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Les habitudes de jeu au Québec ont radicalement changé durant la pandémie, indique une nouvelle étude

Les paris sportifs et la spéculation boursière en ligne ont connu un essor considérable au cours de la première année du confinement, selon Sylvia Kairouz
8 octobre 2025
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Une personne utilise une application de paris sportifs.

La période de confinement décrétée en raison de la pandémie de COVID-19 a bouleversé pratiquement tous les aspects de la vie quotidienne, y compris les habitudes de jeu. En l’absence de casinos, de salles de bingo, de lieux de paris sportifs ou même de billets de loterie, un nombre sans précédent de Québécoises et Québécois se sont tournés vers les jeux de hasard en ligne, souvent pour la première fois.

Une nouvelle étude menée par une équipe de recherche de l’Université Concordia révèle qu’entre 15 et 20 % de la population québécoise s’est adonnée aux jeux de hasard en ligne en 2021, et que plus de 5 % de ces personnes en étaient à leur première expérience en la matière. Environ 15 % des Québécoises et Québécois ont déclaré avoir joué en ligne avant et pendant la pandémie. Seulement 1,4 % d’entre eux ont déclaré avoir complètement cessé cette activité.

Ces résultats se fondent sur une enquête menée auprès de plus de 4 500 personnes résidant au Québec. Parmi ces dernières, 96 personnes représentatives de la population ont été sélectionnées pour des entretiens semi-structurés approfondis sur leurs expériences de jeu au cours de la première année de confinement. L’étude a été publiée dans la revue Harm Reduction Journal.

« Entre 2018 et 2021, la pratique des jeux de hasard en ligne a presque triplé au Québec », indique Sylvia Kairouz, professeure au Département de sociologie et d’anthropologie et auteure principale de l’étude.

« Pour certains, il s’agissait d’une stratégie de compensation, coincés qu’ils étaient à la maison sans pouvoir prendre part à aucune autre activité. Mais la plupart des joueurs étaient des habitués, qui avaient déjà joué avant et pendant la pandémie. Certaines personnes ont intensifié leur pratique du jeu et rapporté avoir diversifié leurs activités ou dépensé plus d’argent. »

Sylvia Kairouz précise que certaines personnes répondantes ayant complètement cessé de jouer ont déclaré qu’elles n’auraient probablement pas été en mesure d’arrêter si des établissements comme les casinos étaient restés ouverts.

« Cela donne à penser que l’accessibilité et la disponibilité des jeux de hasard est un facteur important pour certaines personnes. »

Sylvia Kairouz devant un écran simulant un casino « Entre 2018 et 2021, la pratique des jeux de hasard en ligne a presque triplé au Québec », affirme Sylvia Kairouz

La solitude et l’ennui sont des facteurs clés

Les deux tiers de la nouvelle cohorte de joueuses et joueurs en ligne étaient des hommes, et souvent de jeunes adultes : 20 % d’entre eux étaient âgés de 18 à 34 ans, et 40 % de 35 à 54 ans. Les hommes âgés de la fin de la vingtaine au début de la quarantaine étaient les plus susceptibles d’avoir commencé à jouer en ligne ou d’avoir augmenté leur fréquence de jeu pendant la pandémie.

Les personnes interrogées ont cité plusieurs raisons pour expliquer l’intensification de leurs habitudes de jeu. La plus fréquente était l’absence d’autre solution, les établissements physiques étant fermés. L’ennui, l’isolement ainsi que le besoin de se détendre ou de soulager le stress sont également des raisons importantes. L’attrait de l’argent facile a aussi attiré certains joueurs, en particulier ceux qui ont déclaré avoir perdu des revenus en raison du confinement.

Sylvia Kairouz fait remarquer que les jeux de hasard hors ligne connaissaient généralement un déclin avant la pandémie, tandis que les jeux en ligne montraient une croissance modeste mais constante. La situation a changé avec le confinement, en particulier lorsque les paris sportifs ont été légalisés en août 2021.

Étonnamment, l’équipe de recherche a aussi constaté que la spéculation boursière à court terme avait explosé au cours de la première année de la pandémie. Cette pratique consistant à acheter et à vendre rapidement des actions en vue de réaliser des bénéfices modestes mais fréquents présente en effet certains traits en commun avec les jeux de hasard, à savoir la prise de risque, la nécessité de savoir réfléchir rapidement et la possibilité d’obtenir des gains financiers rapides.

« Les personnes s’adonnant à la spéculation boursière à court terme que nous avons interrogées disaient trouver cette activité divertissante, relate Sylvia Kairouz. Elles construisaient des feuilles de calcul, rassemblaient des informations et prenaient cela très au sérieux. Elles avaient l’impression d’essayer de vraiment comprendre le système et d’avoir une prise sur lui. Mais comme pour les jeux de hasard, cette quête s’avère le plus souvent illusoire. »

Peu de réglementation, beaucoup de publicité

Sylvia Kairouz note que ces changements dans les habitudes ont donné lieu à des problèmes potentiellement graves pour les décideurs publics et les professionnels œuvrant à la promotion de la santé. Les jeux de hasard en ligne sont facilement accessibles à toute heure, sur toutes les plateformes, où ils font l’objet d’une abondante publicité. Ils sont également très peu réglementés. Entre 2020 et 2021, Espacejeux.com, la plateforme de jeu en ligne de Loto-Québec, a enregistré une hausse de 171 % de ses revenus, ainsi qu’une augmentation de 72 % des demandes d’auto-exclusion.        

« Pour ce qui est de la prévention, le plus grand obstacle est l’absence de réglementation, et le plus grand risque découle de la publicité sur laquelle s’appuie cet écosystème, affirme Sylvia Kairouz. Nous avons interdit la publicité pour le tabac et le cannabis, alors pourquoi laissons-nous cette liberté à l’industrie du jeu? »

Cette étude a été financée par le Fonds de recherche du Québec – Société et culture.

Lisez l’article cité : « A portrait of online gambling: a look at a transformation amid a pandemic »



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