article
Les étudiants aux cycles supérieurs et la mondialisation du sport
Cet article a été publié dans Le Devoir.
La place des étudiants internationaux au Québec fait aujourd’hui l’objet de débats aussi passionnés que mal compris. Trop souvent, leur contribution universitaire, économique et culturelle se retrouve noyée dans les discussions plus larges — et parfois anxiogènes — sur l’immigration. En tant que responsable de l’évaluation et de l’amélioration des programmes à la Faculté des arts et des sciences de l’Université Concordia, j’observe chaque jour l’apport concret de ces étudiants à la vitalité de nos campus et à la recherche universitaire. Récemment, lors d’une présentation au Sénat de l’université, nous avons discuté des constats d’un rapport récent sur leur rôle et leur avenir au Québec. L’analyse rappelle une réalité essentielle : les étudiants internationaux ne sont pas un enjeu migratoire parmi d’autres, mais une richesse collective qu’il faut mieux reconnaître et valoriser.
Provenant du milieu, je me permets de replacer le débat sur les étudiants internationaux dans le contexte plus large de la recherche au Québec — un peu comme l’a fait avec brio le scientifique en chef du Québec dans Le Devoir, mais ici sous l’angle de la compétition. Les programmes de maîtrise et de doctorat du Québec accueillent depuis longtemps un grand nombre d’étudiants venus de l’étranger ou du reste du Canada. Et c’est tout à fait normal. La recherche ne se limite pas à un territoire : elle s’appuie sur la curiosité, le talent et la rigueur, peu importe l’origine.
Pour trouver les meilleurs, il faut donc élargir le champ — à la planète entière. Permettez-moi de comparer ce recrutement avec celui du hockey professionnel, et avec l’apprentissage par la compétition au tennis. Mille pardons d’avance d’un ancien coach dans ces deux domaines…
D’abord le hockey : dans les structures professionnelles (et amateurs à un certain point), la recherche du talent est planétaire. Le Canadien de Montréal a des dépisteurs partout dans le monde, pour recruter les meilleurs avants, défenseurs et gardiens de but. Son équipe 2024-2025 a vu passer 20 Canadiens (dont 7 du Québec), 5 Américains, 6 Européens et un joueur de Russie. Ils ne peuvent s’astreindre à recruter seulement les meilleurs joueurs du Québec, il faut recruter internationalement, ce qui permet de construire une équipe plus forte patinant vers l’objectif commun.
Cela a permis de voir dans la Ligue nationale de hockey (LNH) des talents aussi illustres que les Salming, Stastny (les trois !), Forsberg, Lidström et Ovechkin ; à Montréal, les Chelios, Naslund, Koivu, Markov, tout comme les Caufield et Demidov. On veut recruter les meilleurs dans sa cour (bien que d’autres nous les volent aussi !), mais on doit aller chercher l’excellence où elle se trouve.
En tennis, on peut faire un lien aussi avec le calibre de compétition. Plusieurs Québécois ont pu y faire un nom : par exemple, les Lareau, Bouchard, Auger-Aliassime et Fernandez. Afin de gravir les échelons, il leur a fallu affronter de la compétition internationale : Lareau à partir de 16 ans, cumulant de multiples victoires en double (comme au US Open 1999 et aux Olympiques de Sydney en 2000). Il faut se mesurer au calibre mondial pour les grands honneurs.
À un moment du développement, il faut affronter les services les plus puissants, les jambes les plus rapides, et les tactiques les plus réfléchies — au monde. À quel âge ? C’est un autre débat. Comme échantillon, Félix a dû affronter Roger (de Suisse, fiche de 1-0 - Halle 2021) et Rafa (d’Espagne, fiche de 1-2, victoire en 2022, Nitto ATP Finals) afin d’atteindre son plus haut classement (no 6 en 2022). C’est la nature même des tournois dans ce sport.
Ainsi, en recherche, le Québec ne s’attend pas à « la meilleure recherche possible avec le bassin qu’on a », il s’attend à ce qu’on participe à la meilleure recherche mondiale. Ici, on ne sonde pas pour la vitesse du tir ou du service, mais la connaissance scientifique, l’expertise technique, la pensée critique et encore plus la passion de la recherche. Exemples de questions : trouver des remèdes aux cancers, soigner certaines parties du cerveau, développer les meilleures batteries et expliquer les phénomènes astrophysiques…
Afin de résoudre des problèmes au Québec, il faut souvent résoudre des problèmes mondiaux, et ça prend du talent de calibre mondial. De multiples professeurs de nos institutions sont passés par les « grandes universités » internationales afin de transmettre leurs savoirs, savoir-faire et savoir-être dans nos programmes d’études au baccalauréat, maîtrise, et doctorat. On recrute comme eux l’ont été par le passé.
À défaut de trop simplifier, l’intérêt québécois d’attirer les meilleurs talents repose sur deux principes. D’abord une portée internationale afin d’attirer les meilleurs. Ensuite, celles et ceux qui portent ces talents et expériences cherchent la recherche de haut calibre, afin de percer. Tout comme il est important pour le Canadien de trouver des Hutson et Demidov, et important pour Leyla et Félix de participer aux compétitions parmi l’élite, nous avons intérêt à considérer les étudiants internationaux (ainsi que ceux et celles du reste du Canada !) des cycles supérieurs comme faisant partie d’une solution plutôt que d’un problème. Les universités améliorent toujours leurs méthodes pour recruter le talent local (francophone et anglophone), ou bien venant de plus loin.
Comme au hockey ou au tennis, la compétition mondiale tire tout le monde vers le haut. Les étudiants internationaux ne sont pas un problème à gérer : ils font partie de la solution. En les accueillant, on enrichit nos campus, on stimule la recherche et on contribue à la vitalité intellectuelle et économique du Québec.