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Pourquoi l’interdisciplinarité est plus importante que jamais pour l’avenir des arts vivants
Cet article a été publié dans Le Devoir.
Montréal est depuis longtemps un pôle d’attraction dynamique pour les arts de la scène. Grâce à des manifestations de renommée mondiale, comme le Festival TransAmériques et le Festival international de jazz de Montréal, et à d’importantes entreprises culturelles, comme Ubisoft, le Cirque du Soleil, Moment Factory et Lune Rouge, la ville attire des publics variés et des artistes du monde entier. Cependant, aujourd’hui, dans un contexte où la technologie, les mouvements sociaux et les crises mondiales transforment notre façon de vivre et de créer, une question s’impose à nous : quelle est la raison d’être des arts vivants, tant pour les créateurs que pour les personnes qui en font l’expérience ?
La réponse pourrait résider dans l’interdisciplinarité. L’interdisciplinarité offre la possibilité de prendre en compte les différences culturelles dans l’ensemble des modes d’expression artistique, ainsi que la diversité des expériences vécues.
Le principe de l’interdisciplinarité est également au cœur du Future Stage Manifesto, qui conçoit les arts vivants comme faisant partie des droits de la personne plutôt que comme quelque chose d’acquis. Le manifeste entrevoyait déjà l’avènement de nouveaux rôles professionnels : « scénographes de l’écran, spécialistes du sous-titrage en direct, de la performance », dont beaucoup émergent aujourd’hui dans des productions hybrides, in situ, anti-in situ ou diffusées en continu. Depuis la pandémie de COVID-19, le nombre d’artistes de la scène qui font appel aux médias numériques et à l’apprentissage automatique a augmenté de manière exponentielle. Les systèmes d’intelligence artificielle (IA) inspirent les artistes et donnent lieu à de nouvelles formes collaboratives de créativité humaine et non humaine, repoussant et repensant les limites de l’expression artistique.
Le dépassement des frontières entre les formes artistiques et les systèmes de savoirs n’est plus une option facultative, c’est une démarche essentielle. Les pratiques interdisciplinaires contribuent à élargir la vision artistique et donnent aux artistes les moyens d’atteindre des publics dont l’expérience des arts et l’accès à ceux-ci sont en constante évolution.
C’est la raison pour laquelle l’Université Concordia a créé l’École des arts vivants, où les étudiants en danse, en musique et en théâtre auront la possibilité de collaborer, d’expérimenter et de créer ensemble. Dans un contexte où le public s’intéresse aux multiples formes que prennent aujourd’hui les arts de la scène, nous offrons aux artistes émergents une formation qui leur permettra d’envisager le processus de création comme le reflet de différentes pratiques et expériences culturelles.
Une approche interdisciplinaire de l’enseignement des arts de la scène s’appuie sur une éthique de la curiosité, offre la possibilité de diversifier les pratiques — en encourageant l’exploration au-delà de ce que l’on croit savoir — et met en lumière comment la restructuration et la remise en question des traditions qui dictent ce que nous faisons peuvent ouvrir la voie à des pratiques artistiques plus inclusives.
Les artistes formés — ou ayant des affinités avec de multiples formes d’expression — peuvent créer et faire connaître des œuvres plus inclusives, socialement plus pertinentes et plus transformatrices. Les approches interdisciplinaires en enseignement sont l’occasion, pour les éducatrices et éducateurs, de prendre les devants et de donner aux créatrices et créateurs émergents et aux artistes établis une formation qui les incite à diversifier leurs pratiques et leurs approches.
En plaçant l’interdisciplinarité au centre de la formation dans le domaine des arts de la scène, nous cultivons non seulement la curiosité et l’adaptabilité, mais aussi l’empathie. Les artistes qui explorent des méthodes qui leur sont peu familières — apprendre le rythme par la composition musicale dans un contexte théâtral ou collaborer avec des architectes pour repenser l’espace public — acquièrent des compétences qui leur permettent d’interagir de façon plus éclairée avec la société dans toute sa complexité. Un chorégraphe féru de médias numériques ou une dramaturge explorant divers paysages sonores générés par l’IA peuvent produire des œuvres qui surprennent, stimulent et interpellent le public différemment.
Montréal est particulièrement bien placée pour accueillir une école des arts vivants. En créant des espaces consacrés à l’expérimentation interdisciplinaire axée sur la diversification des pratiques artistiques, nous visons à préparer de futurs leaders des arts de la scène capables d’éclairer nos communautés et l’écosystème culturel dans son ensemble. Les arts de la scène ne peuvent plus compter sur un public stable. Les auditoires de demain seront plus diversifiés et potentiellement plus divisés. La formation interdisciplinaire aide les artistes — et les citoyennes et citoyens de demain — à comprendre ces réalités mouvantes et à repenser la valeur, la pertinence culturelle et les répercussions sociales de leur travail.
L’avenir des arts de la scène dépend de notre capacité à partager les ressources, à transmettre les connaissances et à réévaluer les méthodes employées dans l’ensemble des disciplines et des établissements. Les secteurs des arts vivants et de l’enseignement supérieur ont déjà commencé à explorer la création et les pratiques collaboratives assistées par l’IA ; ce dont nous avons besoin, c’est de soutien, de méthodes ouvertes et d’outils pour permettre aux artistes et aux créateurs de réaliser pleinement leur potentiel créatif.
Nous pensons que ce modèle peut aussi inspirer d’autres secteurs — les affaires, la santé, l’éducation — qui sont en train de revoir leurs façons de faire afin d’adopter des méthodes plus collaboratives et d’être plus réactifs face aux enjeux sociétaux urgents. En échangeant des idées et des approches issues de différentes disciplines, nous augmentons leur potentiel créatif, mais générons aussi des pratiques et des communautés plus équitables, plus résilientes et socialement plus pertinentes.
L’avenir des arts de la scène — et plus généralement de nos sociétés — dépend de notre capacité à former et à soutenir des citoyens qui ne se borneront pas à maîtriser une seule discipline, mais qui auront une connaissance approfondie de multiples « codes » ou « langages » créatifs. Cela ne signifie pas que tous les artistes devront exceller dans une multitude de domaines, mais plutôt qu’ils comprendront, valoriseront et seront capables d’intégrer des méthodes et des approches issues d’autres domaines à leurs propres pratique et processus créatif.
L’interdisciplinarité n’est pas une tendance passagère : c’est une condition nécessaire à l’innovation, à la pertinence culturelle et à l’impact social. Avec la création de l’École des arts vivants à Montréal, une première au Québec, nous avons l’occasion de nous placer à l’avant-garde de la formation de la prochaine génération et de veiller à ce que les arts vivants, et l’art au sens large, demeurent un droit : un espace partagé pour la créativité et une force vitale de transformation dans la société.