Le mélange des langues n'a aucun effet négatif sur le développement du vocabulaire des tout-petits, selon une étude de l’Université Concordia
Les parents de familles bilingues et multilingues hésitent souvent à exposer leurs nourrissons et leurs tout-petits à des mots dans différentes langues dès leur plus jeune âge. Cependant, un nouvel article du Laboratoire de recherche sur l’enfance de l’Université Concordia montre que le mélange des langues ne nuit pas à la capacité d’un enfant à apprendre des mots.
En réalité, le fait de changer de langue, même au milieu d’une phrase ou pour introduire un seul mot, est considéré comme une manière courante et flexible de communiquer dans les foyers multilingues.
« Nous avons constaté que le mélange des langues était souvent une stratégie intentionnelle plutôt qu’un comportement inconscient des parents », explique Alexandra Paquette, doctorante et auteure principale de l’étude. « Il n’y avait aucune preuve solide indiquant que la taille du vocabulaire était liée au mélange des langues, et nous avons observé que les enfants étaient capables de jongler avec deux langues, même lorsqu’elles apparaissaient dans une seule phrase. Les parents n’ont donc pas à s’inquiéter que le mélange des langues nuise à la capacité de leur enfant à apprendre de nouveaux mots. »
Alexandra Paquette (à droite) avec Krista Byers-Heinlein : « Nous avons constaté que le mélange des langues était souvent une stratégie intentionnelle plutôt qu’un comportement inconscient des parents ».
Le franglais commence à la maison
L’étude, parue dans la revue Behavioral Sciences, examinait les données de près de 400 enfants élevés dans des foyers bilingues à Montréal. La métropole canadienne bénéficie d’une population diversifiée sur le plan linguistique. Le français et l’anglais sont les deux langues sociales, ce qui signifie qu’une grande partie de la population parle l’une ou les deux. La composition linguistique est enrichie par l’importante population immigrée de la ville, qui apporte de nombreuses autres langues parlées par les parents. Les plus courantes sont l’espagnol, l’arabe et l’italien.
L’équipe de recherche a analysé deux groupes : des familles bilingues francophones-anglophones et des familles qui parlaient une autre langue en plus du français ou de l’anglais. Les parents ont répondu à des questionnaires détaillés sur la fréquence à laquelle ils mélangeaient les langues, les raisons pour lesquelles ils le faisaient et la proportion de chaque langue que leur enfant entendait. Ils ont également relevé la compréhension et l’utilisation de mots par leurs enfants.
Les résultats indiquent que le mélange des langues est courant, mais que sa fréquence varie en fonction du contexte linguistique de la famille. Les parents francophones ou anglophones avaient tendance à mélanger moins les langues que les parents parlant une autre langue, probablement parce que les deux langues sociales sont bien implantées à Montréal. Les parents parlant une autre langue mélangeaient plus souvent les langues, empruntant notamment des termes français ou anglais lorsqu’ils s’exprimaient dans cette autre langue.
Les parents de tous horizons ont déclaré qu’ils changeaient de langue pour plusieurs raisons : ils ne trouvaient pas le mot approprié en français, en anglais ou dans leur autre langue, il n’existait pas de bonne traduction ou ils souhaitaient faire découvrir un nouveau mot à leur enfant. Les parents de familles francophones ou anglophones ayant des bambins plus âgés étaient plus enclins à mélanger délibérément les langues afin de favoriser leur développement linguistique.
L’équipe de recherche souligne que le mélange des langues n’avait pratiquement aucun effet sur le vocabulaire des enfants, que ce soit dans les familles francophones ou anglophones, ou encore parlant le français, l’anglais et une autre langue. Même lorsque les parents mélangeaient fréquemment les langues, les enfants connaissaient le même nombre de mots.
Un environnement linguistique unique
La composition particulière de Montréal, ville où coexistent deux langues officielles et de nombreuses autres langues, influe sur la manière dont les parents élèvent leurs enfants bilingues. Le mélange des langues est une conséquence d’un contexte culturel dans lequel il est courant de mélanger les langues dans la vie quotidienne, et ce, dans les communautés tant anglophones que francophones.
« Ce projet nous montre à quel point les enfants sont flexibles dans leur développement linguistique », affirme la coauteure Krista Byers-Heinlein, professeure au Département de psychologie.
« Plutôt que de désorienter les enfants, le mélange des langues peut être un véritable outil pédagogique à la disposition des parents. Ceux-ci l’utilisent de manière stratégique, et nos recherches révèlent qu’il a un effet soit neutre, soit bénéfique sur le vocabulaire. »
Lisez l’article cité : « Parental Language Mixing in Montreal: Rates, Predictors, and Relation to Infants’ Vocabulary Size ».