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La cinéaste Karen Cho lance son nouveau documentaire, Haute tension à Chinatown

« Les quartiers chinois subissent des pressions récurrentes menant activement à leur effacement », affirme la diplômée de l’École de cinéma
25 mai 2023
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Par Ian Harrison, B.Comm. 2001


Photo d'un homme se réveillant devant la devanture d'un magasin dans un quartier chinois Scène de Haute tension à Chinatown, un nouveau documentaire de Karen Cho, B. Bx-arts 2001.

Karen Cho, B. Bx-arts 2001, est une documentariste établie à Montréal à qui l’on doit les œuvres In the Shadow of Gold Mountain (2004), Seeking Refuge (2009) et Statu quo? Le combat inachevé du féminisme au Canada (2012).

Diplômée de l’École de cinéma Mel-Hoppenheim, Karen Cho s’emploie dans son travail à donner la parole aux membres de groupes marginalisés, et cette démarche l’a aidée à comprendre sa propre identité ainsi que sa place au Québec et au Canada.

Son nouveau film, Haute tension à Chinatown (V.F. de Big Fight in Little Chinatown), joue précisément ce rôle. Tourné dans le contexte de la pandémie de COVID-19 — ce qui a eu pour effet à la fois de ralentir la production du film et d’intensifier le caractère dramatique de son propos —, le documentaire comporte un grand nombre de documents d’archives et de témoignages personnels et raconte une histoire de résilience face aux menaces d’expropriation, à l’embourgeoisement et au racisme.

Karen Cho s’est récemment entretenue avec nous de son plus récent projet, de son travail cinématographique et de l’époque où elle étudiait à Concordia.

Lorsque vous avez regardé les séquences que vous aviez rassemblées pour Haute tension à Chinatown, quels points communs avez-vous constatés entre les différents quartiers que vous avez explorés?

Karen Cho : L’ensemble des quartiers chinois et des communautés marginalisées subissent des pressions récurrentes menant activement à leur effacement, sous l’action simultanée du racisme et du développement urbain. Chaque endroit est différent, mais les quartiers chinois historiques sont situés dans les centres-villes. Ils ont été aménagés à une époque où cette partie des villes était souvent la moins convoitée, mais ces terrains valent aujourd’hui beaucoup d’argent. Outre les pressions exercées par l’embourgeoisement, les expropriations — justifiées par divers projets gouvernementaux, l’aménagement d’autoroutes ou de stades ou, dans le cas de New York, la construction d’une prison — jalonnent l’histoire des quartiers chinois. Cette érosion causée par l’embourgeoisement et le développement urbain est le lot de tous les quartiers chinois.

Portrait d'une femme portant un T-shirt blanc avec un blazer kaki et un pendentif en jade Karen Cho, B. Bx-arts 2001

Vous avez dit vouloir filmer ces quartiers en allant au-delà du vernis touristique. Comment avez-vous obtenu la confiance des membres des communautés pour pouvoir y arriver?

KC : Je crois que l’explication remonte en grande partie à mon premier film, In the Shadow of Gold Mountain, qui portait sur la taxe d’entrée imposée aux immigrants chinois et la loi sur l’exclusion des Chinois. Je devrais également préciser que je suis sino-canadienne de cinquième génération du côté de mon père. J’ai de très profondes racines familiales dans les quartiers chinois de Montréal et de Vancouver, et des liens personnels avec ces quartiers. Les résidants avaient généralement entendu parler de mon film précédent, que j’avais tourné dans ces deux quartiers chinois et dont la première a eu lieu dans plusieurs quartiers chinois du Canada. J’avais donc noué des relations sur lesquelles j’ai pu m’appuyer pour le tournage de Haute tension. Les gens me connaissaient ou connaissaient mon film et le point de vue que j’y défendais. Cela m’a aidée à avoir accès à bien des endroits.

Lorsque vous repensez aux entrevues que vous avez menées pour le film, y a-t-il une personne ou un échange qui vous a particulièrement marquée?

KC : Probablement William Liu, propriétaire du restaurant Kam Wai Dim Sum à Vancouver, qui a renoncé à une carrière de chanteur d’opéra pour demeurer auprès de sa famille. Certaines des séquences du film où il apparaît ont été captées le premier jour de tournage, alors que je venais à peine de le rencontrer et que je lui posais des questions d’introduction, presque à la manière d’une audition. Au bout de cinq minutes de conversation, j’ai su qu’il devait faire partie intégrante du film. Il est intimement lié à l’histoire et à l’avenir du quartier chinois de Vancouver, et son restaurant est l’un des piliers de la communauté.

Vos films ont abordé des questions entourant l’appartenance et les critères selon lesquels une personne est considérée comme Canadienne ou non. Qu’avez-vous appris au sujet de votre identité grâce à ce parcours?

KC : J’ai énormément réfléchi à mon identité au cours de mon travail. J’ai dû désapprendre beaucoup de choses qui m’avaient été profondément inculquées durant mon enfance au Canada, dans le système d’éducation et les livres d’histoire. Je suis anglo-irlandaise du côté de ma mère, et mon père est sino-canadien. Les racines canadiennes sont profondes des deux côtés de ma famille. Mais le côté chinois est vu comme étranger, même si mon grand-père maternel blanc originaire de Plymouth, en Angleterre, est le membre de ma famille dont l’immigration au pays est la plus récente. Dès son arrivée, il a automatiquement été considéré comme Canadien, tandis que ma famille chinoise était déjà ici depuis plus de 100 ans. Encore aujourd’hui, mon père se fait demander d’où il vient.

J’ai réalisé mon premier film parce que je n’avais jamais entendu parler de la taxe d’entrée ni de la loi sur l’exclusion des Chinois dans mes livres d’histoire. Lorsque j’ai pris connaissance de cet épisode de l’histoire, en interrogeant ma grand-mère sur nos racines, elle m’a raconté qu’elle avait été séparée de sa sœur aînée, qui n’a pas été admise au pays.

Puis j’ai trouvé le livre intitulé Strangers in A Strange Land: Chinese Immigrants From 1885 - 1939. À la dernière page, il était indiqué que le Canada avait adopté une loi interdisant l’accès aux immigrants chinois. Et le livre se concluait là-dessus! Je me suis dit : comment cela peut-il être la fin de l’ouvrage? C’est le début de l’histoire!

Par la suite, une bonne partie du travail d’exploration que j’ai fait pour mes films a consisté à mettre au jour des histoires jamais racontées ou à proposer des récits à partir du point de vue de personnes marginalisées. En tant que femme anglophone de couleur vivant au Québec, on ne se sent jamais complètement chez soi. Et on n’a jamais le sentiment que notre identité et notre histoire se reflètent dans les récits dominants. Mes films visent à donner la possibilité à différentes personnes d’exprimer leur réalité et d’être les expertes de leur propre expérience. De cette façon, je reprends contact avec ma propre histoire et je remets en question les discours traditionnels sur la définition d’un Canadien.

Quels sont les points forts de votre parcours universitaire à Concordia?

KC : J’ai adoré mon expérience à l’école de cinéma. Ce qui me revient le plus vivement à l’esprit, c’est que l’on devait faire équipe avec les autres étudiants. C’était un travail de collaboration, où l’esprit d’équipe était primordial. Nous avions un rôle à jouer et une mission commune, qui était tout simplement la création. Et nous pouvions nous familiariser avec une grande variété de domaines dans le cadre du programme, en plus de réaliser nos propres films. J’ai donc participé à des projets d’autres personnes en assumant la prise de son, la direction de production ou le travail de caméra, et j’ai eu l’occasion d’apprendre tous ces différents rôles. On acquiert ainsi une appréciation des diverses composantes de la réalisation d’un film.

Certaines des personnes qui ont collaboré avec vous sur Haute tension ont aussi étudié à Concordia, comme le monteur Ryan Mullins, B. Bx-arts 2005, dipl. 2e cycle 2008, et le producteur Daniel Cross, B. Bx-arts 1991, M. Bx-arts 1998. Pouvez-vous nous parler de la communauté que vous formez avec vos collègues diplômés de l’École Mel-Hoppenheim?

KC : Bien sûr! Et j’ai également travaillé avec Van Royko (B. Bx-arts 2004, M. Bx-arts 2012), diplômé et directeur photo. Je rencontre souvent d’autres diplômés, comme Ian Olivieri (B. Bx‑arts 2000), par exemple, avec qui je faisais régulièrement équipe à l’école. C’est lui qui a produit mon deuxième film. Un grand nombre de personnes que je connais, comme Katherine Jerkovic (B. Bx-arts 2002, M. Bx-arts 2007), ont réalisé des films que l’on peut voir au cinéma; c’est formidable, je collabore encore aujourd’hui avec toutes ces personnes avec qui j’ai étudié — elles peuvent être membres de l’équipe de tournage ou travailler en salle de montage; il m’arrive aussi de les croiser dans différents festivals, ou de travailler avec elles dans le cadre de projets télévisuels. Certaines de mes plus anciennes amitiés remontent à l’époque où j’étudiais à Concordia.



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