Aller au contenu principal

Les vertus thérapeutiques de la nature

Chercheurs et diplômés mettent en lumière les bienfaits du contact avec la nature
9 juin 2025
|
Par Kay Pettigrew, B.A. 2022


Sophie regarde une minuscule grenouille qu'elle tient dans sa main. « Nous sommes tous programmés sur le plan neurologique pour créer des liens avec le monde naturel. » – Sophie Monkman

Au début du printemps, Sophie Monkman, B.A. 2014, écoutait le faible craquement des arbres en hiver, la main en mitaine portée à l’oreille.

« Nous sommes constitués pour entendre ces paysages, observe-t-elle. Les carouges à épaulettes sont récemment revenus à l’étang du parc Jarry [à Montréal]. Je me promène ici tous les jours avec mon chien et j’ai été très heureuse de les entendre. Ces sons nous aident à nous sentir enracinés dans un endroit et nous rappellent que les saisons suivent leur cours normal. »

Mme Monkman est guide d’écothérapie et de sylvothérapie. Elle s’est orientée vers cette profession après s’être engagée dans la lutte contre les changements climatiques et avoir elle-même souffert des conséquences des catastrophes climatiques sur sa santé mentale.

Son expérience s’inscrit dans un phénomène appelé « écoanxiété », qui suscite de plus en plus d’inquiétudes dans le contexte de la crise environnementale.

Cette situation a conduit Mme Monkman, en collaboration avec une équipe de recherche et de personnes diplômées de Concordia, à explorer des pratiques fondées sur des données probantes visant à améliorer la santé mentale par la quête de liens plus étroits avec la nature.

« Nous sommes tous programmés sur le plan neurologique pour créer des liens avec le monde naturel, quels que soient notre milieu, notre éducation, la société dans laquelle nous vivons ou le pays où nous habitons, explique-t-elle. La culture joue un rôle important, mais fondamentalement, c’est dans les espaces naturels que nous nous sentons le mieux. »

Guérir dans la nature

La sylvothérapie trouve ses racines dans le shinrin-yoku, ou « bain de forêt », une pratique apparue au Japon en réponse à l’urbanisation pendant le boom technologique des années 1980.

Contrairement à la psychologie occidentale traditionnelle et à la thérapie par la conversation, elle met l’accent sur le contact somatique avec le monde naturel. Les bienfaits pour la santé du temps passé dans la nature sont bien documentés : l’exposition à la nature a un effet positif sur la santé mentale, sur les fonctions cognitives et, même selon Mme Monkman, sur le système immunitaire.

« Les milieux forestiers peuvent améliorer notre bien-être de nombreuses façons, indique‑t‑elle, que ce soit grâce à la biodiversité ou même aux phytoncides, des composés organiques libérés par les arbres qui peuvent renforcer notre système immunitaire et augmenter le nombre de cellules tueuses naturelles [un type de globules blancs] ».

Une séance de sylvothérapie avec Mme Monkman consiste à ralentir pour cultiver « une qualité particulière d’attention », qui peut même être pratiquée en milieu urbain. Au cours de promenades guidées, elle invite les personnes participantes à solliciter leurs sens : sentir le vent sur leur peau, observer les fissures dans la glace sous leurs pieds ou s’arrêter pour humer le parfum d’un pin dans un parc.

« C’est une pratique simple, mais plus nous permettons à notre système nerveux de s’imprégner de l’environnement, plus nous nous habituons à ces modes d’être, fait remarquer Mme Monkman. Et mieux nous exerçons ces muscles, plus nous pourrons les utiliser facilement dans n’importe quel environnement. »

Renouer avec la nature

Portrait de Catherine Kineweskwêw Richardson. Catherine Kineweskwêw Richardson

Si le fait de renouer avec la nature est source d’apaisement pour beaucoup, les communautés autochtones ont vu leur relation avec la terre bouleversée de manière durable, au détriment de leur santé et de leur bien-être.

Les travaux de Catherine Kineweskwêw Richardson, professeure en études des peuples autochtones, mettent en lumière les dommages causés par les politiques coloniales tout en soulignant la résistance, la résilience et la guérison des communautés autochtones.

Selon la Pre Kineweskwêw Richardson, qui enseigne à l’École des affaires publiques et communautaires de l’Université Concordia et qui fait partie de la Nation métisse tout en ayant des racines cries et gwich'in, cette fracture trouve son origine dans le colonialisme, qui a particulièrement nui à la santé et au bien-être des peuples autochtones.

« Dans quels documents est-il écrit que se faire voler ses terres est mauvais pour la santé? », demande-t-elle.

« Quand on pense au colonialisme dans le nord de l’Île de la Tortue ou au Canada, on se rend compte que beaucoup de mal a été fait : on a pris les terres des gens, on leur a enlevé leurs enfants, on a placé ces enfants dans des familles blanches de classe moyenne et dans des pensionnats », détaille-t-elle.

« Ils voulaient la Terre, mais aussi ce qu’il y avait en dessous – et c’est toujours le cas aujourd’hui. »

La Pre Kineweskwêw Richardson, qui est également titulaire de la Chaire de recherche de l’Université Concordia en savoirs de guérison autochtone, précise que cette réalité est souvent absente des discours contemporains sur les déterminants sociaux de la santé.

Dans son livre, Facing the Mountain: Indigenous Healing in the Shadow of Colonialism, elle examine comment le vol des terres est lié à la caractérisation des réactions des peuples autochtones — notamment la résistance et la survie — comme des maladies mentales.

Elle affirme que ces étiquettes justifient l’intervention et le contrôle de l’État, ce qui aggrave les effets négatifs sur la santé des peuples autochtones. Ses recherches sur les pratiques fondées sur l’intervention dans les professions de la guérison examinent comment ces effets sur la santé se manifestent dans des contextes historiques et sociaux plus larges.

« J’ai rédigé un chapitre sur l’exposition aux radiations provenant de l’exploitation minière de l’uranium dans le nord du Canada, en particulier dans les Territoires du Nord-Ouest, souligne-t-elle. Mes proches ont été victimes d’empoisonnement par radiation, ce qui a eu des répercussions négatives sur les enfants nés dans ma famille, y compris moi-même, qui ont souffert de problèmes de mobilité et subi de nombreuses interventions chirurgicales. Ce n’est qu’un exemple de ce que l’exploitation minière peut causer. »

Dans ses fonctions de titulaire de la chaire de recherche, la Pre Kineweskwêw Richardson rassemble des Aînés, des gardiens et gardiennes du savoir et des jeunes du monde entier afin qu’ils mettent en commun leurs connaissances.

« Nous organisons des conférences où les personnes participantes peuvent échanger leurs idées, leurs expériences et leurs impressions. Ensuite, les jeunes interrogent les gardiens et gardiennes du savoir et publient ensemble des articles scientifiques dans une revue évaluée par des pairs. »

D’après une vision autochtone du monde, ajoute-t-elle, les êtres humains ont des responsabilités les uns envers les autres et à l’égard du monde naturel dans un cycle infini d’échange et de réciprocité. La protection de l’environnement naturel est également un moyen de protéger la santé humaine, et vice versa.

« Nous vivons sur cette planète entourés d’air, d’animaux, d’oiseaux, de fleurs, d’arbres… de toutes sortes de formes de vie. Nous sommes toutes et tous constamment en interaction et en relation, que ce soit au sens propre, au sens figuré ou sur le plan énergétique. »

Les racines de la résilience

La revendication de l’accès aux terres n’est pas seulement une question de développement durable, c’est aussi une question de restauration de l’identité culturelle, de résilience communautaire et de souveraineté alimentaire. Ce principe est au cœur de la Coopérative agricole Sankofa, qui vise à donner des moyens d’action aux personnes noires et autochtones grâce à l’agriculture.

C’est dans le but de rétablir l’accès aux terres, principalement à l’aide de pratiques agricoles, que Menelik Blackburn-Philip, titulaire d’un baccalauréat ès arts (2022), a cofondé Sankofa sur le campus Loyola en 2022. Ce jardin biologique géré par des étudiants et étudiantes offre aux personnes noires et autochtones la possibilité de cultiver leurs propres aliments, en s’inspirant des pratiques agricoles traditionnelles et en apprenant auprès des communautés autochtones locales.

Ménélik est agenouillé dans un jardin, à côté d'un arrosoir, alors qu'il plante des semis. « On ressent un sentiment de bonheur et de plénitude, en parfaite harmonie avec ce pour quoi on est là. » – Menelik Blackburn-Philip

Les récoltes de la coopérative sont destinées aux communautés noires autochtones dans le besoin. Menelik Blackburn-Philip a également mené avec succès un programme de déjeuners de quatre semaines à Loyola, en collaboration avec des groupes du campus comme la Coalition alimentaire de Concordia et La Patate du Peuple, afin de fournir des repas aux jeunes de la communauté.

« Nous avons passé du temps sur les terres, à décrire les aliments que nous cultivons et pourquoi nous les cultivons, explique Menelik Blackburn-Philip. Nous avons aussi parlé de la relation qu’on peut entretenir avec une plante, en fonction de qui on est et de notre héritage culturel. »

Pour lui, le temps passé dans le jardin apporte bien plus que des aliments sains et frais : il renforce l’esprit communautaire.

« On y retrouve nos racines. On ressent un sentiment de bonheur et de plénitude, en parfaite harmonie avec ce pour quoi on est là. L’échange de pratiques et de modèles différents est source de joie, de confiance et de responsabilisation. »

Il ajoute que l’histoire des migrations forcées et du travail agricole a marqué de nombreuses personnes dans ses communautés, compromettant leur accès aux aliments traditionnels et leur sentiment d’appartenance à un milieu agricole. Le projet Sankofa salue la résilience et les capacités de survie de ces communautés en aidant les gens à renouer avec la terre et à se rapprocher les uns des autres.

« Les gens prennent ainsi conscience que nous sommes issus de peuples savants, intelligents et capables de transformer les terres. Certains ont été amenés ici de force, mais ils ont su tirer des enseignements de la terre en côtoyant les peuples autochtones et ont survécu pendant des centaines d’années. »

« Cette relation entre nations nous unit et nous permet de partager nos connaissances ancestrales sur les semences et les techniques, voire de nous découvrir des points communs. »

La prochaine génération

Portrait d'Isabelle debout dans une forêt de bambous. Isabelle Guillard

Pour l’enseignante d’arts plastiques Isabelle Guillard, B. Bx-arts 1998, Ph. D. 2023, il est essentiel d’amener les jeunes à se rapprocher de la nature. À l’école secondaire Curé-Antoine-Labelle, à Laval, ses élèves ont créé un jardin d’art écologique qui comprend des parterres de fleurs, une pépinière de plantes comestibles et une sculpture composée d’arches de saules.

Les élèves des cours d’arts, de sciences et d’éducation spécialisée de l’école participent à la culture et à l’étude des plantes, mais cet espace leur offre également un refuge loin de la vie scolaire mouvementée.

 « Il est agréable d’être à l’extérieur de la salle de classe, explique Mme Guillard, chercheuse engagée de Concordia en 2020. Le jardin est le seul endroit à l’école où l’on peut se ressourcer! »

Les élèves travaillent en collaboration avec une équipe d’enseignants dirigée par Mme Guillard, une artiste visuelle dont les travaux de doctorat à Concordia ont porté sur la valeur de l’éducation en plein air pour les adolescents et adolescentes.

Bien que l’intégration de cette approche au secondaire puisse être difficile, elle est optimiste quant à ses effets positifs sur la santé.

« Nos enfants ont besoin d’expériences qui leur permettent de développer leur créativité, de s’exprimer et d’accomplir des choses par eux-mêmes », estime-t-elle.

« En communiquant et en créant des liens avec les gens et l’environnement qui nous entourent, nous prenons confiance en nous-mêmes et en nos capacités, et nous développons un sens des responsabilités. Les élèves prennent ainsi conscience de leur influence. »

Une photo d'Emma Despland. Emma Despland

Emma Despland, professeure au Département de biologie de l’Université Concordia, a pu observer directement les bienfaits d’un contact précoce avec la nature chez les jeunes adultes. Elle remarque que de nombreux étudiants et étudiantes de première année s’inscrivent au programme avec une passion pour la conservation, mais sont incapables d’identifier les plantes et les arbres courants dans le monde réel.

« Ces jeunes ont à cœur de protéger la nature et les espèces menacées, mais leurs connaissances sont surtout théoriques. Si vous les emmenez dehors pour leur demander d’identifier un arbre, ils sont incapables de le faire, car ils n’ont jamais appris ces notions », note-t-elle.

« Cette connaissance limitée de la biologie nuit à leurs perspectives d’emploi. On suppose que ces connaissances sont acquises à l’enfance, mais ce n’est pas le cas. »

Pour remédier à cette lacune, la Pre Despland et ses étudiantes chercheuses Ashley Spanier-Levasseur et Lindsay Doyle, B.A. 2023, ont appliqué les résultats de leur étude sur les liens avec la nature dans le cadre d’un projet communautaire. En collaboration avec des camps de jour municipaux, le projet Finding Urban Nature (F.U.N.) permet aux jeunes de Montréal d’explorer les espaces verts urbains. Bon nombre des enfants n’avaient jamais fait de promenade dans la nature ni observé des insectes et des animaux.

« Nous emmenons les enfants dehors, leur montrons le jardinage urbain que nous pratiquons sur le campus, les invitons à toucher un arbre ou à nourrir les oiseaux, explique la Pre Despland. Beaucoup de jeunes, en particulier ceux qui habitent en ville, n’ont jamais vécu cette expérience. »

Elle souligne les bienfaits inestimables des activités de plein air pour la santé physique, mentale et sociale des enfants et des jeunes, tout en précisant que l’accès limité à ces activités peut avoir de graves répercussions.

« Notre mode de vie artificiel et déconnecté de la nature a des répercussions négatives sur notre santé, avance la Pre Despland. La sédentarité a notamment des effets néfastes sur la santé mentale. Du point de vue du développement, les expériences vécues pendant l’enfance ont une incidence sur la santé globale des personnes plus tard dans leur vie.

« La santé n’est pas un vase clos – tout est interrelié. »



Retour en haut de page

© Université Concordia