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Les chocs climatiques sont un obstacle et une occasion à saisir pour les entreprises
Cet article a été publié dans Le Devoir.
Le changement climatique est un enjeu non seulement sur le plan environnemental, mais aussi sur le plan commercial. En effet, si les entreprises contribuent à la crise climatique, elles en sont également les victimes. Leurs émissions alimentent les chocs climatiques qui perturbent leurs activités et leurs chaînes d’approvisionnement et nuisent à leur stabilité financière. Pourtant, trop souvent, elles envisagent le changement climatique comme un problème de relations publiques plutôt que comme un défi stratégique fondamental.
Il faut que ça change. Les entreprises ont la responsabilité de rendre compte des répercussions de leurs activités sur le climat, non seulement parce que les organismes de réglementation ou les investisseurs l’exigent, mais aussi parce que leur propre survie à long terme en dépend.
Le Canada est un exemple frappant à cet égard. Au Québec, les inondations d’août 2024 ont causé près de 2,5 milliards de dollars de dommages assurés, tandis que les incendies de forêt de 2023 ont brûlé 15 millions d’hectares au pays et coûté aux assureurs plus d’un milliard de dollars.
Selon une étude récente réalisée à l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia, une sécheresse de deux ans peut avoir les mêmes incidences économiques défavorables sur une région qu’une augmentation de 1 % du taux de chômage. Les agriculteurs subissent de mauvaises récoltes, les banques doivent composer avec des prêts non remboursés et les familles peinent à payer leurs factures. Ces conséquences se répercutent sur les fabricants, les détaillants et les ménages. Ainsi, les sécheresses ont pour effet non seulement de tarir les sources d’alimentation en eau, mais aussi de raréfier les moyens de subsistance.
Des engagements insuffisants
Malgré ces réalités, les gouvernements ne sont pas suffisamment préparés : des systèmes d’évacuation des eaux pluviales obsolètes s’effondrent sous la pression des fortes pluies, les lois sur le zonage autorisent toujours la construction immobilière dans les zones inondables et le financement de la prévention des incendies de forêt est loin d’être à la hauteur des besoins. Selon certaines études, le Canada devrait investir en moyenne 5,3 milliards de dollars par an pour rendre les infrastructures municipales à l’épreuve du changement climatique ; or, les engagements pris annuellement en cette matière restent insuffisants.
Pour les entreprises, ces chocs n’ont rien d’abstrait : les inondations perturbent les chaînes d’approvisionnement et endommagent les biens ; les sécheresses augmentent le coût des intrants et déstabilisent les marchés financiers ; les incendies de forêt entraînent des fermetures d’entreprises et mettent en danger le personnel et la clientèle.
Pourtant, des solutions existent. Les entreprises qui investissent dans des infrastructures résilientes, des technologies économes en eau et des constructions résistantes au feu arrivent non seulement à protéger leurs activités, mais aussi à conquérir de nouveaux marchés en adoptant des solutions garantissant leur résilience. En proposant des innovations en matière d’assurance ou d’analyse des risques, ou des modèles d’économie circulaire, les entreprises sont en mesure de fournir des services dont les gouvernements et les communautés ont un urgent besoin. Faire fi des risques climatiques peut coûter cher, et l’intégration de la résilience dans la stratégie d’entreprise relève d’une saine gestion des risques et constitue un choix judicieux.
Pour répondre aux inquiétudes de plus en plus vives en matière de responsabilité des entreprises, l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia a mis sur pied l’Institut sur la gestion et le climat, dont la mission consiste à mettre à contribution les recherches et les initiatives pratiques de l’école afin de lutter contre le changement climatique, en s’appuyant sur une collaboration entre le milieu universitaire, l’industrie et la collectivité. L’Institut entend traduire des solutions techniques novatrices en modèles commerciaux viables et faire progresser la recherche sur les pratiques organisationnelles qui favorisent la durabilité.
Ce qui rend l’institut unique, c’est qu’il concentre son action à l’intersection du changement climatique, de la stratégie commerciale et de la gestion d’entreprise. Son objectif est d’aider les entreprises à concrétiser les principes de durabilité et de faire progresser la recherche sur les pratiques organisationnelles qui favorisent la durabilité.
Une relation est circulaire
L’équité et la justice doivent bien sûr rester au centre des préoccupations. Les communautés vulnérables comme les agriculteurs des régions frappées par la sécheresse subissent de plein fouet les chocs climatiques, tandis que les multinationales en sont souvent préservées grâce à leur taille et à la diversification de leurs activités. Une réponse équitable exige que les entreprises reconnaissent ce déséquilibre et investissent dans des solutions qui protègent également les populations les plus exposées.
Indéniablement, la relation est circulaire : les entreprises contribuent au changement climatique, et celui-ci déstabilise les entreprises. Pour briser ce cycle, le secteur privé doit prendre l’initiative.
Les marchés ne peuvent pas fonctionner sur une planète brisée. L’indifférence face aux risques climatiques est, tout simplement, une piètre stratégie d’affaires.
Avec le lancement de l’Institut sur la gestion et le climat, l’École de gestion John-Molson invite les décideurs politiques, les responsables gouvernementaux, les universitaires et les chefs d’entreprise à se joindre à elle pour créer un avenir où l’innovation commerciale est compatible avec les priorités écologiques mondiales et le bien-être de la société, en plus d’être conforme à l’éthique. Ensemble, nous pouvons mettre en place des solutions transformatrices qui contribueront à instaurer une économie mondiale durable, équitable et résiliente.
L’Institut sur la gestion et le climat, qui en est encore à ses débuts, s’emploie à établir des liens étroits avec les décideurs politiques, l’industrie et les communautés, dans le but de faciliter le passage à des pratiques durables. Son objectif ne se limite pas à mettre en évidence les risques que les chocs climatiques font peser sur les entreprises ; elle souhaite aussi élaborer des stratégies pratiques qui rendent la résilience économique compatible avec la décarbonation, tout en veillant à ce que la durabilité, la responsabilité et l’équité restent au cœur du processus décisionnel des entreprises.