
Les effets des changements climatiques sont complexes, en particulier en ce qui a trait au cycle de l’eau. Dans un contexte où nous cherchons à mieux comprendre les changements climatiques provoqués par les humains, il est essentiel de disposer de données environnementales de référence à long terme.
Toutefois, les relevés des conditions environnementales des années passées sont trop sommaires pour nous permettre de bien comprendre l’évolution de ces systèmes au fil du temps. Or, l’examen des archives naturelles constitue une solution à ce problème.
Les cernes des arbres comptent parmi les nombreux processus naturels qui laissent des traces indicatives des conditions environnementales du passé.
Les arbres forment chaque année un anneau de bois, et la largeur de cet anneau peut nous en dire long sur le climat. Nous pouvons donc créer un modèle fondé sur une période pour laquelle nous disposons à la fois de données enregistrées sur le climat et de la possibilité de mesurer la largeur des cernes. Ce modèle peut ensuite être appliqué aux cernes qui se sont formés avant le début des enregistrements des données climatiques, ce qui permet de reconstituer les conditions du passé.
Cet article fait partie de notre série Forêt boréale : mille secrets, mille dangers
La Conversation vous propose une promenade au cœur de la forêt boréale. Nos experts se penchent sur les enjeux d’aménagement et de développement durable, les perturbations naturelles, l’écologie de la faune terrestre et des écosystèmes aquatiques, l’agriculture nordique et l’importance culturelle et économique de la forêt boréale pour les peuples autochtones. Nous vous souhaitons une agréable – et instructive – balade en forêt !
Le défi consiste à trouver des forêts présentant des liens étroits entre le climat et la croissance et où l’on trouve des arbres âgés de plus d’un siècle, c’est-à-dire dont l’existence précède de loin les premiers enregistrements des données climatiques. Cette tâche est particulièrement ardue dans le sud-est du Canada, où la plus grande partie des forêts ont été rasées par des coupes à blanc.
Forêts anciennes sensibles
Dans les Appalaches de la péninsule gaspésienne, au Québec, nous avons étudié une rare cédraie ancienne, nichée dans la vallée entre la base du mont Albert et la rivière Sainte-Anne, reconnue pour ses pêcheries de saumon de l’Atlantique.
Le randonneur moyen qui passe devant ce bosquet de thuyas occidentaux ne devine probablement pas que certains de ces arbres de diamètre relativement modeste ont plus de 500 ans, ce qui est encore relativement jeune pour l’essence la plus ancienne de l’est du Canada.
La forte concurrence pour la lumière dans cette forêt à couvert fermé entraîne une croissance très lente des arbres. Nous avons constaté que cette croissance était particulièrement lente durant les années où la neige demeurait au sol jusque tard au printemps. Ce manteau neigeux persistant entraîne un raccourcissement perceptible de la saison de croissance des arbres; ces années-là, les cernes des arbres sont plus minces.
Nous avons ensuite prélevé des échantillons de centaines d’arbres dans la vallée et sur les pentes, à des endroits où il n’y a jamais eu d’abattage. Nous avons observé à plusieurs reprises l’existence d’une relation étroite entre la largeur des cernes et l’accumulation de neige ainsi qu’une relation connexe avec le débit des rivières au printemps. Grâce à ces deux liens étroits, nous avons pu reconstituer 195 ans d’histoire climatique dans la région.
Données modernes sur le changement climatique

Notre récente étude a permis de déterminer par reconstitution le débit de la rivière Sainte-Anne au printemps et au début de l’été depuis 1822; cette rivière est le principal cours d’eau du parc national de la Gaspésie, deuxième parc provincial en importance dans le sud du Québec.
L’analyse de cette relation entre cernes des arbres, manteau neigeux et débit de rivière – laquelle n’avait jusqu’ici jamais été réalisée dans l’est de l’Amérique du Nord – donne à penser que la région a été touchée assez tôt par les changements climatiques modernes. Un changement important s’est produit en 1937 : après cette date, les années marquées par des débits fluviaux extrêmement élevés et un enneigement important se sont faites plus rares. Les articles de journaux rapportant des inondations dans cette grande région correspondent aux années de débit élevé selon notre reconstitution – qui remonte à aussi loin que l’année 1872 –, ce qui vient en valider les résultats.
La reconstitution révèle également qu’en raison du peu de données enregistrées sur les débits fluviaux dans les montagnes de la Gaspésie, on ne peut déterminer que de façon parcellaire dans quelle mesure la région est susceptible de connaître des périodes prolongées caractérisées par des conditions s’apparentant à la sécheresse.
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Les relevés locaux des débits fluviaux effectués depuis 1968 montrent que la région a connu un nombre égal de printemps secs et de printemps humides se prolongeant durant une décennie. Cependant, selon notre reconstitution, pendant la période allant de 1822 à 1968, les longs épisodes de printemps secs ont été beaucoup plus fréquents et prolongés que les printemps humides.
Retombées de la conservation
Les résultats de cette reconstitution pourraient avoir des implications concernant la faune et la flore sauvages et l’énergie hydroélectrique. Premièrement, les faibles niveaux d’eau contribuent au déclin des populations menacées de saumon de l’Atlantique.
Deuxièmement, le manteau neigeux montagneux sert de refuge aux populations menacées de caribous forestiers, qui étaient autrefois réparties dans tout le Canada atlantique et le nord de la Nouvelle-Angleterre. Aujourd’hui, ces populations connaissent un net déclin, et il reste moins de 40 individus au sud du fleuve Saint-Laurent, tous dans la péninsule gaspésienne.
Les importantes coupes à blanc effectuées dans les habitats forestiers anciens) constituent la principale menace qui pèse sur ces caribous. En effet, les forêts relativement jeunes fournissent moins de nourriture aux caribous, attirant des populations plus nombreuses d’orignaux et de chevreuils ainsi que de leurs prédateurs – principalement les coyotes et les ours noirs – qui s’attaquent également aux caribous.
Les changements que subit le manteau neigeux montagneux constituent un autre facteur qui met la survie des caribous en péril, car l’enneigement a d’importants effets sur la santé de ces animaux et la capacité de leurs petits à éviter les prédateurs.
À la lumière de ces constats, il est urgent de mieux comprendre les implications de la diminution de l’enneigement sur le caribou forestier.
Enfin, l’industrie hydroélectrique du Québec, qui rapporte des milliards de dollars, pourrait également bénéficier d’une meilleure connaissance des périodes humides qu’a connues la région au cours des années passées, surtout qu’un complexe de barrages est situé à quelques centaines de kilomètres au nord-est de la zone faisant l’objet de notre étude.
Des histoires répertoriées
Notre étude améliore notre compréhension des variations des périodes d’humidité sur la côte est de l’Amérique du Nord au cours des années passées. Elle vient combler une lacune importante dans la recherche climatique fondée sur les cernes de croissance des arbres entre l’État de New York et le nord du Québec.
L’examen des 200 dernières années de ces reconstitutions portant sur la côte est fait ressortir d’importants liens sur le plan climatique. La comparaison semble indiquer que le système climatique complexe de l’Atlantique peut se synchroniser, conduisant de larges portions de la côte à connaître en même temps des périodes marquées par des conditions très humides ou très sèches.
Ce phénomène est important pour les gestionnaires des ressources en eau, qui dépendent souvent de l’aide d’autres gestionnaires de bassins voisins; or, la synchronisation observée pourrait rendre cette aide indisponible.
Les renseignements fournis par les cernes des arbres viennent réitérer la valeur des forêts anciennes et des nombreux services qu’elles fournissent. Dans un contexte où il importe de mieux comprendre les changements environnementaux induits par la présence humaine, nous comptons poursuivre nos recherches sur les forêts anciennes, qui ont une histoire à raconter.
Dans le cadre de nos recherches actuelles, nous analysons des cèdres morts conservés pendant près de 800 ans au fond des lacs. La chronologie des anneaux de croissance qui en résultera permettra d’approfondir nos travaux sur les arbres de la région et nous aidera à mieux comprendre l’histoire environnementale de notre planète soumise à des changements rapides.
Alexandre Pace, PhD Candidate in Geography, Urban and Environmental Studies, Concordia University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.