Aller au contenu principal

Argent bien placé : investir dans l’action climatique

Selon Jason Taylor, expert en finance durable, associer investissements et objectifs climatiques peut protéger les profits
14 avril 2025
|
Par Darcy MacDonald


L'équipe de finance durable examine les données

Les effets des changements climatiques prennent de l’ampleur, et le secteur financier se trouve à un tournant décisif. Les décisions prises aujourd’hui détermineront non seulement la stabilité économique, mais aussi l’efficacité avec laquelle on pourra lutter contre la crise environnementale. Pour les systèmes financiers, il s’agit d’investir du capital dans des solutions qui atténuent les risques tout en favorisant la résilience et l’innovation.

Pourtant, selon Jason Taylor, fondateur de Conseils Finance Climat et expert en finance durable, le secteur financier fait face à d’importants défis pour s’adapter en temps opportun aux exigences d’un monde en mutation.

« On constate que de nombreuses institutions abordent encore la durabilité comme une activité secondaire, plutôt que comme un élément central de leurs décisions d’affection de capital. Il faut un changement structurel, où la durabilité s’inscrit dans chaque décision, chaque processus et chaque stratégie. »

M. Taylor, qui enseigne au microprogramme Gérer les risques financiers de l’exposition au carbone offert au Centre des dirigeants John-Molson de l’Université Concordia, possède plus de 15 ans d’expérience en finance durable. Il a auparavant mené des initiatives de développement durable dans deux grandes banques canadiennes, en intégrant des questions liées au climat et au développement durable dans les stratégies financières.

Aujourd’hui, chez Conseils Finance Climat, M. Taylor collabore avec des investisseurs et des institutions pour réduire les risques des portefeuilles et orienter le capital vers des résultats durables, en offrant des conseils sur l’intégration de solutions réalisables et pratiques qui mobilisent l’organisation.

« Il est impossible de s’attaquer efficacement aux risques climatiques sans outiller les personnes à tous les échelons – des directions financières aux négociateurs – et les inciter à tenir compte de ces facteurs dans leur travail », souligne-t-il.

La finance au service du développement durable

Pour M. Taylor, le développement durable doit faire partie intégrante des activités quotidiennes de toutes les fonctions professionnelles. Les équipes spécialisées dans le développement durable, bien qu’importantes, ont souvent du mal à étendre leur influence au sein des grandes organisations.

M. Taylor estime que le développement durable doit être une compétence de base pour tous les rôles. La question n’est plus de savoir si les spécialistes de la finance doivent s’attaquer aux risques climatiques, mais comment ils peuvent le faire de manière efficace et cohérente compte tenu des coûts croissants de l’inaction.

Exploiter les marchés du carbone

Cette intégration est essentielle notamment dans les marchés du carbone, un système d’échange qui fournit des incitatifs financiers à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ces marchés permettent aux entreprises d’échanger des crédits carbone, qui représentent le droit d’émettre une certaine quantité de dioxyde de carbone (CO2), ou d’investir dans des technologies comme la capture atmosphérique directe (CAD) pour éliminer le CO2 de l’atmosphère.

Jason Taylor, fondateur de Conseils Finance Climat Jason Taylor, fondateur de Conseils Finance Climat

« Les marchés du carbone sont un outil exceptionnel de réorientation des capitaux vers des résultats durables, explique M. Taylor, mais ils sont complexes et nécessitent une compréhension nuancée pour éviter les faux pas. »

La participation aux marchés du carbone exige des compétences dans de multiples disciplines.

Par exemple, l’évaluation des technologies de CAD fait appel non seulement aux compétences financières, mais aussi à des connaissances techniques et scientifiques.

« L’un sans l’autre peut conduire à des investissements mal conçus ou à des occasions manquées », fait remarquer M. Taylor.

Il souligne aussi l’émergence des crédits biodiversité en tant que nouvelle classe d’actifs environnementaux. Bien qu’ils soient encore peu développés, ces crédits pourraient encourager les efforts de conservation et entraîner des progrès considérables.  

« Bien conçus, ces marchés peuvent être transformateurs, mais seulement si les professionnels sont prêts à en maîtriser les subtilités. »

Redéfinir la réussite

M. Taylor estime que la finance durable exige de redéfinir les critères de réussite et la mesure de la valeur.

« Les coûts évités, comme la réduction des perturbations de la chaîne d’approvisionnement ou la prévention de litiges liés au climat, sont tout aussi importants. Ces risques peuvent nuire à la stabilité financière s’ils ne sont pas traités de manière proactive. Ce n’est pas qu’une question de gains, mais aussi de ce que l’on évite de perdre en étant préparé. »

Par exemple, les actifs délaissés, c’est-à-dire les investissements qui perdent de la valeur en raison d’une évolution de la réglementation ou du marché, sont l’une des conséquences coûteuses du manque d’adaptation.  

« Ces risques peuvent être évités si les organisations intègrent le développement durable dans leur planification stratégique », affirme M. Taylor.

Il cite le cas des fabricants d’équipement d’origine pour qui la réussite signifie concilier rentabilité et durabilité. En axant leurs activités sur les véhicules électriques et les infrastructures nécessaires à leur fonctionnement, certains ont révolutionné l’industrie automobile.

« Leur succès montre que la prévoyance et l’innovation peuvent avoir des retombées financières et environnementales », explique M. Taylor, qui ajoute que les constructeurs automobiles qui ont sous-estimé le passage aux technologies vertes ont dû se démener pour rattraper leur retard.

Prenons aussi l’annonce récente d’un investissement de 40 millions de dollars dans Deep Sky par Breakthrough Energy Ventures, de Bill Gates. Entreprise de Montréal, Deep Sky fait progresser la technologie de capture atmosphérique directe (CAD) pour éliminer le dioxyde de carbone de l’atmosphère.

Cet investissement montre comment les technologies de rupture peuvent attirer des capitaux importants tout en s’attaquant aux problèmes climatiques.

« C’est un bon exemple de l’importance d’investir dans l’innovation pour mettre en place des solutions qui répondent à la fois aux impératifs climatiques et économiques », constate M. Taylor.

Garder le cap

Le changement systémique, insiste M. Taylor, nécessite d’abattre les cloisons et d’encourager la collaboration entre les industries. Ingénieures et ingénieurs, analystes financiers et responsables politiques doivent travailler ensemble pour mettre au point des solutions comme les technologies de CAD.  

« L’ampleur de la crise climatique exige des mesures systémiques », déclare M. Taylor.

Selon lui, les systèmes financiers doivent intégrer le développement durable à tous les échelons, des conseils d’administration aux activités de première ligne. Pour y parvenir, il faut de l’éducation, des cadres pratiques et des partenariats interdisciplinaires.

« Les institutions qui agissent rapidement pour renforcer leurs capacités et tenir compte de la durabilité dans leurs objectifs seront à la pointe de la prochaine ère économique. »

M. Taylor estime qu’en favorisant l’interdisciplinarité, en intégrant la durabilité et en redéfinissant les critères de réussite, le secteur financier peut passer de spectateur à moteur du changement systémique. Pour les spécialistes comme pour les institutions, c’est maintenant qu’il faut agir.

« Les solutions aux plus grands défis existent déjà, conclut M. Taylor, la question est de savoir si nous prendrons les mesures nécessaires pour les déployer à grande échelle. »



Retour en haut de page

© Université Concordia