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Nos vêtements du quotidien nous rendent-ils malades?

8 septembre 2025
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Par Pramila Choudhary

Source: Media Relations

Cet article a été publié dans Le Devoir.

La session INC-5.2 (Intergovernmental Negotiating Committee, Comité intergouvernemental de négociation de l’ONU sur le traité mondial des plastiques), tenue à Genève en août dernier, devait aboutir à un accord contraignant sur les plastiques. Elle s’est pourtant soldée par un échec. Déjà, à Ottawa, lors de l’INC-4 en 2024, où je représentais l’Université Concordia, les appels à l’action urgente avaient été étouffés par les délais et les divisions.

Le traité mondial sur les plastiques de l’ONU est censé constituer un accord juridiquement contraignant pour réduire la pollution plastique à l’échelle planétaire, en couvrant tout le cycle de vie des plastiques, de leur production à leur élimination.

Alors que l’attention se concentre sur les interdictions des plastiques à usage unique comme les emballages ou les couverts, un acteur majeur de la pollution plastique reste gravement négligé : nos vêtements.

L’industrie de la mode ne se contente pas de consommer du plastique, elle est du plastique. Aujourd’hui, plus de 60 % des textiles sont fabriqués à partir de fibres synthétiques comme le polyester, le nylon ou l’élasthanne, tous dérivés de combustibles fossiles. En d’autres termes, six vêtements sur dix dans la garde-robe d’un Canadien moyen sont en réalité du plastique. Tout au long de leur cycle de vie, ces matériaux libèrent des microplastiques — fabrication, port quotidien, lavage et élimination — qui polluent l’air, l’eau et les sols.

Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, les textiles synthétiques représentent la première source de pollution microplastique des océans, soit plus de 35 % du total. Plus que la poussière des pneus, les cosmétiques ou les emballages. C’est l’équivalent d’un camion à ordures rempli de fibres plastiques déversé chaque minute dans l’océan.

Il ne s’agit pas seulement d’une question environnementale, mais aussi d’une crise croissante de santé publique. Des microplastiques ont été détectés dans les poumons, le sang et même le tissu cérébral humains (Leslie et al., 2022 ; Jenner et al., 2023). Ces particules, plus petites qu’un grain de sel, transportent des additifs toxiques, formaldéhyde, colorants azoïques, PFAS (« polluants éternels ») associés au cancer, aux troubles hormonaux, à l’affaiblissement du système immunitaire et à des problèmes de reproduction. Chaque fois que nous portons ou lavons des vêtements synthétiques, nous risquons d’exposer notre corps et notre environnement à des dommages invisibles.

Au Canada, l’ampleur des déchets textiles est colossale : chaque année, nous jetons plus de 500 000 tonnes de vêtements et de textiles, l’équivalent de 42 000 autobus scolaires, dont une grande partie est synthétique et non recyclable (Statistique Canada, 2020). Ces déchets sont incinérés, enfouis ou expédiés à l’étranger, où ils deviennent un fardeau toxique pour les communautés du Sud global.

Comme le souligne le groupe de défense Fashion Takes Action : « Le plastique ne fait pas qu’alimenter la surproduction, il est la surproduction. »

Les combustibles fossiles subventionnés et les prix artificiellement bas ont inondé le marché de fast fashion et de déchets. Seulement réduire la consommation ne suffira pas. Il faut repenser en profondeur la fabrication, l’étiquetage et la régulation de nos vêtements.

Les fibres naturelles — laine, lin, chanvre, coton biologique — offrent des solutions sûres, renouvelables et biodégradables. Contrairement aux fibres synthétiques, la laine ne libère pas de microplastiques et se décompose naturellement. Elle est respirante, durable, thermorégulatrice et résistante au feu.

Soutenir les producteurs canadiens de laine et des systèmes de fibres régénératives permettrait de réduire notre dépendance aux textiles issus des combustibles fossiles, de créer des emplois verts et de dynamiser les économies rurales. Dans les Prairies et les Maritimes, les éleveurs de moutons détiennent un savoir-faire transmis depuis des générations. En investissant dans les infrastructures — la tonte, le lavage, la filature —, nous pourrions transformer la laine locale en textiles à valeur ajoutée, garder les matériaux en circulation et réduire la pollution.

En tant que doctorante, éducatrice et designer textile, je travaille à l’intersection de la durabilité, de l’artisanat et des politiques publiques. Par mes recherches communautaires, je promeus une meilleure compréhension des matériaux : savoir ce que nous portons et pourquoi cela compte.

Ce que le Canada doit faire dès maintenant :

— inclure les fibres synthétiques dans le traité mondial sur les plastiques, avec des cibles contraignantes pour limiter le rejet de microplastiques et l’usage de produits chimiques toxiques

— rendre obligatoire la transparence sur la composition des fibres et l’étiquetage écologique, afin de donner aux consommateurs la possibilité de faire des choix éclairés

— investir dans des systèmes locaux de fibres régénératives, notamment la laine — y compris les pratiques autochtones, artisanales et issues de l’artisanat

— financer les infrastructures de réparation, de réutilisation et d’innovation textile en circuit fermé.

Nos vêtements ne sont pas qu’une question de style personnel. Ils sont aussi un enjeu de santé publique, d’environnement et de justice économique. Chaque vêtement synthétique a un coût caché que nos écosystèmes et nos communautés ne peuvent plus supporter.




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