Aller au contenu principal
article

Une cohabitation sociale à Montréal, vraiment?

11 septembre 2025
|
Par Annie Lapalme, Jérémie Lamarche et Ted Rutland

Source: Media Relations

Cet article a été publié dans Le Devoir.

Le 15 décembre 2024, après une nuit glaciale, le décès d’un homme en situation d’itinérance est constaté à la place Simon-Valois, triste symbole de la rencontre brutale de deux réalités : celle de la gentrification et des efforts de soi-disant « revitalisation » de l’espace urbain et, de l’autre côté, celles de personnes laissées pour compte et vivant les dommages collatéraux de ces processus.

Cette même place Simon-Valois, au cœur d’Hochelaga-Maisonneuve, est encore une fois le théâtre de scènes troublantes : des agents de sécurité privés patrouillent dans l’espace public. Questionnés par des citoyens, des agents ont admis qu’une de leurs tâches était de repérer les tentes des personnes en situation d’itinérance. Au même moment, les trois refuges du quartier, pleins à craquer, refusaient 1115 personnes en juillet 2025.

Ces agents de sécurité privés résultent de la décision de la Ville de Montréal d’octroyer un contrat de 733 000 $ à B&M Groupe Sécurité — une entreprise à but lucratif — pour assurer la « sécurité » (de qui ?) et la « cohabitation sociale » dans trois arrondissements caractérisés par une forte présence de personnes marginalisées.

Ce nouveau mode de surveillance s’inscrit dans un contexte plus large de pratiques répressives de l’administration municipale envers les personnes en situation d’itinérance et dont le quartier Hochelaga-Maisonneuve, avec ses nombreux démantèlements de campements, a été l’épicentre. Ceci illustre à notre avis la construction d’une ville punitive où l’appareil municipal réprime et punit les symptômes des problèmes sociaux.

La présence d’agents des forces de l’ordre dans des lieux spécifiquement utilisés par les personnes habitant l’espace public est nuisible pour ces personnes et pour les groupes qui travaillent avec elles. La même analyse peut être faite avec d’autres mesures de répression comme la surinterpellation policière et la remise de constats d’infraction aux motifs frivoles qui contribuent à l’insécurité des personnes en situation d’itinérance.

Réprimer plutôt que prévenir

En 2022, le dernier dénombrement des personnes en situation d’itinérance visible nous apprenait que l’éviction du logement est devenue la principale cause d’itinérance. Depuis des années, des groupes communautaires d’Hochelaga-Maisonneuve implorent l’administration municipale de faire preuve de volonté politique afin de s’attaquer à ce fléau. Ces groupes se sont heurtés à un manque flagrant de collaboration de la part de l’arrondissement dont le laxisme face à de grands rénovicteurs a été largement documenté.

Pourtant, il y a plus de dix ans, les conclusions des Assises sur la gentrification nommaient toutes les initiatives que l’arrondissement devait prendre pour protéger les locataires des évictions dans un contexte de gentrification accélérée.

En cette période de polarisation sociale et de montée de l’intolérance face à celles et ceux pour qui la rue est la maison, certains élus et arrondissements, dont Hochelaga-Maisonneuve, soufflent sur les braises de la peur en martelant que les personnes sans domicile constitueraient un danger pour la sécurité, justifiant ainsi son approche répressive. Or, plusieurs voix, dont celles de plusieurs côtoyant quotidiennement les campements, rejettent cette construction de l’Autre servant à déshumaniser des individus marginalisés et à porter atteinte à leurs droits fondamentaux. Certes, la présence de la pauvreté et de la détresse est troublante pour certains, mais plusieurs ont compris que la répression est contre-productive.

Puis, quand on parle de sécurité, c’est de la sécurité de qui dont il est question au juste ? Celle d’une nouvelle population plus nantie et des investisseurs profitant de la manne de revitalisation qui n’aiment pas voir leur quartier « sali » par des populations « déviantes » ? Et la sécurité des personnes sans toit, dont la vie est mise en danger par la répression, pourquoi ne fait-elle pas partie de l’équation ?

À l’échelle de toute la ville, on constate également un durcissement de la répression envers les personnes en situation d’itinérance dont le contrat avec B&M n’est qu’une des faces visibles. Ces individus ne disparaîtront pas de l’espace public tant et aussi longtemps que les racines des problèmes qui mènent à la rue ne seront pas prises en compte.

D’ici là, nous appelons à une réelle cohabitation sociale, qui implique un véritable partage des espaces avec les personnes marginalisées. Nous condamnons les tentatives de les construire comme un danger et les approches répressives, de contrôle et de surveillance qui, elles, constituent un danger pour la sécurité, la dignité et les droits des personnes qui habitent l’espace public. Les personnes qui habitent en campements doivent cesser d’être attaquées et des services de base doivent être mis à leur disposition. L’argent public ne peut plus servir à financer la répression ; il doit être investi dans la solidarité !




Retour en haut de page Retour en haut de page

© Université Concordia