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Nicous D’Andre Spring, détenu illégalement, abandonné fatalement
Cet articlé a été publié dans Le Devoir.
Il y a quelques jours, nous apprenions qu’un chef d’unité « d’expérience » de la prison de Bordeaux, Sébastien Bossé, avait été accusé d’homicide involontaire à la suite du décès de Nicous D’Andre Spring lors d’une intervention musclée survenue le 24 décembre 2022.
Rappelons les faits. À l’établissement de détention de Montréal, la plus grande prison provinciale du Québec, un homme noir a été maintenu en détention illégalement bien qu’un juge ait ordonné sa libération la veille.
Lors d’une intervention, les agents correctionnels lui ont recouvert la tête d’un masque anticrachat, l’ont menotté et escorté vers une cellule d’isolement. Contestant le traitement qu’on lui infligeait — et voyant que sa parole n’avait aucun effet —, c’est alors avec son corps qu’il a résisté aux manœuvres des agents. Leur réponse en a été une de force : les agents l’ont plaqué au sol et, suivant les ordres du chef d’unité, l’ont aspergé de gaz poivré. Ils ont ensuite déposé son corps dans une douche de décontamination.
Enfermer Nicous dans une cabine de douche ne suffisait pas : le chef d’unité, Sébastien Bossé, a passé la main par-dessus la porte pour vider sa bonbonne de gaz poivré à l’intérieur. Les agents ont ensuite traîné son corps dans une cellule d’isolement, où il a été laissé seul, sans assistance, jusqu’à son dernier souffle.
La mort de Nicous a provoqué une onde de choc. Le 30 décembre 2022, une veillée a été tenue en son honneur au parc Benny, dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce. Ses amis et sa famille ont partagé des souvenirs de sa vie, tandis que sa musique — Nicous était rappeur — était diffusée par haut-parleur. Nous y étions également, dans un élan de solidarité.
Les appels à la justice se sont alors multipliés. L’accusation portée contre Sébastien Bossé est le fruit du courage de membres du personnel de Bordeaux qui ont brisé le silence. C’est aussi le fruit du travail de la société civile, de proches et d’organismes comme la Coalition rouge, dont les appels ont été entendus : le 17 janvier 2023, la coroner en chef du Québec, Me Pascale Descary, avait ordonné la tenue d’une enquête publique sur les circonstances entourant le décès de Nicous D’Andre Spring.
Nous repensons aujourd’hui aux mots de sa sœur, Sarafina Dennie : son frère avait besoin d’aide, pas d’être traité comme un « animal enragé ».
Comment décrire autrement le traitement qu’a subi Nicous de la part des agents correctionnels ? Détenu illégalement, voyant ses droits bafoués, il a vu chacune de ses tentatives de dénoncer l’injustice qu’il subissait accueillie par toujours plus de violence. Comme si ses paroles n’avaient aucune valeur. Comme si sa résistance était perçue comme une agression plutôt qu’un moyen de mettre fin à la violence qu’on exerçait contre lui. Comme s’il était un animal.

Bien que le traitement infligé à Nicous soit particulièrement odieux, il s’inscrit dans un contexte plus large. Dans le rapport Racisme anti-noir au Québec, soumis en 2023 dans le cadre du quatrième Examen périodique universel du Canada, il est souligné que les personnes noires sont plus susceptibles d’être arrêtées, incarcérées et de faire l’objet de traitements discriminatoires en détention. Le rapport constate aussi qu’en 2021-2022, les personnes noires représentaient 9,2 % de la population carcérale alors qu’elles ne formaient qu’environ 3,5 % de la population canadienne.
La situation dans le système carcéral québécois, qui comprend la prison de Bordeaux, est plus difficile à évaluer, car les détenus ne sont pas classés selon leur identité raciale, mais bien selon quatre « teints de peau » (oui, au XXIe siècle). La catégorie « foncé » représentait 9,2 % des admissions dans les établissements provinciaux en 2019-2020, ce qui constitue une surreprésentation des personnes noires égale à celle observée dans le système canadien, même sans tenir compte de celles que le système québécois classerait dans la catégorie « moyen ».
Les accusations portées contre Sébastien Bossé, qui a supervisé et contribué à la violence infligée à Nicous, sont un développement bienvenu. Mais elles ne permettront pas d’éviter un autre événement de ce genre.
Le Canada doit mettre en œuvre les recommandations du rapport annuel 2021-2022 du Bureau de l’enquêteur correctionnel en ce qui concerne les détenus noirs, ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture, et répondre favorablement à la demande de visite du Mécanisme international d’experts indépendants chargé de promouvoir la justice et l’égalité raciales, attendue en novembre 2024.
L’actuel ministre de la Justice est invité à s’inscrire dans la continuité des engagements pris par son prédécesseur, notamment en suivant les recommandations formulées dans le rapport Racisme anti-noir au Québec.
Enfin, comme le souligne le rapport Les Afro-Canadiens en milieu urbain. Une étude qualitative des problèmes d’ordre juridique graves au Québec, livré par le chercheur David Austin et son équipe au ministère de la Justice du Canada il y a maintenant quelques années, les barrières linguistiques et les traitements différenciés en fonction de la race ou de la langue des détenus ont des effets concrets sur la durée et les conditions de détention.