article
De la pertinence d’une constitution, même autonomiste
Cet article a été publié dans Le Devoir.
Plusieurs choses ont été dites depuis le dépôt à l’Assemblée nationale, survenu le 9 octobre 2025, du projet de loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec (projet de loi no 1), qui a pour objectif d’édicter la Constitution du Québec, la Loi sur l’autonomie constitutionnelle du Québec et la Loi sur le Conseil constitutionnel, puis de modifier la Loi constitutionnelle de 1867. Cet événement est majeur, et à titre de professeurs, de chercheurs en droit constitutionnel ou de juristes, nous désirons contribuer à un débat trop important pour n’être capté que par des perspectives partisanes dans le discours public.
Au-delà des critiques sur le processus d’élaboration, le projet de Constitution du Québec actuel représente, selon nous, un gain ciblé en affirmation politique et en certitude juridique pour le Québec afin de succéder au flou actuel, où rien n’est clairement posé. Bien sûr, le projet demeure perfectible, et il s’imposait que des consultations générales aient lieu.
Mais déjà, nous estimons que le Québec a grand avantage à se doter aujourd’hui d’une première constitution formelle. S’agissant d’un geste constitutionnel unilatéral, son adoption n’a pas besoin de quelque agrément de la part d’Ottawa. De plus, elle ne viendrait pas au prix de quelque concession, condition ou recul constitutionnel : elle ne fait donc qu’ouvrir des portes, sans en fermer aucune.
De l’existence de constitutions pour des États fédérés
Peu importent les convictions de chacun quant à la nécessité pour le Québec de devenir un pays ou à son intérêt à poursuivre son développement, pour reprendre la terminologie du projet de loi no 1, au sein de l’union fédérale canadienne, on ne peut nier l’importance pour le Québec de se doter de sa propre loi fondamentale. Rappelons que plus d’une centaine d’États américains, australiens, estados brésiliens, länder allemands, cantons suisses disposent d’une constitution. Affirmer que l’adoption d’une telle loi ne relève que des pays indépendants ou qu’elle ne sert à rien hors d’un cadre souverain est ainsi erroné.
Bien entendu, ces constitutions d’États fédérés ne peuvent pas entrer en contradiction avec la constitution de leur État fédératif, mais elles permettent à un État fédéré et à la population qui l’habite d’affirmer leur différence et leur distinction au sein d’une structure plurinationale ou multinationale (comme le Canada, qui a toutefois toujours refusé de s’identifier ainsi), qui se doit à son tour de respecter cet État fédéré dans son droit et ses institutions.
En effet, dans un cadre fédératif, si la constitution fédérée ne peut pas contredire la constitution fédérale, l’inverse est aussi vrai : cette dernière ne peut pas ignorer ou malmener la constitution fédérée, vu qu’elle fait partie de l’ordre constitutionnel de la fédération dans son ensemble. Ainsi, il y a un réel effet constitutionnel mesurable et positif en droit à l’adoption d’une constitution pour tout État, peu importe son statut politique.
Institutions, valeurs et pensée juridique distinctes
De plus, l’adoption de toute constitution permet à un État, même fédéré, de se doter d’institutions qui lui sont propres et dont les activités sont porteuses d’effets. Ainsi, la Loi sur le Conseil constitutionnel permettrait au Québec de se doter d’une instance parlementaire investie d’un rôle d’examen de la validité constitutionnelle des lois du Québec pendant le processus parlementaire. Son rattachement au fonctionnement de l’Assemblée nationale la protégera de toute contestation quant à son existence même, et les tribunaux canadiens n’auront d’autre option que de s’intéresser à l’intention du législateur telle qu’évaluée par le Conseil constitutionnel du Québec. De plus, un tel Conseil aura pour mandat de se prononcer sur les empiétements fédéraux dans les champs de compétence du Québec, outillant d’autant plus son Parlement et son gouvernement pour y répondre.
Enfin, le projet de Constitution du Québec nous permettrait de faire connaître les fondements de notre contrat social et de notre vivre-ensemble distincts, en affirmant avec force certaines valeurs fondamentales qui sont les nôtres. Il poserait aussi le devoir d’interpréter et d’appliquer les lois du Québec conformément à sa tradition juridique civiliste, reconnue depuis l’Acte de Québec de 1774, et dont la logique et la méthode diffèrent grandement de celles de la tradition de common law, qui règne partout ailleurs au Canada.
Si le Québec est dans le Canada, il n’est pas le Canada ni une province comme les autres. Il lui est donc légitime de l’affirmer dans une constitution qui lui soit propre, qu’il aura adoptée de son propre gré, ce qu’il aura fait en application de son droit inaliénable, réaffirmé dans le projet de Constitution du Québec que veut édicter le projet de loi no 1, de choisir librement son régime politique et son statut juridique.
* Ont aussi cosigné cette lettre : Simon Cadotte, avocat ; Gianluca Campofredano, avocat ; François Côté, avocat et constitutionnaliste ; Louis Fortier, avocat ; Antonin-Xavier Fournier, politologue ; André Lamoureux, politologue ; Simon Lahaie, avocat ; Julie Latour, avocate ; Éric Ouellet, avocat ; Danielle Pinard, professeure retraitée de droit constitutionnel ; Guillaume Rousseau, professeur titulaire de droit constitutionnel ; Guy Tremblay, professeur émérite de droit constitutionnel.