept de démon d’Internet et son incidence sur l’expérience de l’internaute?

F. M. : Si la question des démons a pu paraître ennuyeuse à une certaine époque, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Vers 2004, le grand public a commencé à en apprendre davantage sur la gestion active des réseaux. Fréquemment mené sur les campus universitaires, cet exercice sert principalement à lutter contre le piratage informatique. Comme je le soutiens dans mon livre, la réalité des démons plus intelligents s’est retrouvée au cœur de l’un des plus grands débats médiatiques de l’histoire récente : la neutralité des réseaux.

Les démons pourraient servir à organiser le chaos qui sévit dans Internet… mais dans quel but? Comment faut-il gérer le Net? Des réseaux doivent-ils être privilégiés? Certaines applications doivent-elles coûter moins cher à utiliser que d’autres?

Ces questions, entre autres, sont soulevées par une industrie qui conçoit des technologies toujours plus intelligentes – ou, comme je les appelle, des démons. En fait, nos politiques en matière d’Internet ne tiennent pas suffisamment compte des mécanismes de contrôle. Bref, la prochaine fois que vous attendrez que s’effectue le téléchargement d’une page Web, réfléchissez aux démons d’Internet.

Il semble peu évident d’exiger des comptes de « créatures codifiées »… Pourriez-vous approfondir cette question?

F. M. : Les mesures relatives à l’Internet sont essentielles à notre compréhension de ces « créatures codifiées » et de l’obligation de rendre compte qui leur échoit. Quelle est la vitesse de connexion de votre ordinateur? Quelle en est la latence ou, si vous préférez, quel en est le temps de réponse? À vrai dire, les tests maison qui permettent d’évaluer une connexion s’inscrivent dans une recherche de plusieurs décennies visant à accroître l’imputabilité des démons.

J’ai eu le privilège d’assister au développement – par l’Autorité canadienne pour les enregistrements Internet – d’une infrastructure publique nationale d’évaluation de cet outil. L’objectif était de sonder le Net canadien. Aujourd’hui, les Canadiennes et les Canadiens peuvent soumettre leur ordi à un test de performance Internet.

Je suis depuis longtemps un ardent défenseur du perfectionnement des méthodes de mesures relatives à l’Internet; je souhaite donc que mon livre contribue à contextualiser ce choix. Dans cet ouvrage comme dans mes travaux futurs, j’ai bon espoir d’établir des liens entre les modalités de réussite ou d’échec de telles mesures et de grands enjeux, notamment les technologies de pointe et la notion de responsabilisation en démocratie.

Que devons-nous encore accomplir afin de maintenir ces programmes sous contrôle?

F. M. : L’examen des forces qui, de nos jours, configurent les démons exigera une importante somme de travail. Dans mon livre, je compare cette préoccupation à un problème d’optimisation. Sur quels critères et objectifs fonder l’évaluation de la performance d’un programme ou d’un système?

La rédaction de cet ouvrage m’a pris cinq ans. Pendant ce temps, j’ai vu de nouvelles organisations commencer à soumettre vraiment la recherche universitaire à un débat public sur la gestion des algorithmes, de l’intelligence artificielle et des mégadonnées.

Grâce à leur impact, elles ont jeté un nouvel éclairage sur les applications diverses d’autres démons – pour continuer dans cette métaphore – et sur l’iniquité et la discrimination qui en résultent. Exposant les failles actuelles du processus d’optimisation, explorant des mécanismes de gouvernance technologique plus inclusifs, leur démarche intersectionnelle me paraît des plus inspirantes.

Qu’aimeriez-vous que votre livre apporte à la discussion sur les démons d’Internet?

F. M. : Les démons existent réellement. Je souhaite complexifier notre appréhension des technologies et des infrastructures afin que nous réfléchissions sans plus attendre au concept d’intelligence collective et à ce méli-mélo de fils et de logiciels qui nous encombre. Comme l’indique la conclusion de mon livre, nous devons commencer à songer aux systèmes d’exploitation que nous utilisons actuellement. À mon avis, l’idée de remettre en cause ce que nous tenons pour acquis est déjà étrange en soi. Il convient par ailleurs d’étudier de quelle manière les démons s’intègrent à des systèmes de pouvoir et de contrôle universels très concrets.

Enfin, nous devons remettre en question l’idée d’une soudaine découverte de l’éthique en technologie. Dans sa pire expression, cette idée considère l’éthique comme un concept neuf, ou une question de préférence personnelle, plutôt que d’analyser la façon dont nous avons érigé ces systèmes. Or, nous pouvons plutôt attirer l’attention sur le travail des ingénieurs, des concepteurs, des poètes, des écrivains et des érudits qui ont consacré leur carrière entière à la question de l’éthique.

Que pouvons-nous faire dès maintenant pour reprendre le contrôle de la situation? 

F. M. : Si ce n’est l’évaluation de la performance de votre connexion à Internet? Pour ma part, je m’intéresse aux activités qui se déroulent à l’institut Milieux – et plus particulièrement au sein des grappes sur la vie spéculative et sur les initiatives pour l’avenir des Autochtones. Selon moi, leurs membres se démarquent par leur faculté d’imaginer des lendemains plus inclusifs. Au fil des ans, je me suis vraiment efforcé de me familiariser avec les moindres détails de la politique canadienne en matière d’Internet. Je crois que les unités de recherche dont j’ai parlé se situent à l’avant-garde de la conception d’un avenir meilleur. Elles devraient être reconnues davantage par les décideurs et les autorités gouvernementales.

Quelle importance revêt pour vous le Concordia’s Open Access Author Fund (« fonds d’auteur libre accès de l’Université Concordia »)?

F. M. : Grâce à ce fonds, j’ai pu offrir mon livre en libre accès – une réalisation remarquable! En général, l’auteur d’un premier ouvrage ne profite pas d’une telle occasion. Je me réjouis sincèrement que les Presses de l’Université du Minnesota aient pris le risque de me publier et que Concordia ait contribué aux frais. J’espère que cette initiative permettra à plus de personnes de lire mon livre, voire de l’acheter afin d’encourager les fantastiques collaborateurs et collaboratrices qui ont rendu la chose possible.


Lisez le nouveau livre de Fenwick McKelvey – Internet Daemons: Digital Communications Possessed – sur Spectrum, la banque d’archivage des ouvrages de recherche de l’Université Concordia.



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