Réflexion sur la pertinence de la Journée internationale des femmes en science et technologie
Tanja Tajmel est professeure agrégée au Centre génie et société de l’École de génie et d’informatique Gina-Cody de l’Université Concordia et titulaire de la chaire de recherche de l’Université Concordia sur l’équité, la diversité et l’inclusion en STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques).
La Journée internationale des femmes se veut une occasion de montrer sa solidarité et de militer afin de garantir de meilleures conditions aux femmes. C’est une journée de lutte contre la discrimination et pour l’égalité des droits et des salaires, pour toutes les femmes au Canada et ailleurs dans le monde. Outre de nous porter à réfléchir sur les liens entre classe sociale, racialisation et genre, elle nous incite à revoir notre façon d’appréhender ces concepts au quotidien.
Nombre de filles et de femmes n’auront jamais la chance de devenir des scientifiques – parce qu’elles n’en ont pas les moyens financiers, parce qu’elles doivent travailler ou encore, parce qu’elles élèvent leurs enfants seules et manquent de soutien.
Pour moi, qui suis chercheuse et professeure, c’est une occasion d’examiner en quoi la recherche et l’enseignement en STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques) contribuent à améliorer le sort des femmes.
Encore aujourd’hui, les femmes qui évoluent en STIM sont marginalisées, surtout dans les hautes sphères de direction. Non seulement c’est injuste, mais en conséquence, l’expérience de tout un pan de la société n’est pas prise en compte dans les décisions qui portent sur les avancées scientifiques et technologiques.
De nombreux membres du corps enseignant en STIM n’ont pas conscience qu’ils contribuent implicitement à la construction de connaissances renforçant la discrimination et le manque de respect envers les femmes.
Dans le cadre de ses recherches sur la représentation des sexes dans les manuels élémentaires de sciences, la doctorante Tatiana Zanon a constaté que seulement dix pour cent des scientifiques connus dont traitent ces ouvrages sont des femmes. Qui plus est, aucun des scientifiques dont il est fait mention n’est une personne de race noire.
Pour illustrer ce constat, voici un exemple textuel tiré d’un récent manuel élémentaire de sciences dont je traite en classe avec mes étudiantes et étudiants. Le passage en question (traduit ici librement de l’anglais) traite du calcul de la densité et se lit comme suit : « Quelle est la densité d’une femme qui flotte dans l’eau? On peut déterminer cette densité en mettant la femme dans un bassin et en mesurant le volume d’eau qu’elle déplace en flottant et lorsqu’on la retient sous l’eau... »
Par cet exemple, non seulement les élèves apprennent comment calculer la densité, mais ils apprennent aussi que la femme est une chose qu’on peut retenir sous l’eau pour les besoins d’une expérience physique. Or, ce texte réduit la femme au rang d’objet et contribue à sa discrimination. Ce n’est là qu’un élément parmi d’autres dans un ouvrage soi-disant inoffensif qui perpétue l’inégalité entre les sexes.
Résultat : certaines femmes sentent qu’elles n’ont pas leur place en STIM; d’autres sont d’avis que le prix à payer pour y accéder est trop élevé.
Beaucoup de femmes ont abandonné les STIM ou n’ont jamais obtenu la reconnaissance qu’elles auraient méritée. Or, ce n’est pas parce qu’elles n’ont pas déployé assez d’efforts ni parce qu’elles n’étaient pas intéressées par le succès. Peut-être est-ce simplement parce qu’elles n’ont pas pu avancer en raison de critiques ou de propos dérangeants qu’elles auraient tenus, parce qu’elles n’étaient pas disposées à accepter le sexisme et la discrimination. Ces femmes sont, elles aussi, des modèles de résistance et de contestation.
Dans mon laboratoire, nous nous appliquons à prendre en considération de façon concrète le genre (et d’autres aspects interconnectés de la différence), afin de donner aux ingénieurs et aux scientifiques des outils pour mener leurs recherches et élaborer du matériel d’enseignement qui ne renforce pas la binarité ni l’inégalité entre les sexes.
Aujourd’hui, alors que nous célébrons la réussite des femmes, réfléchissons aussi aux sciences et aux technologies, et aux questions difficiles que ces domaines suscitent. Quelles sont les conditions de travail dans le secteur des nouvelles technologies? En quoi ces milieux de travail sont-ils genrés? En quoi les nouvelles technologies contribuent-elles à perpétuer les différences entre les sexes? Nos innovations scientifiques tiennent-elles compte des femmes marginalisées? L’humanité envisage d’aller sur Mars… Mais qui, au juste, sera appelé à s’y rendre? Y offrira-t-on des garderies gratuites?
Il est temps de repenser notre définition du progrès scientifique et technologique et de développer de nouveaux discours autour des carrières scientifiques, afin que toutes et tous puissent s’imaginer évoluer en STIM, se trouver une passion et un milieu auquel appartenir.