Cet articlé a été publié dans Le Devoir.
Alors que les travailleurs et travailleuses canadiennes font face à une nouvelle vague de restructuration industrielle et de pertes d’emplois — cette fois en raison des tarifs imposés par Donald Trump et de la nécessaire transition vers des énergies propres pour sauver la planète —, il est crucial de tirer des leçons des erreurs du passé. Il n’est même pas nécessaire de remonter bien loin pour constater à quel point ces transitions économiques peuvent être profondément injustes.
La transition vers la nouvelle économie mondialisée, amorcée à la fin du XXe siècle avec la libéralisation du commerce et les accords de libre-échange, a entraîné d’importantes pertes d’emplois et une profonde restructuration industrielle au Canada comme ailleurs. En 2001, l’Organisation mondiale du commerce a invalidé le Pacte de l’automobile entre le Canada et les États-Unis, mettant fin à l’exigence de contenu canadien dans l’assemblage automobile et les pièces. Les multinationales ont ainsi obtenu carte blanche pour déplacer leur production vers des pays à bas salaires, réduisant à néant les efforts syndicaux visant à sortir les salaires de la logique concurrentielle.
Les syndicats ont fait ce qu’ils ont pu dans les circonstances, mais ce fut bien insuffisant. Les clauses traditionnelles d’ancienneté syndicale n’ont guère de poids face à une fermeture définitive. Les régimes de prestations supplémentaires de chômage, négociés pour compenser les mises à pied temporaires, n’offrent qu’un soutien limité. Certains syndicats ont expérimenté la propriété ouvrière, comme à Tricofil et à Algoma Steel, ou opté pour une négociation d’investissements, misant sur l’arrivée de nouveaux produits ou capitaux pour maintenir l’emploi à long terme.
Il n’y a pas si longtemps, le Canada était reconnu pour ses comités d’ajustement en milieu de travail et par secteur, présents à l’échelle nationale, qui aidaient les travailleurs licenciés à accéder à de la formation, à du soutien ou à retrouver un emploi. Mais la décision désastreuse de Jean Chrétien, au milieu des années 1990, de transférer cette responsabilité aux provinces a plongé une grande partie du pays dans le désarroi. Le Québec fait figure d’exception, ayant su maintenir une capacité d’intervention plus cohérente en matière d’ajustement et de formation.
Beaucoup de provinces n’ont tout simplement pas les ressources nécessaires pour mettre en place ou gérer des comités d’ajustement dynamiques. Là où ces comités existent encore, comme en Ontario, ils dépendent du bon vouloir des employeurs. Et ce consentement est de plus en plus rare, sauf lorsque les syndicats l’ont déjà intégré dans leurs conventions collectives. La majorité des personnes licenciées sont désormais livrées à elles-mêmes.

Honte à nous : les gouvernements, peu importe leur couleur politique, ont traité la perte d’emploi comme une faute morale plutôt que comme un problème structurel.
Dans les années 1980, après avoir exempté les riches de l’impôt sur les gains en capital, les conservateurs de Brian Mulroney ont récupéré les indemnités de départ des travailleurs licenciés — un capital durement gagné sur le plancher d’usine — lorsqu’ils demandaient l’assurance-emploi (AE). Dans les années 1990, les libéraux de Jean Chrétien ont grandement limité l’admissibilité à l’AE, ainsi que les taux et la durée des prestations. Résultat : la couverture de l’AE est passée de 80 % des chômeurs au début des années 1980 à environ 40 % aujourd’hui, laissant la majorité des travailleurs sans filet de sécurité.
Et ce n’est pas tout.
Malgré ce contexte économique instable, ces changements ont généré d’énormes surplus dans la caisse d’AE — des fonds qui ont ensuite été détournés à d’autres fins, bien qu’ils proviennent des cotisations salariales et patronales destinées précisément à soutenir les personnes sans emploi. En parallèle, les travailleurs licenciés ont été redirigés plus rapidement et plus massivement vers l’aide sociale provinciale, où ils ont été encore davantage stigmatisés et soumis à de nouvelles restrictions.
Lorsque la crise financière de 2008-2009 a frappé, puis à nouveau pendant la pandémie mondiale de 2020-2021, le système d’assurance-emploi, volontairement affaibli, s’est révélé totalement inadéquat. Le gouvernement a alors dû intervenir par des mesures d’urgence temporaires. La Prestation canadienne d’urgence, pendant un bref moment, a incarné ce que l’AE aurait toujours dû être.
Alors, que faire maintenant ?
D’abord, le premier ministre Mark Carney et le gouvernement libéral doivent restaurer l’assurance-emploi dans sa forme et sa vocation initiales. Les travailleurs canadiens auront besoin de ce soutien dans les semaines, mois et années à venir. Le statu quo n’est tout simplement pas viable si nous voulons éviter une montée encore plus forte de la colère populiste et de la polarisation. Ensuite, les comités d’ajustement en milieu de travail doivent devenir obligatoires, au minimum. Enfin, les syndicats doivent être présents à la table des négociations alors que le pays réoriente son économie, en particulier en s’éloignant de sa dépendance aux États-Unis.
L’histoire nous enseigne que toute véritable « transition juste » commence par un mouvement syndical fort. Ce n’est qu’à cette condition, semble-t-il, que les politiciens et les corporations accepteront enfin d’écouter.