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Une équipe de recherche de l’Université Concordia raconte l’histoire de personnes déplacées par un parc municipal

Une étude ethnographique révèle en quoi un aménagement écologique a entraîné des expulsions sur l’île Sainte-Thérèse
10 avril 2024
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Une rivière traversant une prairie d'herbes hautes et de fleurs sauvages
Kregg Hetherington : « Depuis le début, les personnes résidentes ne se sont jamais opposées à ce que l’île soit transformée en parc. » | Photos : Maya Lamothe-Katrapani

Le 20 février dernier, les autorités municipales ont dévoilé les derniers plans d’aménagement de l’île Sainte-Thérèse de Montréal. Cette île est nichée entre le quartier de Pointe-aux-Trembles et la banlieue de Varennes. Elle sera transformée en une oasis urbaine où Montréalaises et Montréalais pourront renouer avec la nature grâce à l’agrotourisme, à des sentiers pédestres et cyclables ainsi qu’à des aires de pique-nique aménagées.

Les maquettes représentent des familles heureuses qui profitent des futurs aménagements de l’île. Mais ce qu’elles ne montrent pas, c’est que des dizaines de personnes résidant dans des chalets familiaux ont été expulsées de l’île pour permettre l’aménagement du parc, au terme d’une bataille judiciaire qui a duré sept ans.

Avec l’aide d’une équipe de recherche ethnographique de l’Université Concordia, ces résidents qui vivent à l’île Sainte-Thérèse depuis plus de cent ans se battent pour se faire entendre et ne pas être oubliés.

Une personne munie d'un appareil photo se tenant dans un champ d'herbes hautes et photographiant des bâtiments abandonnés.

Ethnographie et militantisme

C’est durant la pandémie de COVID-19 qu’on a commencé à entendre parler des expulsions à l’île Sainte-Thérèse. La nouvelle a suscité l’intérêt de Kregg Hetherington, directeur du Laboratoire d’ethnographie de Concordia à l’Institut Milieux.

Fin 2021, un groupe de recherche dirigé par le professeur Hetherington et son étudiant, John Neufeld, a rencontré les résidentes et résidents de l’île Sainte-Thérèse afin d’en savoir plus sur leur situation.

« Nous avons communiqué avec eux et avons été très touchés par leur générosité, alors même qu’ils étaient affligés par la peine de devoir quitter leur île. Consternés par la perte de leur terre, ils nous ont affirmé que l’un des coups les plus durs à encaisser était l’effacement de leur histoire et de leur famille de l’histoire de l’île », explique le professeur Hetherington.

Peu après, Kregg Hetherington et son équipe d’étudiants des cycles supérieurs ont publié An Island Is More Than a Park (« une île est plus qu’un parc »), étude ethnographique détaillée reposant sur leurs interactions et leurs entretiens avec la population locale, et qui explore l’histoire à multiples facettes de l’île et ce qui a mené à son sort actuel.

Photo d'une cabane prise à travers des brins d'herbe haute

Une histoire de classe, de droits de propriété et d’éco-embourgeoisement

Les résidentes et résidents, pour la plupart issus de familles québécoises de la classe ouvrière, avaient des liens historiques avec l’île depuis la fin du 19e siècle. Leurs maisons, qui étaient à l’origine des chalets de fortune, sont devenues des résidences permanentes, où des générations de familles ont pu profiter de la vie sur l’île.

Autrefois la propriété d’un monastère, l’île a ensuite été vendue à la ville, qui envisageait de la transformer en parc public. Lorsque le plan directeur de cette transformation a été dévoilé en 2012, il a été facile de ne pas tenir compte de la présence de longue date des résidents et de leur importance historique, en raison principalement de la précarité des droits de propriété.

« Bien qu’ils aient vécu sur l’île pendant des décennies, les personnes résidentes n’ont jamais eu de titres de propriété officiels », explique le professeur Hetherington. « Si l’on ajoute à cela que de nombreux chalets ne sont pas très attrayants et qu’il n’y a ni eau courante ni électricité sur l’île, il était facile de considérer ces habitants comme des squatteurs indésirables plutôt que comme des personnes ayant des liens profonds avec l’île Sainte-Thérèse. »

Les citoyens considérés comme des utilisateurs et non comme des résidents

Pour l’étudiante à la maîtrise en anthropologie Maya Lamothe-Katrapani, qui a travaillé avec les habitants de l’île Sainte-Thérèse, le réaménagement de l’île illustre la manière dont les villes intelligentes et vertes transforment les citoyens en « utilisateurs ».

« Les gens ne sont ni des résidents, ni des locaux, ni des cocréateurs, mais des utilisateurs des technologies et des infrastructures de la vie urbaine. Le fait que la présence des résidents de l’île Sainte-Thérèse soit niée démontre que vivre “vert” en ville devient de plus en plus un luxe. »

Bien que les résidents aient perdu leur procès et seront finalement expulsés, ils continuent de se battre pour qu’on se souvienne d’eux et qu’on les consulte sur l’avenir de l’île.

Selon le professeur Hetherington, la transformation de l’île Sainte-Thérèse est marquée par une triste ironie.

« Depuis le début, les personnes résidentes ne se sont jamais opposées à ce que l’île soit transformée en parc. En fait, cela faisait des décennies qu’elles interpellaient la ville et la province pour qu’elles s’intéressent davantage à l’île Sainte-Thérèse », poursuit-il.

« Mais lorsqu’on leur a enfin porté attention, c’était pour les informer qu’elles avaient quelques mois pour quitter les lieux. En réalité, les résidents en appelaient à un parc plus humain, dont tout le monde serait libre de profiter et dont la faune et la flore feraient l’objet de mesures de protection, mais où les êtres humains conserveraient une place dans l’environnement naturel. »


Apprenez-en plus sur l’
Institut Milieux et le Laboratoire d’ethnographie de l’Université Concordia.

 



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