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L’intelligence artificielle peut rendre les lieux publics intelligents, mais à quel prix?
Cet articlé a été publié dans Le Devoir.
Le Devoir vous invite sur les chemins de traverse de la vie universitaire. Une proposition à la fois savante et intime, à cueillir tout l’été comme une carte postale. Aujourd’hui, on s’intéresse à l’intelligence artificielle dans la ville et à l’art écologique.
L’intelligence artificielle (IA) connaît actuellement une croissance rapide, et l’on s’attend à ce qu’à l’échelle mondiale, sa part de marché atteigne les 2575,16 milliards de dollars américains d’ici 2032. Certains pays, dont l’Inde, reçoivent d’importantes allocations budgétaires pour développer l’IA, l’Internet des objets (IDO), les mégadonnées, l’apprentissage automatique, la robotique et bien d’autres choses encore.
Ces technologies, en particulier l’IA et l’IDO, ont commencé à transformer les espaces publics en environnements intelligents. L’un des premiers exemples de ce type d’environnement, Terminus AI City, conçu par la firme d’architectes de Copenhague Bjarke Ingels Group, est en cours d’aménagement en Chine. Ce projet offre un aperçu de ce à quoi l’environnement bâti pourrait ressembler dans l’avenir. Les produits qui rendent cette transformation possible, tels que les objectifs intelligents pour la réalité augmentée, sont déjà en cours de conception.
Toutes ces nouveautés ont des airs de science-fiction et semblent vraiment géniales, n’est-ce pas ? Mais qu’en est-il de leur impact sur l’environnement ? Je vais vous donner un indice : ce n’est pas si génial, et ça va faire grimper le mercure !
L’impact environnemental de l’IA
L’empreinte environnementale de l’IA s’alourdit, mais cette réalité est passée sous silence. Prenons l’exemple de l’IA générative : l’entraînement des modèles exige à lui seul une quantité phénoménale d’énergie, sans parler de leur utilisation. « Dans la course à la production de modèles d’IA toujours plus rapides et plus précis, la durabilité environnementale est souvent considérée comme un citoyen de seconde zone », déclare Roberto Verdecchia, chercheur à l’Université de Florence, qui souligne l’absence de prise en compte de l’impact environnemental de l’IA.
L’IA contribuera à augmenter les émissions de gaz à effet de serre, consommera toujours plus d’énergie et exigera des quantités croissantes de ressources naturelles. Toutefois, en dépit de son impact environnemental, l’IA présente un important potentiel d’optimisation de la consommation énergétique dans l’environnement bâti ; par exemple, elle permet de régler la consommation d’énergie dans les bâtiments en tenant compte des habitudes comportementales des personnes résidentes.
Inévitablement, l’IA deviendra omniprésente dans notre monde, et c’est pourquoi les diverses parties prenantes — concepteurs, architectes, ingénieurs, décideurs politiques et éducateurs — devraient élaborer des solutions durables pour les applications de cette technologie et favoriser une utilisation judicieuse de celle-ci. De nouvelles technologies conçues pour un usage durable sont mises au point, par exemple : le film DEL transparent qui nécessite moins d’électricité que l’affichage DEL classique ; les panneaux solaires transparents ou imprimables ; la conception paramétrique de façades qui améliore l’efficacité énergétique des bâtiments.
Comment utiliser l’IA à bon escient ?
L’IA peut servir utilement à sensibiliser et à éduquer le public sur les questions environnementales et les applications durables. L’art écologique est l’un des principaux moyens de sensibilisation et d’éducation utilisés dans les espaces publics. Il engendre des émotions fortes et incite les gens à changer leurs comportements et à adopter des habitudes respectueuses de l’environnement.
L’art écologique suscite l’engagement de nombreuses façons différentes, son contenu pouvant être visuel ou faire appel à l’observation, ou offert selon une formule interactive ou participative, dans le but de favoriser les actions écoresponsables. Il a un plus grand retentissement dans les lieux publics en raison de l’importante fréquentation piétonne, et ces lieux constituent un environnement propice aux interactions communautaires, à la sensibilisation et à la promotion de l’action environnementale.
De même, les musées consacrés à l’environnement, comme la Biosphère, à Montréal, offrent des expériences pratiques fournissant de l’information sur les questions écologiques et les solutions possibles. L’étude que nous avons menée sur l’efficacité des installations interactives de la Biosphère a montré que les visiteurs consacrent nettement plus de temps aux installations interactives, délaissant souvent les installations statiques qui présentent un contenu essentiellement écrit. Les visiteurs se réunissent souvent en petits groupes pour discuter des installations interactives, ce qui montre que le jeu et les échanges pratiques peuvent favoriser un apprentissage commun.
Les résultats de l’étude indiquent que l’apprentissage dans les installations interactives qui suscitent l’engagement est beaucoup plus prisé que dans les installations non interactives. Les personnes participantes ont décrit les expériences pratiques comme étant plus mémorables et plus frappantes sur le plan émotionnel. L’étude a donc révélé que l’engagement physique et multisensoriel rend le contenu environnemental plus personnel et plus significatif, et donc plus susceptible d’inciter les gens à mettre quotidiennement en pratique les connaissances acquises.

En nous appuyant sur ces constats liés à l’art écologique et à l’apprentissage muséologique, nous soutenons que l’IA peut être utilisée pour concevoir des installations publiques attrayantes qui sensibilisent les gens aux enjeux environnementaux tout en leur procurant une expérience ludique. Le studio d’art numérique Iregular, situé à Montréal, en est un exemple. Il conçoit des installations interactives ludiques pour les espaces publics à l’aide de différents algorithmes d’IA et de modèles de mouvement. Son installation Notre habitat commun, exposée pour la première fois en 2021 dans le Quartier des spectacles de Montréal, livre un message essentiel sur les incidences planétaire de nos décisions individuelles.
Il demeure toutefois important de tenir compte du gaspillage d’énergie engendré par l’ensemble des technologies numériques, quelles qu’elles soient. Or, certains produits peuvent être utilisés pour minimiser ce gaspillage, comme la peinture conductrice — employée par Dalziel & Pow pour créer un espace stimulant et attrayant dans le cadre de la foire commerciale Retail Design Expo —, qui favorise les interactions sans nécessiter de technologies encombrantes ou énergivores. Ces technologies respectueuses de l’environnement continueront à voir le jour, et il est à espérer qu’elles transformeront nos habitudes de consommation d’énergie.
Bien qu’il nous soit impossible de restreindre l’utilisation de l’IA aux seuls projets avantageux pour l’environnement, nous pouvons tout de même veiller à ce qu’elle soit employée de manière durable, éthique et responsable en élaborant des politiques en ce sens et en formulant des solutions innovantes. Nous ne devons pas non plus négliger les aspects artistiques et conceptuels des expériences que nous concevons pour les espaces publics, et il faut continuer d’accroître la valeur de ces expériences ainsi que leur accessibilité et leur potentiel d’inciter à l’action environnementale.