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Réagir au discours du temps présent contre l’immigration est un devoir

28 juillet 2025
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Par Chedly Belkhodja

Source: Media Relations

Cet articlé a été publié dans Le Devoir.

Le Devoir vous invite sur les chemins de traverse de la vie universitaire. Une proposition à la fois savante et intime, à cueillir tout l’été comme une carte postale. Aujourd’hui, on s’interroge sur le revirement mondial contre l’immigration.

 

Il est malheureux de voir à quel point le débat sur l’immigration a changé ces derniers temps au Québec et ailleurs.

Jusqu’à récemment, l’immigration était présentée comme un levier au déficit démographique et au développement économique, social et culturel du pays. Il suffit de se promener dans de nombreuses villes du Québec et du Canada pour s’apercevoir que des personnes immigrantes s’y sont installées et contribuent à la vie quotidienne. Cette répartition en dehors des grands centres métropolitains est, il me semble, le grand succès du modèle canadien d’immigration. Comme le souligne le journaliste Jean-Louis Bordeleau dans son essai Être chez nous, même le Québec a réalisé des progrès en matière de régionalisation de l’immigration.

Mais, aujourd’hui, l’immigration est devenue un sujet polémique, voire gênant, pour les gouvernements, qui modifient leur manière d’en parler et d’agir. Devant une plus grande résistance de l’opinion publique, les politiques changent de cap. Tout le monde se plie à de nouveaux impératifs d’immigration plus restrictifs, alimentés par des événements externes et internes.

Bien entendu, on ne dit pas les choses de façon frontale et brutale : il faut dorénavant revoir les cibles en immigration, gérer le ralentissement, développer des scénarios de transition ou des stratégies alimentées par des modélisations algorithmiques.

Le fil de l’actualité internationale influence ce qui se passe au pays. Au Québec comme dans tous les pays occidentaux, les gouvernements adoptent des mesures plus contraignantes et restrictives en immigration. C’est l’air du temps. La logique est de suivre une tendance lourde, celle imposée par le gouvernement de Donald Trump aux États-Unis, qui consiste à défendre la souveraineté nationale contre des représentations menaçantes de la migration. Les frontières deviennent l’épicentre de cette vision sombre du monde.

Sur le plan national, la question de l’immigration a été rattrapée par une conjoncture qui s’est focalisée sur des enjeux de capacité et du prétendu trop-plein d’immigrants au lendemain de la pandémie de COVID-19. S’est installée dans le débat public une distinction entre les « bons » immigrants et les « indésirables », notamment les demandeurs d’asile, qu’il faudrait contenir ou renvoyer chez eux. Des déclarations malheureuses, comme celle du ministre de l’Immigration, Jean-François Roberge, qui a dit, le 9 avril dernier, que le Québec ne pouvait pas accueillir « toute la misère du monde », ou encore celle du premier ministre François Legault demandant à la Sûreté du Québec de patrouiller à la frontière, ont été faites.

L’immigration devient un outil de mobilisation électorale ; la peur de l’autre et le souci de protéger son identité sont instrumentalisés afin de renforcer l’appui populaire à certaines formations politiques. La lutte contre l’immigration irrégulière et la gestion des frontières teintent l’ensemble du discours sur l’immigration. Le renforcement des frontières est à l’ordre du jour. Le projet de loi C-2 sur la sécurité de la frontière entre le Canada et les États-Unis a montré les intentions du nouveau gouvernement de Mark Carney en lui donnant de nouveaux pouvoirs en matière d’immigration afin de réduire le nombre de demandeurs d’asile au pays.

Cela se voit surtout dans la mise en scène des frontières et des mesures sécuritaires. On investit 2 milliards de dollars dans le renforcement de la sécurité de la frontière avec la complicité des provinces. Tout un arsenal de surveillance de haute technologie, avec des drones et des caméras infrarouges, se déploie le long du 47e parallèle. Et il ne faut pas oublier l’investissement dans des centres de détention pour demandeurs d’asile, comme celui de Laval.

Certaines idées se répandent dans l’opinion publique, notamment celle de réduire l’immigration afin d’ajuster la capacité d’intégration de la société d’accueil. La population ne serait plus aussi favorable à l’immigration, car elle se sentirait bousculée par la présence d’immigrants, représentés comme des preneurs de logements et une charge pour les services publics. Le cœur du débat ne se situe pas vraiment sur le plan identitaire, mais on observe une acceptation sociale de certaines expressions — remplacement de la population, entrisme religieux — qui laissent croire que les populations immigrantes sont moins intégrées sur les plans culturel et religieux.

Dans ma réflexion, je me permets de m’inspirer plus librement d’une écriture de l’ordre du sensible et du rapprochement avec les personnes vulnérables, les personnes immigrantes étant trop souvent réduites à leurs différences. Au-delà de la logique de la souveraineté et de l’identité nationale, il s’agit de formuler un rapport à la migration sur le plan d’un espace commun. Dans leur récent ouvrage Instituer les mondes, Pierre Dardot et Christian Laval nous invitent à défendre les « textures des communs », soit des manières de repenser nos institutions et nos solidarités. Il s’agit de savoir faire le monde ensemble dans un esprit cosmopolitique.

Je pense notamment à ce qui se passe aux frontières… à ces lignes habitées par de multiples situations et dynamiques bien plus complexes que la logique quantitative de l’État-nation. C’est dans ce cadre que je formule le principe de l’hospitalité qui permet de saisir un espace, un lieu, un territoire où se partage une expérience qui doit être pensée tel un pouvoir émancipateur et rassembleur.

L’immigration est une vague qui va poursuivre son chemin malgré les obstacles placés par les États. Par conséquent, au lieu de restreindre, de reconduire et de fermer, n’est-il pas plus intéressant de réfléchir aux mobilités humaines, aux côtoiements entre les individus, aux possibilités d’aller-retour professionnels et personnels au-delà des frontières et des logiques restrictives de la souveraineté et du nationalisme ? Les migrations vont de plus en plus déplacer les frontières nationales vers l’intérieur de nos sociétés ; les mobilités doivent être reconnues comme la norme de notre monde et non comme une situation exceptionnelle qu’on doit régler par une approche répressive.

Il y a là une invitation à inverser le regard, pour remarquer la force des individus, des migrants et des citoyens interpellés par la situation migratoire.




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