Cet articlé a été publié dans Le Devoir.
Et si la nostalgie n’était pas tournée vers le passé, mais vers l’avenir ? Je ne parle pas ici de modes rétro ou de médias analogiques, mais de notre façon même de concevoir la nostalgie. L’affirmation peut paraître étrange, mais elle est fidèle à la nature paradoxale de la nostalgie. Quand nous parlons d’un « temps plus simple », savons-nous vraiment à quel moment nous faisons référence ? Sommes-nous capables d’en donner une description précise ?
Prenons l’exemple du slogan Make America Great Again (ou MAGA). D’abord lancé par Ronald Reagan en 1980, il a été repris par Donald Trump en 2016, puis à nouveau en 2020 et 2024. Mais à quelle époque précise faisait-il référence ? Trump n’a jamais vraiment répondu à cette question. De la même manière, Pierre Poilievre a repris ce même ton nostalgique lors de sa campagne pour devenir premier ministre, en décrivant le Canada comme étant « brisé », sans offrir un cadre temporel clair sur ce qu’il faudrait retrouver pour lui rendre son état original.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la nostalgie n’est ni simpliste ni nécessairement tournée vers le passé. En 2023, l’émission This is Montreal, de CBC Radio, a donné la parole à cinq Montréalais qui ont exprimé une forme de nostalgie… pour la période des confinements. Et ces Canadiens ne sont pas une exception.
Si la pandémie a emporté beaucoup de ce que nous avions de plus cher, elle a aussi fait émerger des expériences nouvelles, souvent inattendues, auxquelles nous n’avions pas vraiment prêté attention jusque-là.
Nous avons développé une reconnaissance nouvelle envers les travailleuses et travailleurs de la santé, en applaudissant depuis nos balcons ou en cognant sur nos casseroles. Le télétravail a permis une amélioration temporaire de la qualité de l’air dans plusieurs villes. Le virtuel, malgré ses limites, a ravivé certains liens familiaux ou amicaux.
Trois ans après l’instauration de cette « nouvelle normalité », beaucoup de ces acquis ont cependant disparu.
Le silence, la lenteur, la liberté de travailler depuis son lit ou de passer la journée en pyjama, les marathons de Netflix entre deux commandes Uber Eats — tout cela est devenu un souvenir doux-amer, précisément parce qu’il n’est plus possible. La vie a repris son rythme, trop vite, trop fort. Les psychologues parlent maintenant de nostalgie pandémique, un désir de retrouver des moments précis du confinement qui ne peuvent plus exister aujourd’hui.

Être nostalgique de la pandémie ne signifie pas vouloir revivre les décès, l’anxiété ou les divisions politiques. Cela signifie que nous sommes capables de sélectionner, dans cette époque trouble, ce que nous souhaitons garder. Nous ne voulons pas tout reprendre, seulement certains fruits de l’arbre. La nostalgie n’est donc pas une posture passive : nous avons, au contraire, un pouvoir actif sur ce que nous choisissons de retenir.
Alors, en quoi la nostalgie appartiendrait-elle à l’avenir ?
Premièrement, elle révèle ce que nous espérons. Les journées de confinement n’étaient peut-être pas plaisantes sur le moment. Mais le fait de ressentir leur absence aujourd’hui montre ce que nous valorisons : le calme, la lenteur, les liens. Comme le chantait Joni Mitchell : You don’t know what you’ve got’till it’s gone.
Deuxièmement, la nostalgie peut façonner l’avenir politique d’un pays. Le slogan de Trump ne vise pas tant le passé qu’un idéal imaginaire, flou et inaccessible. En 2024, son fils a déclaré qu’« en cours de route, nous nous sommes perdus », évoquant une Amérique qui ressemblerait à une vieille photo, méconnaissable. Pour satisfaire cette nostalgie, les partisans de Trump ne pouvaient se contenter de leurs souvenirs : ils devaient voter, aujourd’hui, pour un avenir inspiré d’un passé recomposé. Ce désir nostalgique a joué un rôle crucial dans le retour politique de Trump.
Troisièmement, la nostalgie peut créer du neuf. À Montréal, elle s’incarne dans des lieux et des événements vivants. Depuis 1980, le Festival international de jazz réunit des générations autour d’un patrimoine musical commun. Des friperies, comme Eva B., consacrée aux années 1990, ou Cyber Vintage, centrée sur les années 2000, deviennent des « tiers-lieux » où les récits du passé se partagent et s’inventent. Ces espaces font plus que raviver des souvenirs : ils bâtissent des communautés et inspirent l’avenir.
Ce que nous faisons au nom de la nostalgie façonne notre présent et notre futur. Ces exemples montrent que se tourner vers le passé n’est ni une fuite, ni un repli, ni un rejet du progrès. La nostalgie, telle que nous la vivons aujourd’hui, mérite d’être repensée — non pas comme une régression, mais comme une forme d’imagination active.