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Urbanisme ludique : repenser l'aménagement communautaire à Montréal

by christian scott

Pedestrian-friendly design in Montreal's Quartier Latin Aménagement piétonnier dans le Quartier Latin de Montréal. Photo tirée du site Aire Commune : https://airecommune.com/en/projects/pedestrian-street-of-the-quartier-latin/

Les villes ne sont jamais achevées. Ce sont des systèmes dynamiques et vivants, façonnés par les relations quotidiennes, les luttes et les négociations autour du sens et du pouvoir. À Montréal, cela est particulièrement visible : une ville marquée par l'histoire coloniale, les tensions linguistiques, une crise du logement et des vagues migratoires, où les débats sur l'espace public reflètent des questions plus profondes d'appartenance et de justice. 

En théorie, l'urbanisme vise à servir l'intérêt public. Dans la pratique, il reflète trop souvent les priorités des personnes les plus influentes – promoteurs immobiliers, institutions et programmes municipaux – plutôt que les réalités vécues par les communautés les plus touchées par le changement. Le placemaking, processus de conception collective de l'espace public, est souvent présenté comme un antidote : un moyen de rendre l'urbanisme participatif et centré sur l'humain. Pourtant, le placemaking n'est jamais neutre. Il peut favoriser l'inclusion, la créativité et l'autonomisation, mais il peut aussi effacer et marchandiser. Lorsque « l'engagement communautaire » devient une simple case à cocher, la participation risque de se transformer en performance. 

Cette tension soulève une question centrale pour l'avenir de Montréal : à quoi ressemblerait une forme d'urbanisme plus communautaire, plus équitable et plus imaginative ? 

Pour vraiment servir nos communautés, l'enseignement supérieur doit passer d'un enseignement de la planification en tant que gestion à un enseignement de la planification en tant que pratique relationnelle : quelque chose qui écoute, s'adapte et co-crée.

La planification communautaire ne se limite pas à inviter les résidents à commenter des propositions préétablies. Elle nécessite des processus permettant aux gens d'imaginer, de négocier et de décider ensemble du type de ville dans laquelle ils souhaitent vivre. Montréal a connu des exemples inspirants, allant des projets d'écologisation menés par les citoyens à Parc-Extension aux mobilisations de quartier contre les projets immobiliers spéculatifs. Mais trop souvent, ces efforts sont menés en dépit de la planification institutionnelle, et non grâce à elle.

Pour vraiment servir nos communautés, l'enseignement supérieur doit passer d'un enseignement de la planification en tant que gestion à un enseignement de la planification en tant que pratique relationnelle : quelque chose qui écoute, s'adapte et co-crée. Il doit reconnaître que les connaissances communautaires – les histoires, les rituels et les actes de soins quotidiens – sont aussi précieuses que l'expertise professionnelle et les logiciels d'urbanisme.

C'est là que le jeu devient non seulement une métaphore, mais aussi une méthode.

La ville ludique: le pouvoir transformateur du jeu

Le jeu dans l'aménagement urbain peut bouleverser les normes, faire ressortir des hypothèses cachées et créer les conditions propices à l'imagination collective. Cette méthode nous invite à voir les choses familières sous un autre angle : un passage piéton devient une scène, un terrain vague devient une toile, une conversation devient un jeu de construction d'un monde partagé. 

La ville ludique est un concept et une approche de l'urbanisme qui utilise la créativité, le plaisir et l'imagination pour inviter les gens à interagir avec leur environnement - et entre eux - de manière inattendue. Elle transforme les infrastructures en un moyen de connexion : un banc qui raconte une histoire, un lampadaire qui réagit au mouvement, une projection qui révèle des histoires cachées. 

À Montréal, une ville déjà riche en expérimentations culturelles et en jeux civiques, l'idée d'une ville ludique trouve un écho particulier. Elle offre des moyens de transformer des rues ordinaires en espaces de rencontre, de créer de l'empathie à travers des expériences partagées et de nouer des liens avec des inconnus. Cependant, ce potentiel dépend du processus : qui définit le jeu et pour qui ? Lorsque le jeu émerge au sein des communautés, reflétant leurs histoires, leur humour et leurs luttes, il devient une forme de dialogue urbain. Lorsqu'il est imposé d'en haut, il risque de transformer la joie en image de marque, le plaisir en une expérience qui a un prix. Une ville de Montréal véritablement ludique traiterait le jeu non pas comme un spectacle, mais comme un outil de réflexion collective, d'attention et d'appartenance. 

Pedestrianization project on Mont-Royal Street Photo d'une infrastructure adaptée aux piétons sur la rue Mont-Royal. Photo tirée du site INT Design : https://int.design/en/projects/pietonnisation-de-lavenue-du-mont-royal/

Le jeu comme outil de participation

En tant qu'outil de conception participative – ou plus largement, en tant que forme d'urbanisme ludique –, le jeu offre un moyen de briser les hiérarchies et d'inviter à la créativité. Les ateliers qui intègrent des jeux, des jeux de rôle ou des récits permettent aux participants d'explorer des compromis complexes – entre logement et espaces verts, croissance et patrimoine, ou accès et sécurité. Ces méthodes créent un espace pour l'incertitude et l'imagination, deux qualités souvent absentes des approches traditionnelles de planification. 

Le jeu fait passer la participation d'un stade procédural à un stade transformateur. Plutôt que de demander aux habitants de réagir à des plans prédéfinis, il les invite à imaginer de nouvelles possibilités. À Montréal, une ville qui dispose d'un écosystème diversifié d'agences de conception, de collectifs, d'organisations à but non lucratif et d'un service public relativement progressiste, le jeu a été et continue d'être utilisé comme une méthode pour impliquer les citoyens et co-créer l'avenir urbain. En d'autres termes, la conception de la ville peut être un acte créatif partagé qui valorise autant la curiosité que l'expertise. 

Pourtant, tous les jeux ne sont pas libérateurs. Les jeux peuvent reproduire les mêmes hiérarchies sociales qu'ils prétendent bouleverser. Les installations numériques peuvent exclure ceux qui n'ont pas accès à la technologie ; les activités compétitives peuvent privilégier les normes culturelles dominantes. Le jeu peut même être récupéré par les programmes urbains néolibéraux, utilisé pour qualifier la ville d'« innovante » tout en ignorant les questions d'accessibilité financière et de déplacement. 

Pour que l'urbanisme ludique soit équitable, les concepteurs et les urbanistes doivent aborder le jeu de manière critique. Cela signifie qu'il faut mettre l'accent sur les voix marginalisées, établir des relations à long terme avec les communautés et faire preuve de transparence quant aux intentions et aux résultats. Cela signifie également reconnaître que tout le monde ne vit pas le jeu de la même manière : la sécurité, l'accessibilité et la sensibilité culturelle doivent faire partie intégrante de la conception. 

Vers un avenir de jeu 

L'urbanisme ludique réinvente la ville comme un terrain de jeu vivant, un lieu de création et de partage. Il rejette l'idée que les villes sont des systèmes à optimiser et les considère plutôt comme des expériences collectives de coexistence. 

À Montréal, cela pourrait se traduire par l'intégration de méthodes ludiques dans la planification communautaire, l'enseignement du design et les politiques municipales. Les universités pourraient organiser des « jeux urbains » spéculatifs où les étudiants et les résidents imagineraient ensemble des réponses à la crise du logement ou à l'adaptation au changement climatique. Les urbanistes pourraient utiliser la narration participative pour montrer comment le zonage affecte l'expérience vécue. Les artistes pourraient s'associer aux quartiers pour transformer les infrastructures quotidiennes en invitations à prendre soin et à créer des liens. 

Photo of Montreal's Musical Swings at Place-des-Arts Photo des balançoires musicales de Montréal à la Place-des-Arts. Photo de l'UQAM : https://actualites.uqam.ca/2016/21-balancoires-au-quartier-des-spectacles/

Cependant, il ne s'agit pas là d'une question d'avenir ; le jeu est déjà mis en œuvre de diverses manières par différents acteurs urbains. L'exemple le plus évident et le plus contemporain est peut-être celui des 21 Balançoires, réalisé par le studio d'art et de design urbain Daily Tous Les Jours. Depuis 2011, une série de balançoires installées à l'intersection du Quartier des Spectacles et de l'UQAM offrent aux citadins une excuse parfaite pour s'amuser, créer de la musique et partager des moments de joie avec de parfaits inconnus. Lorsque les balançoires bougent ensemble, elles produisent des notes et des mélodies qui composent des morceaux dans lesquels chaque balançoire joue un instrument différent. 

Les balançoires représentent le type d'intervention ludique qui crée momentanément un espace et un temps où la logique de la vie urbaine capitaliste n'a plus aucun pouvoir, un espace où des inconnus peuvent créer ensemble quelque chose d'éphémère et d'incommensurable, dans le seul but de s'amuser. 

En considérant la création de la ville comme un processus ludique et partagé, Montréal peut construire des espaces urbains qui sont non seulement fonctionnels et durables, mais aussi équitables, dynamiques et pleins de possibilités.

Conclusion 

Alors que les villes du monde entier sont confrontées à des crises liées à l'accessibilité financière, à la xénophobie et à la discrimination, ainsi qu'à l'effondrement écologique, Montréal se trouve à la croisée des chemins. Son énergie créative et son esprit civique lui confèrent une position unique pour mener des expériences visant à développer des formes de vie urbaine plus bienveillantes et plus imaginatives. 

L'urbanisme ludique n'est pas un luxe, c'est une nécessité pour réenchanter la participation et renouveler la confiance dans l'avenir collectif. Il nous rappelle que même dans les moments de précarité, la joie et l'imagination sont des formes de résistance. En considérant la création de la ville comme un processus ludique et partagé, Montréal peut construire des espaces urbains qui sont non seulement fonctionnels et durables, mais aussi équitables, dynamiques et pleins de possibilités. 

Headshot of article writer Autumn Godwin

christian scott est un personne étudiante mexicaine-canadienne queer inscrit INDI de l'Université Concordia, fesant ses recherches sur l'urbanisme ludique. Ses travaux portent sur la création d'espaces critiques, l'urbanisme participatif et le jeu urbain comme forme de résistance. Parallèlement à son doctorat, christian dirige Mutual Design, une petite agence spécialisée dans la recherche, la stratégie et le design à impact social, qui aide les organisations à but non lucratif, les communautés autochtones et les entreprises axées sur les valeurs à communiquer leurs campagnes. Vous pouvez voir plus de ses travaux ici.

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