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Démêler durabilité et poudre aux yeux : le marketing au service du changement

Une communication claire et franche peut faire ou défaire la stratégie climatique d’une entreprise
17 mars 2025
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Par Darcy MacDonald


Une femme parle de la décarbonisation et avec une collègue

Lorsqu’il est question de développement durable, le marketing et la communication sont rarement au premier plan. Pourtant, la façon dont les entreprises racontent leur histoire – et s’assurent que cette histoire est en phase avec la réalité – peut façonner la confiance du public, stimuler l’innovation et déterminer le succès à long terme.

Jessie Sitnick, stratège en communication chevronnée, a bâti sa carrière au croisement de la stratégie et du récit, aidant les organisations à communiquer leurs ambitions en matière de développement durable de manière authentique et en accord avec leurs principaux objectifs commerciaux.

Après des années passées à diriger des initiatives de communication au sein d’organisations à but non lucratif et d’entreprises, elle a lancé Sitnick Strategies afin d’aider les sociétés à s’orienter dans le paysage complexe de la communication sur la durabilité en période de turbulences.

Son travail avec des organisations telles que WWF-Canada, la Commission de l’écofiscalité du Canada et Généressence témoigne de sa profonde compréhension du rôle des communications dans la promotion du changement sur les plans organisationnel et politique.

Sitnick enseigne également au microprogramme La durabilité des entreprises pour les professionnel·les de la communication et du marketing offert au Centre des dirigeants John-Molson de l’Université Concordia. Cette formation cible les besoins des organisations pour communiquer efficacement leur démarche en matière de durabilité dans le contexte actuel.

« Les professionnels de la communication sont souvent laissés pour compte, affirme Mme Sitnick. On leur demande de raconter des histoires percutantes sur la durabilité, mais ils sont rarement outillés pour mener des conversations honnêtes et constructives sur ce qui se cache derrière les grands engagements de leur organisation. »

De l’écoblanchiment à l’écotransparence

Des entreprises exagèrent leurs efforts environnementaux ou en présentent une image fausse, phénomène problématique que l’on appelle écoblanchiment. Il dénote un décalage évident entre la stratégie organisationnelle et la stratégie de relations publiques et de marketing.

« On attend toujours des spécialistes du marketing qu’ils embellissent la réalité, explique Mme Sitnick, mais des affirmations vagues comme ‘‘respectueux du climat’’ ou des promesses de carboneutralité sans plans concrets comportent aujourd’hui des risques juridiques, réputationnels et financiers. »

Pour illustrer l’évolution de ces questions, elle cite en exemple le projet de loi canadien C-59, qui étend les dispositions sur la publicité mensongère aux allégations environnementales. Les entreprises qui font des déclarations non fondées en matière de développement durable s’exposent désormais à des amendes importantes. Toutefois, même en l’absence de cette législation, les organisations pratiquant l’écoblanchiment risquent de subir des réactions négatives du public.

« Le manque de transparence sur vos progrès et défis peut nuire à vos résultats », prévient Mme Sitnick.

Si les entreprises qui exagèrent leurs réalisations risquent des amendes et des atteintes à leur réputation, l’écosilence – ou greenhushing en anglais – peut éroder la confiance des consommateurs et des investisseurs.

« Dans les deux cas, dit Mme Sitnick, l’absence de communication efficace et sincère met en péril la réputation de l’entreprise. »

Le rôle des spécialistes du marketing dans la stratégie

Selon Mme Sitnick, les spécialistes du marketing et de la communication doivent avoir une connaissance approfondie des stratégies durables de leur organisation avant d’élaborer un plan pour les promouvoir. Ils doivent aussi être présents à la table des discussions sur le développement durable des entreprises, notamment en ce qui concerne les attentes des parties prenantes. Pourtant, nombre de professionnelles et professionnels ne disposent pas des outils nécessaires pour agir de manière efficace.

Jessie Sitnick : « Le manque de transparence sur vos progrès et défis peut nuire à vos résultats. » Jessie Sitnick : « Le manque de transparence sur vos progrès et défis peut nuire à vos résultats. »

« Ils sont souvent pris en étau entre les équipes de vente, qui exigent des résultats, et les services juridiques, qui leur demandent d’en dire le moins possible », explique Mme Sitnick.

Cette dynamique peut conduire à l’écoblanchiment ou à l’écosilence : les entreprises taisent leurs réalisations par peur des critiques.

« L’ironie de la chose, c’est que le silence peut engendrer autant de risques que l’exagération », souligne Mme Sitnick, qui invite plutôt les spécialistes de la communication à collaborer avec les équipes internes pour créer des messages éclairés et honnêtes.

« Expliquez les réussites de votre organisation, les difficultés qu’elle rencontre et les domaines où elle a besoin d’aide, poursuit-elle. La transparence inspire confiance et entraîne un véritable changement. »

La collaboration fait tomber les barrières

Le changement systémique exige que l’on s’attaque à des obstacles que les entreprises ne peuvent surmonter seules. Mme Sitnick insiste sur l’importance de la collaboration entre les industries et avec les décideurs politiques pour stimuler l’innovation.

Elle cite l’exemple d’une entreprise disposant d’installations éloignées et dont les besoins en déneigement privé constituaient une importante source d’émissions.

« Le problème n’était pas qu’ils s’en moquaient, mais que personne ne fabrique de chasse-neige électriques industriels. »

En l’absence d’action collective ou de politiques habilitantes, le marché n’a pas élaboré de solution.

« Il faut un environnement préconcurrentiel où les acteurs du marché peuvent travailler ensemble pour cibler et surmonter les obstacles, estime Mme Sitnick, mais les entreprises doivent aussi faire preuve de courage en expliquant ouvertement ce qui les empêche d’avancer. »  

Réflexion stratégique ou idéologique

Mme Sitnick perçoit le développement durable comme un impératif stratégique, et non comme une initiative guidée par les valeurs.

« Les bonnes entreprises ont toujours prêté attention à leur incidence et se sont adaptées; un modèle d’entreprise durable est impossible sans vision à long terme. Il ne s’agit pas pour l’entreprise d’agir de façon “vertueuse” ou “woke”, mais de façon intelligente. »

Elle prend pour exemple les fonds de pension afin d’illustrer l’intégration de la durabilité comme priorité stratégique majeure. Ces investisseurs planifient sur 50, 60, voire 70 ans. Il est évident qu’ils doivent envisager la décarbonation progressive de leurs portefeuilles. Ils doivent également réfléchir à la communication de leurs décisions d’une manière qui correspond à ce que les bénéficiaires attendent d’eux – et ces attentes peuvent être très variées.

« Certains membres ne s’intéressent qu’aux rendements, d’autres s’intéressent davantage à l’évolution de leurs investissements et veulent avoir leur mot à dire à ce sujet, illustreMme Sitnick. Il s’agit d’expliquer que les décisions en matière de durabilité correspondent à la raison d’être du fonds de pension et profitent à ses membres à court et à long terme. »

Elle ajoute que la perfection n’est pas l’objectif premier.

« La norme d’excellence en matière de développement durable est l’amélioration continue. Il faut suivre les progrès, parler des difficultés de façon honnête et s’adapter au besoin. »

Façonner l’avenir

L’approche de Mme Sitnick est ancrée dans le réalisme. Elle reconnaît les défis qui se posent aux entreprises, mais insiste sur le fait que la transparence et la stratégie sont la voie à suivre.

« On ne doit pas chercher à changer les valeurs de qui que ce soit, mais plutôt aligner les décisions sur les réalités du marché et de la planète. »

Mme Sitnick estime qu’en donnant aux spécialistes du marketing et de la communication les moyens d’engager des conversations honnêtes et éclairées, les entreprises peuvent protéger leur réputation et favoriser un changement systémique.

« En fin de compte, la durabilité n’est pas un outil de marketing; c’est une condition de base pour exercer ses activités dans le monde actuel. »



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