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Québec doit-il copier New York qui veut avertir les utilisateurs des dangers des réseaux sociaux?

17 juillet 2025
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Par Iman Goodarzi

Source: Media Relations

Cet articlé a été publié dans Le Devoir.

On ne colle pas une étiquette sur une machine à sous indiquant « Peut causer une dépendance » en espérant que les joueurs compulsifs arrêteront de jouer. Alors, pourquoi cela fonctionnerait-il avec Instagram ?

Dans une démarche audacieuse pour protéger la santé mentale des jeunes, les législateurs de l’État de New York ont adopté un projet de loi exigeant l’ajout d’étiquettes d’avertissement sur les plateformes de réseaux sociaux. Inspirées des messages sur les paquets de cigarettes, ces étiquettes visent à informer les utilisateurs — en particulier les adolescents — des risques mentaux associés à une utilisation excessive des écrans. L’intention est louable. Mais s’agit-il d’une stratégie efficace ?

Le problème fondamental de cette approche réside dans l’hypothèse selon laquelle une décision rationnelle et consciente pourrait contrecarrer les puissants mécanismes inconscients qui sous-tendent l’usage des réseaux sociaux. Or, ce n’est pas ainsi que fonctionne le cerveau.

Les plateformes sociales ne s’adressent pas à notre logique. Elles captent notre attention en activant les circuits de récompense les plus profonds du cerveau — en particulier la voie dopaminergique mésolimbique, qui régit la motivation, les envies et le plaisir. Lorsqu’un utilisateur reçoit un « like », une notification ou aperçoit une pastille rouge sur une icône, son cerveau libère de la dopamine. Rapidement, des éléments comme la lumière de l’écran ou les vibrations du téléphone deviennent eux-mêmes des signaux associés à une récompense possible. Ce sont les mécanismes classiques d’une dépendance comportementale.

C’est là qu’intervient l’étiquette d’avertissement. Elle tente d’agir sur l’esprit rationnel, en injectant une logique là où le conditionnement inconscient est déjà à l’œuvre. Mais au moment où l’utilisateur la lit, son cerveau est déjà stimulé. C’est un peu comme essayer d’arrêter une ruée de bisons avec une pancarte en carton.

Pire encore, chez les utilisateurs déjà sensibilisés — ceux dont le cerveau a établi des associations fortes entre signaux et récompenses —, l’avertissement lui-même peut devenir un signal. De la même manière qu’une étiquette indiquant « Contenu sensible » sur Instagram peut attiser la curiosité, une étiquette d’avertissement pourrait déclencher une anticipation dopaminergique. Le message d’alerte devient alors un élément du cycle de dépendance.

Nous avons déjà vu ce phénomène. Dans Buyology : Truth and Lies About Why We Buy, Martin Lindstrom explique que les messages d’avertissement sur les paquets de cigarettes n’ont pas vraiment réduit la consommation dans plusieurs populations. Même les images chocs, bien que plus efficaces que le simple texte, demeurent trop abstraites pour concurrencer l’effet immédiat de la nicotine. De la même manière, un avertissement sur les risques de dépendance liés à l’utilisation d’Instagram ne peut rivaliser avec le plaisir instantané procuré par un like.

Certaines études indiquent même que les jeunes interprètent parfois ces avertissements comme un défi — ou comme une indication que le contenu est plus intéressant. Les psychologues appellent cela l’« effet Pandore ».

Il y a aussi le risque de désensibilisation. Si les utilisateurs voient le même message chaque fois qu’ils ouvrent TikTok ou Instagram, celui-ci finit par se fondre dans le décor — balayé sans réflexion, comme un obstacle mineur. Et si le message est trop alarmiste, il peut produire un « effet boomerang » : augmenter l’attirance pour la plateforme. Une fois que le cerveau comprend que l’avertissement n’implique aucune conséquence réelle, il commence tout simplement à l’ignorer — exactement comme ce fut le cas avec les paquets de cigarettes.

La solution aux dérives numériques et à la détérioration de la santé mentale ne viendra pas d’étiquettes superficielles. Elle passe par des changements structurels dans le design des plateformes : ajouter des pauses, limiter les fonctions qui accroissent la dépendance, comme le défilement infini, intégrer des limites de temps par défaut, ou encore proposer des outils de réflexion et d’autorégulation.

L’éducation joue également un rôle clé — pas seulement sur les « risques », mais sur la manière dont les plateformes manipulent notre attention et exploitent le fonctionnement de notre cerveau.

Donner aux utilisateurs les moyens de comprendre comment fonctionnent les algorithmes, comment les systèmes de récompense façonnent leur comportement et comment leur propre cerveau réagit est bien plus efficace qu’un simple avertissement générique. La pleine conscience, la littératie numérique et l’autorégulation doivent être intégrées aux systèmes éducatifs — dès l’école.

Les bonnes intentions ne suffisent pas. Si nous voulons construire un avenir numérique plus sain pour les jeunes — et les adultes —, nous devons concevoir des solutions qui tiennent compte du fonctionnement réel du cerveau humain, et non de celui que nous aimerions avoir.




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