Aller au contenu principal
article

La bulle de l’IA a un prix, et il risque d’être cher à payer

10 décembre 2025
|
Par Jonathan Martineau

Source: Media Relations

Cet article a été publié dans Le Devoir.

Les technologies d’intelligence artificielle (IA) sont présentement au cœur d’un épisode d’investissement massif comparable aux plus importants emballements boursiers de l’histoire économique, des chemins de fer au XIXe siècle à Internet et son fameux moment « point com » à la fin du XXe. Les grandes compagnies qui développent ces technologies algorithmiques attirent des niveaux époustouflants d’investissements.

À preuve, neuf des dix plus grandes compagnies au monde en capitalisation boursière sont dans le secteur des technologies et de l’IA. Nvidia, l’entreprise qui détient un quasi-monopole sur les fameux processeurs graphiques nécessaires au fonctionnement de l’IA, atteint désormais une valorisation boursière absolument ahurissante de 4,4 billions de dollars. Nous observons également des taux de concentration de valeur boursière inédits : les dix plus grandes compagnies américaines, dont huit sont des compagnies technologiques, comptent pour un peu plus de 40 % de la valeur totale du S&P 500 — et sont responsables de 80 % des revenus et de 90 % des dépenses en capital dans la dernière année.

Ces géants de la technologie investissent massivement dans l’infrastructure nécessaire au fonctionnement de l’IA, notamment les centres de données, qui à eux seuls représentent 50 % de la croissance du PIB américain dans la dernière année. Autrement dit, l’IA n’est pas que la locomotive de l’économie à l’heure actuelle, mais presque le train complet.

De plus en plus d’observateurs, toutefois, tirent désormais la sonnette d’alarme : le train de l’IA pourrait bien se diriger tout droit vers le précipice. Nous sommes au beau milieu d’une « bulle de l’IA », c’est-à-dire un épisode de spéculation où les investissements boursiers viennent gonfler artificiellement la valeur des compagnies du secteur alors que les investisseurs se précipitent sur les actions de Nvidia et autres afin d’obtenir une part des profits futurs qui seront générés par ces entreprises. Pour que cette bulle de l’IA tienne ses promesses, il faudrait que la technologie soit effroyablement efficace dans tous les secteurs de l’économie afin d’augmenter la productivité de façon marquée, ce qui créerait une demande soutenue pour les produits et services des géants de l’IA.

C’est, bien sûr, le souhait et le discours véhiculés par ceux qui profitent de la frénésie actuelle.

Le seul hic, toutefois, c’est que ces profits futurs sont, justement, largement spéculatifs.

À l’heure actuelle, ils reposent largement sur une économie de la promesse et un battage médiatique assourdissant entretenu par le secteur lui-même. Or, l’implantation des technologies d’IA fait la manchette partout, sauf dans les statistiques de productivité. Le Prix Nobel d’économie Daron Acemoğlu estime d’ailleurs que les gains en productivité attribuables à l’IA générative seront beaucoup moins importants qu’attendu. D’autres observateurs font état, dans certains secteurs, de mises à pied faussement attribuées à l’implantation de l’IA, qui découleraient en fait de bonnes vieilles stratégies de réduction des coûts.

De plus en plus d’indicateurs laissent entrevoir un effet beaucoup plus limité de l’IA sur la performance de l’économie et des profits qui risquent fort de ne pas être à la hauteur des promesses et des souhaits de ses chantres de la Silicon Valley. Comme dans les cas historiques précédents d’emballement spéculatif, le rendement de ces investissements massifs ne se matérialisant pas, une correction de marché s’effectuera, provoquant une crise financière et probablement une reconfiguration importante du secteur. Si une récession s’ensuit, elle risque de causer davantage de pertes d’emploi que l’IA comme telle.

De plus, une rétroaction spéculative s’est mise en place, où les investissements titanesques dans les centres de données, appuyés aux États-Unis par le gouvernement Trump et son projet Stargate de 500 milliards de dollars, stimulent à leur tour des investissements dans le secteur énergétique afin d’un jour alimenter ces centres en électricité. Plus d’IA, plus de centres de données, plus de production d’énergie fossile : les conséquences de la bulle de l’IA débordent largement des places boursières et du secteur des hautes technologies.

L’éclatement de la bulle se fera également sentir partout. Il donnera lieu à un réalignement important de la valeur boursière de certaines compagnies sur leur valeur réelle, mais nous laissera avec un problème complexe : l’hypertrophie d’un secteur technologique peu profitable, et dont les conséquences environnementales et sociales sont extrêmement dommageables.




Retour en haut de page Retour en haut de page

© Université Concordia